Notre lettre 253 publiée le 22 octobre 2010

VERS LA CÉLÉBRATION DE LA MESSE TRADITIONNELLE DANS LES SÉMINAIRES DIOCÉSAINS (1)

Le Motu Proprio de 2007 consacre une longue et tenace persistance de la liturgie traditionnelle face à la véritable révolution qu’a été la refonte du rite romain par l’équipe Bugnini à la fin des années 60. En même temps, Summorum Pontificum provoque un nouvel élan pour la diffusion de la forme traditionnelle, susceptible d'atteindre d’étonnantes proportions, compte tenu du contexte ecclésial présent.

En effet, tous les indicateurs montrent que l’on se trouve aujourd’hui, et ce alors que le mouvement de dépression du catholicisme occidental s’aggrave, dans une phase favorable à une « reprise » aussi bien des formes traditionnelles de la liturgie que de tout ce qui leur correspond du point de vue du catéchisme, du type des vocations, etc. Il apparaît clairement, 40 ans après la réforme liturgique, que celle-ci n’a pas, c’est le moins qu’on puisse dire, produit les fruits escomptés.

De cette reprise, les prêtres sont par nature les principaux acteurs.

Le Motu Proprio, analysé sous l’aspect des ministres de la célébration de la messe traditionnelle – dite forme extraordinaire du rite romain – évoque deux cas de figure que l’on pourrait qualifier, si l’on veut bien nous pardonner ces appellations à consonance médicale, de « ministres spécialistes » et de « ministres généralistes », distinction permettant de mieux réfléchir aux évolutions qui se dessinent.



A - Les « ministres spécialistes » de la forme extraordinaire : une nécessaire existence


Après la radicale réforme de 1969, un certain nombre de prêtres de paroisses ont continué à célébrer la messe traditionnelle. Ensuite, d’abord à Ecône pour la Fraternité Saint Pie X puis, à partir du Motu Proprio de 1988, dans d’autres communautés de même visée mais canoniquement reconnues, ont commencé à être formés des prêtres voués exclusivement (ou très majoritairement) à la célébration selon l’usus antiquior.

Le Motu Proprio de 1988 qui jette les bases de l’encadrement de ces diverses communautés (de celles déjà reconnues et, peut-être bientôt, de la Fraternité Saint Pie X), et le Motu Proprio de 2007 qui affirme la possibilité de paroisses personnelles vouées à la forme traditionnelle de la liturgie romaine, consacrent l’existence de prêtres directement préparés et formés pour répondre à une demande pastorale qui n’a cessé de croître.

Allant crescendo, on pourrait dire que l’existence de fidèles de rite tridentin a rendu nécessaire la formation de prêtres de rite tridentin, et que l’existence de prêtres tridentins appelle logiquement l’émergence d’évêques de rite tridentin. Canoniquement, ce fut le cas avec l’érection officielle de l’administration apostolique sise dans le diocèse de Campos, au Brésil. Ce sera le cas, dans des délais aujourd’hui difficiles à déterminer, lors de la reconnaissance canonique de la Fraternité Saint Pie X. Cela pourrait aussi prendre la forme de nominations d’« évêques Ecclesia Dei », laquelle avait été évoquée très sérieusement dans divers projets canoniques élaborés autour des cardinaux Ratzinger et Castrillón à la fin du pontificat de Jean-Paul II.

Ce clergé spécialisé est à certains égards un clergé de suppléance, compte tenu de la résistance active et passive des cadres « conciliaires » à accepter un retour aux formes liturgiques anciennes au sein de la vie normale des diocèses. Mais la configuration canonique adoptée par les communautés qui rassemblent ce clergé (communautés de vie commune sans vœux) lui donne une spécificité qui lui permettra assurément de durer, même si – on n’en est pas encore là ! – le clergé « généraliste » adoptait massivement la célébration de la forme extraordinaire et les autres services pastoraux que cette forme appelle naturellement (catéchisme, aumôneries scolaires, mouvements de jeunesses, etc.) Certes, du fait de cette « spécialisation », on peut du coup craindre une certaine ghettoïsation des groupes desservis et communautés desservantes. Mais ces communautés de prêtres représentent au sein d’une crise des vocations sans exemple dans le passé, des réservoirs sacerdotaux remarquables, engendrés par, et engendrant un catholicisme jeune et fécond, qui est devenu une composante dont on ne pourra pas se passer dans la perspective d’un « rebond » possible du catholicisme en notre pays.



B - Les « ministres généralistes » pratiquant aussi la forme extraordinaire : une inéluctable croissance


Car si le Motu Proprio Summorum Pontificum évoque la création de paroisses personnelles, sa visée propre est, on le sait, la célébration de la forme extraordinaire dans les paroisses territoriales des diocèses. Le droit commun du Motu Proprio concerne la coexistence des deux formes du rite dans les paroisses, avec pour effet escompté leur « enrichissement » mutuel (c'est-à-dire, essentiellement et très concrètement, l’« enrichissement » de la forme la plus pauvre héritée de la réforme de Bugnini sous Paul VI).

On ne reviendra pas ici sur le bilan de trois ans d’application du Motu Proprio, sinon pour remarquer que le fait le plus prometteur pour l’avenir est la constitution dans les diocèses d’un véritable « clergé Motu Proprio » bi-formaliste : prêtres nombreux apprenant à dire la messe traditionnelle, même s’ils ne la célèbrent pas encore le dimanche ; séminaristes déclarant vouloir apprendre à la célébrer et ensuite la dire.

Le schéma logique en crescendo (le peuple appelle des chefs) évoqué plus haut pour les « ministres spécialistes » pourrait être ici inversé, pour les « ministres généralistes », en schéma decrescendo (les chefs suivent la tendance du peuple), tout aussi inéluctable que le précédent, et même beaucoup plus encore.


1°/ Les évêques diocésains :

Bien que le Motu Proprio concerne au premier chef les curés de paroisses, auxquels s’adressent des groupes stables de fidèles leur demandant la célébration de la messe traditionnelle, requêtes auxquelles ils peuvent accéder sans avoir à demander à qui que ce soit une permission, il est clair que l’attitude de l’évêque du lieu, favorable ou hostile à la diffusion de cette célébration dans son diocèse, est toujours d’un grand poids.

D’autant que, depuis le dernier concile – un concile « épiscopalien », a-t-on dit – et depuis le nouveau Code de Droit canonique, le statut des curés de paroisse est beaucoup moins favorable par rapport à ce qu’il était traditionnellement : les curés ont perdu, de fait, leur inamovibilité, et peuvent être bien plus facilement mutés ou révoqués par leur évêque. Il est donc rare, de fait, qu’un prêtre prenne l’initiative – pourtant parfaitement légale, et qui ne nécessite aucune permission supérieure – de dire la messe traditionnelle au titre de messe paroissiale sans en référer aux autorités diocésaines.

Lesquelles, comme on sait, sont loin d’être toujours favorables, même si elles peuvent de moins en moins ignorer l’importance, au moins morale, de la demande.


2°/ Les curés et les prêtres diocésains :

Qu’ils soient ou non encouragés par leurs évêques, le mouvement général amorcé par le Motu Proprio fait que le nombre des célébrants de la forme extraordinaire va et ira croissant dans les diocèses. Si tous les prêtres qui, depuis trois ans, ont appris à dire la messe en forme extraordinaire, la célébraient le dimanche dans leur paroisse, le nombre de ces messes serait d’un coup multiplié par 30 au minimum.

Cette célébration qui ne peut donc que croître dans les années qui viennent, provoque déjà « l’enrichissement » de la forme ordinaire usitée par ces mêmes prêtres, tant dans la manière qu’ils ont désormais de célébrer cette dernière que dans les choix qu’ils font au sein des multiples options qu’elle propose (première prière eucharistique, usage large du latin, etc.), ce qui devrait logiquement, dans un certain nombre de paroisses, rapprocher progressivement la forme ordinaire de la forme extraordinaire qui y est célébrée.


3°/ Les séminaristes diocésains :

En bout (et en bas) de la chaîne, sont les séminaristes, bien plus fragiles encore que le curés. Certes, les « années de plomb » sont théoriquement derrière nous. Mais tout le monde sait que les séminaristes diocésains sont particulièrement surveillés du point de vue idéologique. Les plus progressistes ont aujourd’hui largement disparu, mais il faut savoir et il est très important de faire savoir que les plus traditionnels sont toujours écartés de la voie diocésaine, parfois alors qu’ils sont très avancés dans leur cursus de vocation. Il ne faut pas craindre d’affirmer que c’est un véritable scandale : aujourd’hui encore, en un contexte de pénurie catastrophique de vocations, le nombre des candidats mis sur la touche pour avoir un profil trop traditionnel reste impressionnant. Quand on refera l’histoire des séminaires de l’après-Concile, on notera non seulement l’effondrement inouï du nombre des séminaristes – tout le contraire, est-il besoin de le souligner, de ce que l’on pouvait attendre en suite d’un concile réformateur –, mais aussi le gâchis continuel depuis 40 ans, parmi les vocations restantes, des séminaristes non conformes, par épurations individuelles ou au moyen de renvois par fournées entières, y compris en pleine époque Benoît XVI. Il n’y a plus de vocations, dit-on. Peut-être, mais la vérité est qu’on en décourage de nombreuses, toutes celles considérées comme dérangeantes quand elles sont repérées comme telles.

Nous poursuivrons cette étude dans notre prochaine lettre qui paraîtra mardi 26 octobre.

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