Notre lettre 1120 publiée le 10 juin 2025
CE QUE PAUL VI A DÉTRUIT
C'EST À UN DE SES SUCCESSEURS DE LE RECONSTRUIRE
UNE RÉPONSE
À UN PLAIDOYER PATHÉTIQUE
DE GRÉGORY SOLARI
UNE CHRONIQUE
DE PHILIPPE DE LABRIOLLE
Grégory Solari, fondateur et tête pensante des éditions « Ad Solem », donnait au quotidien « La Croix », ce lundi de Pentecôte, son commentaire du pèlerinage de Chrétienté. De cette manifestation où une jeunesse simultanément pieuse et affranchie pratique l’affirmation sans vergogne, l’auteur ne cache pas l’irritation qu’il en conçoit.
Né à la fin du Concile Vatican II, et probablement bercé par les effets d’annonce d’une nouvelle Pentecôte qui s’avérât fictive, Solari aurait-il sous estimé la perte de crédibilité subie par l’Église elle-même. S’il n’a pas tort de s’en émouvoir, en constatant que l’arrimage romain n’a plus besoin de cardinaux présents pour s’affirmer, il continue, avec les détracteurs d’un catholicisme authentique, à traiter la jeunesse marchant vers Chartres comme un peuple en errance.
L’Histoire rend-t-elle intelligible le retour d’un passé révolu ? Solari opte pour une réponse négative, en évoquant la réforme de Pie XII, lequel, en 1952, a atténué la rigueur du Triduum Pascal et d’un jeune eucharistique qui, courant depuis minuit, conduisait à un clivage inattendu entre une messe basse de l’aube, oû les fidèles communient, et la grand messe, que l’on ne saurait manquer, sans y communier une deuxième fois. Et bien d’aucuns, d’un clergé rétif aux nouveautés, auraient opté pour l’ancienne pratique, d’avant 1952… La machine à remonter le temps, pourquoi faire ?
Solari, notons le, ne dévalue pas la Messe Traditionnelle. Il s’insurge à l’encontre de l’usage « anti-ecclésial » qu’en font les officines qui en promeuvent la libéralisation, comme oriflamme ante (et donc anti) conciliaire, au risque d’un schisme. La logique qui l’anime mérite l’attention. Libéraliser la Messe Traditionnelle, c’est la soustraire à la (mauvaise) cause qu’on lui fait servir. Analogiquement, légaliser la drogue, c’est affamer les dealers. Élémentaire, mon cher Grégory !
Hélas, le kairos, la fenêtre de tir, le moment opportun a été manqué par Rome, selon Solari qui « oublie » le motu proprio de 2007. Mais il oublie aussi que, dénégatrice de son fiasco liturgique, lui-même adossé à quelque « retour aux sources » prétendu, la gouvernance romaine s’est déconsidérée. Flétrissant involontairement un Concile qu’a sanctionné le chaos, plus encore par le nouvel « ordo missae » qui s’en réclamait abusivement que par ses actes propres.
Sans encadrement rigoureux, introuvable à ce jour, le retour, avec un usus antiquor libéralisé pour en affamer les dealers, de la religion catholique d’hier, quelque dommage collatéral, comme la prière du vendredi saint pour les juifs « perfides » , ne serait-il pas à redouter ? Tout catholique catéchisé sait que la Promesse d’un Sauveur concerne d’abord le peuple élu, sujet de la Loi, et que le Christ, s’adressant d’abord à ceux ci par sa prédication, étend ensuite son Salut à tout homme prêt à le suivre. Les juifs hostiles au Christ sont « passés à travers, ou à côté » de leur propre foi. Voilà ce que dit le latin traduit. L’Église désigne cette erreur, mais attend les juifs et les invite à la rejoindre.
Le mot « perfide » est d’une étymologie latine fort claire. Le sens des mots évolue avec l’usage, comme dans toute langue vivante. Un perfide, au sens actuel, est celui qui trahit la confiance et fait du tort à autrui. Si le croyant met sa confiance en Dieu, puis la retire, ce n’est pas à Dieu qu’il fait du tort. C’est à lui-même. Solari, qui donne des cours de théologie à l’Institut catholique de Paris, sait cela comme tous les catéchisés. Mais en suspectant chez les pèlerins de Chartres un antisémitisme virtuel, le théologien montre un visage perfide, celui d’un dialecticien qui s’adresse aux médias comme chambre d’écho, et se dispense de faits tirés du réel des marcheurs (et autres veilleurs) pour perpétrer sa déconsidération fielleuse.
Il y a, en toute vérité, un déficit massif de sens ecclésial dans une Église qui a perdu le sens du sacré, et néanmoins rêve de rassembler. Il y a aussi un déficit massif de cohérence dans des diocèses qu’aucun magistère digne de ce nom ne nourrit, depuis Rome frappée d’ataxie. Le passéisme imputé par Solari aux marcheurs de la Beauce, et dénoncé de façon hégélienne comme un contresens, est la réplique infligée aux novateurs liturgiques, nous l’avons noté, lesquels interdisent à un vain peuple de penser aujourd’hui le désastre, qui a détruit la Chrétienté subsistante, et saborde la concorde républicaine qui en était la plante adventice.
Il est vrai que les novateurs des sixties avaient pour servir la politique d’abandon du Pape Paul VI un puissant levier qui s’appelait l’obéissance. Solari note, sans nommer la cause conciliaire aggravée d’un autoritarisme à contresens, que la nouveauté des temps actuels a fait litière, et pour cause, d’une obéissance ayant servi l’apostasie. Le crédit a priori fait à un clergé ayant tourné sa veste pour préserver son cursus honorum n’existe plus. Les paroisses sont désormais fréquentées par choix, a posteriori. On parle de paroisses d’élection. C’est la rencontre entre l’exercice de nos devoirs envers Dieu, et la liberté du consommateur. La concurrence entre l’attrait de la messe traditionnelle et la prestation diocésaine habituelle est cruelle pour cette dernière...Tel est bien l’épicentre émotionnel de Solari, qui est loin d’être le seul à le cibler.
La visibilité de la jeunesse priante, marchant vers Chartres, terre d’élection, Ciel symbolique, est insupportable aux consuméristes de la Cité terrestre. Le vin nouveau, qui montre sa vigueur au présent, fait craquer les vieilles outres chaque jour que Dieu fait ; celles qui s’accommodaient de la piquette servie par les alliances synodales consensuelles, et ralliées aux compromis ecclésio-mondains. Le besoin de vérité, de cette Vérité qui rend libre, n’est pas à opposer à la Charité. La Charité est la joie partagée des libérés. Solari a peur des officines qui les rassemblent, au motif jamais évoqué que les diocèses ne veulent pas d’eux, car les gens de pouvoir confondent leur caverne avec le Réel, et leur prosaïsme médiocre avec une Parole libératrice. Ce que Paul VI a détruit, c’est à un successeur de Pierre de le reconstruire. Ce reconstructeur salutaire peut compter, le moment venu, sur l’obéissance des pèlerins de Chartres. Car il n’y a pas d’autre Sauveur que Notre Seigneur Jésus Christ, et pas d’autre voie pour les fidèles que la vraie foi catholique reçue des apôtres, c’est à dire, avec Pascal, des témoins prêts à mourir..
Philippe de Labriolle
Psychiatre Honoraire des Hôpitaux