Notre lettre 1196 publiée le 1 mai 2025

AMÉDÉE, OU COMMENT S'EN DÉBARRASSER ?

SURVOL DE QUELQUES ABERRATIONS

ET DE QUELQUES "TRAÎTRES"

DES TEMPS POST-CONCILIAIRES

UNE RÉFLEXION BIENVENUE
DE PHILIPPE DE LABRIOLLE
SUR UNE ÉGLISE À LA DÉRIVE

La farce d’Eugène Ionesco, un peu oubliée certes, met en scène un couple en désarroi, car aux prises avec un cadavre bien encombrant qui ne cesse de grandir en taille par quelque malédiction. Ce cadavre qui envahit l’espace vital, c’est la mort et l’imaginaire qui l’entoure, au contact de ce couple d’âge moyen, dont la vie ne cesse de s’appauvrir à force de n’être pas vécue. Amédée et Madeleine seront-ils secourus ?

La pièce est de 1954. L’auteur franco-roumain y brosse une dérision des prétentions modernes à l’affranchissement de nos dettes et autres devoirs, tout en montrant la place de l’absurde dans des vies oû l’homme, et notamment le couple, est victime de son propre imaginaire. En clair, le danger n’est pas d’abord dans l’oppression extérieure, mais dans la peur de s’affirmer.

Pourquoi ne pas voir dans cet avertissement, qui sera redoublé dans la pièce « Rhinocéros » de 1959, laquelle décrit l’épidémie de « rhinocérite » qui gagne l’humanité astreinte à l’uniformité bestiale et brutale, une illustration du paradoxe déjà saisi par Pascal : « l’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête » (fragment 572, MlG). L’ange, de nos jours, dénie l’incarnation nécessaire, visible, publique, sonore.

La sagesse d’Ionesco n’est pas, sans lui faire d’ombre intentionnelle, celle d’Hanna Arendt. Les systèmes totalitaires qu’a connus le XXe siècle n’ont jamais fait mystère de leurs ambitions normatives et prométhéennes, excluant tout autre jugement que celui de l’Histoire. Mais d’autres formatages sont à redouter pour l’humanité brisée par l’oubli de Dieu, à commencer par les tyrannies internes qui s’installent dans les consciences. Si l’Église Catholique a animé puissamment la vie collective des nations européennes, c’est d’abord par souci de vérité, au Nom du Christ-Sauveur, rappelant à chacun l’échéance personnelle d’un face à face avec le Juste Juge, le moment venu. Invulnérable aux ennemis de l’extérieur, l’Église a été trahie, attaquée de l‘intérieur, par déconsidération méthodique de son passé historique. Nous allons voir comment.

Exposant sans relâche que nous sommes en cette vie pour accéder à la Vie éternelle, et que nous rendront compte de l’usage des talents reçus, l’Église de la Chrétienté n’a jamais prétendu à l’extinction des conflits de voisinage, et les affrontements guerriers des nations chrétiennes n’ont jamais disparu. Créée par le traité de Versailles en 1919, la Société des Nations, censée œuvrer à la coopération pacifique des pays (membres) suite à la Grande Guerre (14/18), doit beaucoup à la gnose maçonnique. Elle a fait long feu.

« Plus jamais la guerre ! » scandait pathétiquement le Pape Paul VI à la tribune de l’ONU en octobre 1965, dans les derniers mois d’un laborieux concile, lequel votait le 7 décembre suivant, en catastrophe, une dizaine de textes bancals, qui vont détruire l’Église de l’intérieur. En exigeant l’obéissance sans faille à une volte face magistérielle sans précédent ; en additionnant, en vrac, des textes d’autorité disparate, fauteurs de confusion ; en cultivant la fiction d’un esprit du concile dont il devenait impardonnable de douter, l’Arche de Salut des Sociétés devenait l’ennemie des chrétienté subsistantes. Les pays catholiques furent sommés, par l’Église, de renoncer à la religion catholique d’État. Finalement, les défroqués en nombre avaient compris avant les autres. La Paix du Christ est rendue obsolète par les internationales laiques qui s’en chargeront désormais ? A quoi servira donc « l’homme séparé pour la Gloire de Dieu » ? Bien vu !

L’angélisme conciliaire, et notamment celui de Gaudium et Spes, battait la coulpe d’une Église fautive de donner au monde une fausse image de Dieu. Pris d’une effrayante maladie auto-immune, l’Institution traquait ses cellules les plus saines. Dénués de culture littéraire, telle que « le lion amoureux » de La Fontaire, ou « Le Chat Botté », de Perrault, les prédicateurs de nuées imaginaient qu’en rendant les armes, l’Église séduirait ceux qui la combattaient. Échec total, qui suggère que les réformateurs, artisans de paix, aspiraient en réalité à l’invisibilité de l’Église, par consomption lente de l’idée de vérité salutaire, et disparition progressive des énergies militantes.

Hormis la trahison des clercs, rêvant d’une église sans visibilité, et dévoilant de facto les « trêtres » en leur sein, diverses promotions d’un laïcat mieux formé servirent au cours du XXe siècle, et jusqu’à nos temps synodaux, l’idée d’une parité entre les baptisés et les prêtres.

Les « Foyers de Lumière, de Charité et d’Amour », sous l’égide du Père Finet et l’appui de Marthe Robin, avaient, dès 1936, proposé des retraites pour laïcs, masculins et féminins, puis mixtes. Que les laïcs fussent mieux formés n’était pas blâmable en soi, mais qu’une paysanne alitée ait qualité pour valider une œuvre d’Église était plus discutable. C’est en effet à la validation de Marthe que s’adosse en 1975 la Fraternité Saint Jean, qui deviendra ensuite oblate de l’abbaye de Lerins. L’épiscopat est-il déjà si passif ?

En 1943, à Trente (Italie), une jeune institutrice, Chiara Lubich, suggère un engagement spirituel catholique sans que les consécrations usuelles fussent adoptées. Notre enseignante prend, discrètement d’abord, assurément ensuite, un ton magistériel. A société nouvelle, il faut des relations nouvelles, sans rupture avec l’Église, mais sans inféodation aux arcanes du passé. Le prêtre est utile pour l’accès aux sacrements, mais il n’a aucun pouvoir d’organisation. Le pâle et fragile abbé Pascal Foresi, caution commode, n’en réclame aucun.

Au fil des ans, les Focolari de Chiara Lubich vont préciser leur but ultime. Sans quitter l’Église en l’état délabré de l’après-Concile, et tout en approuvant, à la façon d’auteurs dits chrétiens, la fin de la superbe d’hier vis à vis du monde, que les choses soient claires : « La fraternité universelle, voilà le grand projet de Dieu sur l’humanité », affirme Chiara Lubich. A défaut d’une citation évangélique propre à cet énoncé, c’est l’invitation du Christ rapportée par Saint Jean « Que tous soit un » (Jn,17,21) qui est ainsi détournée. C’est à ses disciples que le Christ demande d’être unis, pas à l’humanité universelle hors de portée.

Pour bâtir la fraternité universelle, il faut abolir ce qui divise, et œuvrer au dialogue inter-religieux. Les Focolari deviennent un mouvement interconfessionnel. Le seul Sauveur est prié de cohabiter pacifiquement avec ses contrefaçons. Le prêtre, alter Christus, devient, dans cet agrégat, un sujet lambda. En 2017, Maria Voce, présidente des Focolari, interrogée à Rome par KTO, clarifie les choses : « L’Unique Église du Christ, telle que voulue par lui, n’est pas l’Église Catholique. ». Tenus à l’occasion du Jubilé d’or du Renouveau Charismatique (3/4 juin 2017), ces propos apostats exposent l’esprit gnostique qui l’anime : l’amour du prochain, la réception de l’Esprit qui souffle oû il veut, sont affranchis de toute affiliation. Aucun clergé, aucune chapelle ne sont requis.

Analogiquement, quoique exempte des dérives focolaresques, la Communauté de l’Emmanuel prend naissance en 1972 par une filiation charismatique venue des États-Unis. Deux laïcs vont étoffer leur groupe de prière, et attirer largement, jusqu’à la reconnaissance de 1992. Plus authentiquement arrimée à l’Eglise-Institution, et d’une théologie classique, l’Emmanuel va attirer des prêtres, dont certains deviendront évêques, comme Monseigneur Rey en 2000 à Fréjus-Toulon. Confronté à la nécessité de gouverner, cette promotion soulèvera bien des contradictions, et une méfiance troublante vis à vis de la Tradition.

Il serait vain, à vrai dire, de chercher la moindre critique de Vatican II dans les publications émanant des mouvements évoqués. Si l’on considère la FSSPX qui, à la suite de Mgr Lefebvre, accuse le Concile ouvertement, et promeut la continuité de l’Église traditionnelle pour assurer son regain, aucune officine soucieuse d’activer un « renouveau » dans la vitalité ecclésiale n’a pris le risque d’imputer à Vatican II la moindre responsabilité dans l’implosion qui lui a fait suite. Le mantra post-conciliaire est inchangé depuis 60 ans : Vatican II est le chemin de renouveau voulu par l’Esprit du Concile. S’en écarter, c’est rompre la Communion.

A la façon d’un axiome mathématique posé en préambule sans démonstration, mais ayant substitué le postulat à l’évidence, l’observance inconditionnelle du Concile réservait logiquement le déploiement du « cursus honorum » aux seuls séides. Il fallait faire allégeance à la gnose pacifiste, ou renoncer à toute intégration conforme à ses talents. Le prêtre tridentin, première victime du Concile, en reste la cible privilégiée s’il promeut la vérité contre l’erreur, la famille chrétienne féconde plutôt que la sponsalité paradisiaque, le devoir d’état plutôt les fantaisies désordonnées. La synodalité affecte d’en ignorer la mission et les prérogatives.

Dans une lettre de PL de novembre 2024, nous interrogions Mgr Marc Beaumont, évêque de Moulins, et ouvertement lié au Mouvement des Focolari : « Êtes vous un évêque catholique, ou un évêque servant l’objectif des Focolari, fût-il celui du Pape régnant ? Prêchez vous sur la Vie éternelle, ou sur la volonté divine de fraternité universelle, ignorée du Christ ?"

Qui ne dit mot consent au soupçon, et l’amplifie. D’autres affidés notoires ? Quid du Cardinal Becciu, déconsidéré par un scandale financier ? Quid du Cardinal brésilien Braz de Aviz, du Cardinal irlandais Kevin Joseph Farrel, éligibles tous les deux, ou du nonce Migliore, ainsi nommé par anti-phrase ? Que d’artisans de Paix s’autorisant, au nom de la paix, le mépris de la Vérité qui seule rend libres...Plus jamais la guerre ? Quelle blague ! Les cibles ont été déplacées et menacent ceux qui ont compris la nocivité du Concile et l’exposent. Il n’y aura pas de regain ecclésial sans se débarrasser des abus du Concile Vatican II et le poison dont un excipient douceâtre a permis l’absorption, mais dont la toxicité détruit lentement toute notion de nos devoirs envers Dieu. La tyrannie du « concile incontournable » n’est, comme chez Ionesco, que la baudruche que gonfle les ambitions terrestres, et l’oubli du Ciel.


Philippe de Labriolle

Psychiatre Honoraire des Hôpitaux

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