Notre lettre 1000quart publiée le 13 février 2024

QUATRIEME VOLET DE NOTRE ENQUÊTE

MAIS POUR QUI DONC « ROULE »

PAIX LITURGIQUE ?


LE TEMPS DES LAICS
POUR ESSAYER DE RETABLIR
LA PAIX ET LA JUSTICE
DANS L'EGLISE

Et comme toute série doit avoir une fin, voici le quatrième et dernier volet de notre enquête " Mais pour qui roule Paix Liturgique ? " Une lettre qui, comme plusieurs lecteurs nous l'on déjà demandé, ne sera pas vraiment "une fin" car malheureusement les occasions ne manqueront pas de poursuivre nos enquêtes pour ajouter de nombreuses " suites " à une situation devenue dramatique.


Louis Renaudin – Cher Christian, la situation actuelle est-elle donc si grave ?

Christian Marquant – Une situation bien grave. En effet, j’ai rappelé lors du précédent entretien que les papes Jean-Paul II et Benoit XVI avaient œuvré pour rétablir la paix dans l’Église en redonnant un statut à ceux des prêtres et des fidèles qui voulaient continuer à vivre leur foi catholique au rythme de la liturgie traditionnelle. Or, avant même la mort de Benoit XVI, nous avons vu le Pape François, par la promulgation de son motu proprio Traditionis custodes, revenir complétement sur ces mesures d’apaisement en affirmant, comme d’autres avec lui, comme les cardinaux Parolin et Ouellet, qu’était venu le moment d’en finir définitivement avec la liturgie traditionnelle.


Louis Renaudin – C’est incroyable…

Christian Marquant – Tout à fait, car si il pouvait être compréhensible que Paul VI ait tenté cela en 1970, il est incompréhensible que François y revienne en 2022, plus de 50 ans après l’échec de la tentative de Paul VI.


Louis Renaudin – Alors, pourquoi cette décision selon vous ?

Christian Marquant – Je ne pense pas qu’elle puisse être « raisonnable ». Par ailleurs, j’ai affirmé lors de l’entretien précédant que les motifs sur lesquels le pape s’appuyait pour justifier sa décision – une manipulation frauduleuse des résultats de l’enquête auprès des évêques du monde sur la célébration de la liturgie traditionnelle – rendaient cette dernière non recevable. Alors il ne reste plus qu’une hypothèse : celle que le parti néo-moderniste, sentant l’échec de sa tentative révolutionnaire, tente un dernier coup de force du côté de la lex orandi… Le dernier cri de la bête agonisante, ai-je dit quelquefois depuis 2022 : malgré la situation et l’évolution de retour vers la foi, il veut essayer de faire triompher ses convictions déviantes.


Louis Renaudin – Mais comment l’expliquez-vous ?

Christian Marquant – Assez simplement : on a assisté depuis plus d’un demi-siècle au suicide du catholicisme : les hérésies cessant d’être condamnées, des catholiques devenus hétérodoxes sont restés dans la maison et l’ont occupée.


Louis Renaudin – Les fumées de Satan de Paul VI ?

Christian Marquant – Sans doute. Des personnes qui ont une autre croyance que la foi catholique ont profité du chaos provoqué par le concile de Vatican II pour « pousser le bouchon » au maximum, dans les domaines théologiques et liturgiques, puis moraux. Pensez à Fiducia supplicans, faisant suite à Amoris lætitia.


Louis Renaudin – Mais sont-ils si puissants ?

Christian Marquant – Ils l’étaient mais ils le sont moins, car les forces de l’Église s’épuisent et qu’eux-mêmes ne se renouvellent pas. Il ne va bientôt plus rester dans l’Église que les chrétiens et clercs les plus classiques. Le renouveau qui se dessine timidement ne se fait pas avec les « progressistes ». Dans la situation où ils sont, on tente comme l’on dit le tout pour le tout. Ils tentent en matière de liturgie – qui est la vitrine de ce qu’ils font par ailleurs – en s’appuyant sur leur apparente autorité et légitimité, de séparer définitivement l’Église de sa tradition. Pour ma part, je pense qu’humainement ils auraient pu y réussir dans les années qui ont suivi le Concile, mais maintenant que le monde traditionnel est devenu particulièrement vivace je crois qu’ils n’en ont plus la possibilité.


Louis Renaudin – Vous pensez que cette dernière tentative des néo-modernistes est sans espoir ?

Christian Marquant – Ils peuvent encore faire beaucoup de mal. Ils sont en place, mais ils ont encore le pouvoir ! Regardez ce qui est arrivé à Mgr Rey ou à Mgr Strickland.


Louis Renaudin – Mais il reste le monde « Ecclesia dei » ?

Christian Marquant – Un monde trop souvent tremblant, qui n’a pas envie de se faire décapiter comme le furent les franciscains de l’Immaculée.


Louis Renaudin – Alors que reste-t-il en dehors de la prière bien-sur ?

Christian Marquant – Au sein de l’Église, les laïcs mon cher Louis, les laïcs.


Louis Renaudin – Mais les laïcs aussi doivent obéir.

Christian Marquant – Sauf aux ordres injustes, comme d’ailleurs les clercs. Mais à la différence des clercs ils ont une plus grande facilité pour résister à l’injustice. Aujourd’hui, où le droit canonique n’existe plus de facto dans l’Église, les clercs sont souvent sur l’enclume. Mais les laïcs ne peuvent pas être attaqués, anathématisés, interdits de la même manière et aussi facilement : ils n’ont fait aucun vœu religieux, n’ont pris aucun engagement, ne dépendent pas des autorités pour leur vie ou leurs besoins, bref ils ont un large espace de liberté à leur disposition.


Louis Renaudin – Vous prêchez la désobéissance ?

Christian Marquant – Pas du tout : il faut obéir aux pasteurs de l’Église. Mais dans la situation chaotique où nous nous trouvons, obligés que nous sommes à nous diriger nous-mêmes par le bon sens chrétien du point de vue liturgique, pour l’enseignement du catéchisme de nos enfants, et pour ne pas perdre la foi catholique, avant d’obéir nous devons bien comprendre à quoi nous devons obéir et voir si les ordres et orientations auxquels on nous demande d’obéir sont légitimes, moraux et conformes à leur foi.


Louis Renaudin – N’est-ce pas ergoter ?

Christian Marquant – N’oubliez pas que l’on a souvent reproché à certains de nos anciens d’avoir obéi trop aveuglement, sans avoir réfléchi suffisamment au bien-fondé et aux conséquences des ordres injustes que des autorités leurs donnaient. Il faut donc en tirer une leçon essentielle : obéir sans doute et même toujours… mais en étant certain que les ordres donnés sont bons, légitimes et en conformité avec la foi catholique.


Louis Renaudin – Mais ces ordres, comme vous dites, émanent le plus souvent de pasteurs légitimes ?

Christian Marquant – Pas toujours, mais en effet le plus souvent… D’abord, vous conviendrez que l’histoire fourmille d’exemples où des pasteurs, même très hauts placés, se sont fourvoyés. Et surtout, nous sommes dans une situation exceptionnelle où, encore une fois, pour ne parler que de ces deux exemples, c’est souvent contre nos pasteurs que nous conservons la liturgie et le catéchisme intégralement catholiques.


Louis Renaudin – Mais si les ordres viennent du pape lui-même ?

Christian Marquant – Le pape est le gardien suprême de la foi. Encore faut-il qu’il veuille la défendre et trancher contre les erreurs. Souvenez-vous que l’abbé de Nantes, Jean Madiran et combien d’autres n’ont cessé d’en appeler au pape pour qu’il dise la foi contre les erreurs que le même pape laisse passer.


Louis Renaudin – Mais tout de même, quand le pape s’exprime par un motu prorpio…

Christian Marquant – …comme Traditionis custodes, où il dit le contraire d’un motu proprio comme Summorum Pontificum, cela prouve, au minimum que le débat reste ouvert... et qu’il faut agir avec intelligence et prudence.


Louis Renaudin – Que doit donc être la règle ?

Christian Marquant – Quand l’autorité en charge de la foi ne s’exprime pas ou s’exprime de manière peu claire, restons-en, en attendant, à l’instinct de la foi, restons-en si vous le voulez bien au Commonitorium de Saint Vincent de Lérins, qui enseigne, pour évaluer nos convictions, de : « Tenir pour vérité de foi ce qui a été cru partout, toujours et par tous ».


Louis Renaudin – Mais peut-être que les choses peuvent changer ?

Christian Marquant – Oui et non. Comme le dit encore le Commonitorium : « La doctrine chrétienne n'est donc susceptible d'aucun progrès dans l'Église du Christ ? » Certes, il faut qu'il y en ait un, et considérable ! […] Mais sous cette réserve, que ce progrès constitue vraiment pour la foi un progrès et non une altération : le propre du progrès étant que chaque chose s'accroît en demeurant elle-même, le propre de l'altération qu'une chose se transforme en une autre. » Changement, oui, mais « dans le même dogme, dans le même sens, dans la même pensée. » Quand donc on nous dit qu’on peut bénir les couples illégitimes ou de même sexe : prudence, extrême prudence !


Louis Renaudin – Mais dans la vie beaucoup de choses changent.

Christian Marquant – En matière de mode surtout. Mais si l’on prenait cette option « Que tout change » l’on pourrait se dire aussi : pas de problème tout change aujourd’hui mais changera encore demain donc attendons avant de réagir et d’obéir trop vite. Mais ce n’est pas la bonne manière de faire en matière religieuse qui, je le crois devrait être plus stable. Si vous ne me croyez pas, croyez saint Vincent de Lérins : « Qu'il en soit de la religion des âmes comme du développement des corps. Ceux-ci déploient et étendent leurs proportions avec les années, et pourtant ils restent constamment les mêmes. Quelque différence qu'il y ait entre l'enfance dans sa fleur et la vieillesse en son arrière-saison, c'est un même homme qui a été adolescent et qui devient vieillard. »


Louis Renaudin – Mais nos pasteurs nous disent que rien n’est changé.

Christian Marquant – Si c’est le cas, il n’existe pas de problème, la crise va se résorber et les conflits retomber comme la pâte d’un soufflé. En revanche, si nos pasteurs s’éloignaient réellement des croyances de l’Église, nous ne les suivrions pas.


Louis Renaudin – Pensez-vous néanmoins qu’il serait possible que certaines autorités n’aient plus la foi de l’Église ?

Christian Marquant – Je ne saurais vous le dire, mais il arrive que des prélats fassent des déclarations si étranges qu’ils peuvent m’amener à le craindre.


Louis Renaudin – Pouvez-vous me donner un exemple ?

Christian Marquant – Prenons celui du cardinal Arthur Roche, déclarant à propos de la messe que « la théologie de l’Église a changé » (Lettre de Paix liturgique 930 du 11 avril 2023). Qu’est-ce à dire ? Que la foi a changé ? Que notre Credo n’est plus d’actualité ?


Louis Renaudin – Il faudrait lui poser la question…

Christian Marquant – Pas facile. J’ai rarement vu un prélat aussi fuyant. Je prends mon propre exemple pour l’illustrer. Depuis plus de 30 ans, lorsqu'arrive à la tête du Culte divin un nouveau Préfet, le cardinal Medina, le cardinal Cañizares, le cardinal Sarah, je vais le saluer, lui présenter notre association et nos travaux en sollicitant ses conseils. Pour Arthur Roche, il a été impossible de le rencontrer, ni même de le voir ou de prendre un café avec lui. Et je sais qu’il a réservé un accueil semblable – c’est-à-dire plutôt « un non-accueil » – à la Fédération Internationale Una Voce, c’est-à-dire à ceux qui aimeraient comprendre ce qui se passe de la bouche même de celui qui s’exprime de cette étrange manière. Comme si il avait peur de clarifier les choses.


Louis Renaudin – Mais le cardinal Roche doit-être débordé.

Christian Marquant – Pas plus que ses prédécesseurs qui nous ont toujours accordé quelques moments. Mais pour le cardinal Roche, quand on lui demande s’il a un instant pour nous, c’est toujours « NADA » une sorte de variante négative du célèbre « TODOS » ou alors un genre de « NADA por TODOS los tradicionalistas ».


Louis Renaudin – Mais que voudriez-vous lui demander ?

Christian Marquant – En quoi la théologie de l’Église concernant la messe a changé ? Pourquoi Traditionis custodes dit-il que la messe ancienne n’est plus lex orandi ?


Louis Renaudin – Mais Traditionis custodes est tout de même une décision prise par le pape.

Christian Marquant – Soit, mais je n’imagine pas qu’un pape du XXIe siècle puisse se comporter avec la théologie et le droit comme un dictateur d’Amérique latine avec les lois et les constitutions.


Louis Renaudin – Le pape semble pourtant très concerné par la question de l’unité.

Christian Marquant – C’est pour cela, à mon sens, qu’il a accordé à la Fraternité Saint Pie X des facilités qu’elle ne lui avait même pas demandées. Mais le paradoxe est que d’un côté le pape fait des amabilités à la FSSPX (ce que je comprends bien) et pour d’autres il agit comme un « je ne veux voir qu’une seule tête ».


Louis Renaudin – Ne voir qu’une seule tête ?

Christian Marquant – Alors que les liturgies modernes sont si variables, personnalisées et contenant tant de choix possibles, qu’elles sont toutes différentes. Sauf bien sûr, et j’y reviens, si le pape, comme le cardinal Roche, considérait que les différences entre les deux liturgies, l’ancienne et la nouvelle, seraient de l’ordre de la foi.


Louis Renaudin – De l’ordre de la foi ?

Christian Marquant – Ce qui signifierait que les deux rites n’illustreraient plus la même foi. Par exemple celle de la réalité du renouvellement non sanglant du sacrifice du Christ et sa présence réelle dans les saintes espèces… Ce qui pourrait expliquer l’abandon de toutes les marques traditionnelles de dévotion comme les génuflexions, les agenouillements ou les usages respectueux de recevoir l’eucharistie.


Louis Renaudin – Vous allez loin.

Christian Marquant – Et j’espère avoir tort. Mais la question est bien là : soit les deux messes sont semblables par rapport à la foi de l’Église, soit elles ne le sont pas. Si par malheur s’était le cas il faudrait éclairer précisément cette question.


Louis Renaudin – Qu’allez-vous faire en tant que laïcs ?

Christian Marquant – Continuer à réclamer le catéchisme catholique et les sacrements catholiques pour nos familles. Et pour cela nous continueront à soutenir tous les prêtres qui nous les accorderont.


Louis Renaudin – Et donc à la question de cette série d’entretiens « Pour qui roule Paix Liturgique ? », vous répondez : « Pour les laïcs catholiques ! »

Christian Marquant – Exactement. J’espère que ma réponse est plus claire pour vous aujourd’hui : nous agissons sans relâche pour les laïcs qui veulent continuer à vivre leur foi catholique comme l’ont fait leurs aïeux, avec les mêmes croyances et espérances. Cela implique que nous continuerons à interpeller nos pasteurs pour y voir clair et que nous soutiendrons tous les clercs, sans exception, qui nous aident à nourrir nos âmes par les sacrements et leur enseignement catholique.

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