Notre lettre 1000bis publiée le 1 février 2024
MAIS POUR QUI DONC « ROULE » PAIX LITURGIQUE ?
SECOND VOLET DE NOTRE ENQUÊTE : UN DEMI-SIECLE DE TRAHISON CLÉRICALE
Nous avons évoqué lors d’un premier entretien (Lettre 1000, Paix Liturgique France) le fait que de nombreux catholiques pratiquants ou non s’étaient déclarés, souvent clairement en opposition avec les orientations ecclésiales postconciliaires. Louis Renaudin, en conclusion, avait posé la question de savoir pourquoi les évêques n’avaient pas compris ou voulu comprendre la position de ces nombreux fidèles. Nous abordons aujourd’hui la relation de situations qui ont entrainé une désaffection de plus en plus importante des fidèles face à une Église « qui était allée trop loin dans ses réformes » avant de traiter, lors d’un prochain entretien, ce qu’il va nous devoir faire dans les années à venir.
Louis Renaudin - Si je reprends la conclusion de notre premier entretien je crois avoir compris qu’au-delà des apparences c’est une immense protestation, mais en partie silencieuse, qui s’est levée au sein de l’Église et que c’est pour cela que les pasteurs ont fait la sourde oreille aux réticences des laïcs?
Christian Marquant - Pour le comprendre il nous faut revenir sur le Concile Vatican II, un événement qui date maintenant de plus d'un demi-siècle puisqu’il s’est déroulé entre 1962 et 1965, et sur lequel beaucoup n’ont plus de connaissances.
Louis Renaudin - Et que donc s'y est-il passé ?
Christian Marquant – Dans un premier temps le pape Jean XXIII a déclaré que les Pères allaient dépoussiérer le visage de l'Église, la mettre à jour, y faire un aggiornamento. Pourquoi pas, dirais-je. Puis, imperceptiblement, s'est instillé un glissement qui concrètement nous a transformé l’Église.
Louis Renaudin - Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Christian Marquant – Le plus immédiat et visible fut la disparition des habits ecclésiastiques, qui a commencé sous Jean XXIII (le cardinal Feltin avait pris en 1962, l’année de l’ouverture du Concile, un décret tolérant l’habit de clergyman pour les prêtres de Paris). Après le Concile, en quelques mois, fini les soutanes, fini les religieuses en habit, … Peut-être me direz-vous que ce n’était qu’un signe extérieur du clergé catholique et non un aspect essentiel, mais ce premier signe de sécularisation s’avéra révolutionnaire car tous les hommes de nos contrées, catholiques ou non, identifiaient d’abord le clergé et sa présence par son habit particulier et du jour au lendemain tous ces signes disparurent et le clergé se mit à disparaitre de la vie quotidienne.
Louis Renaudin - Alors qu’il était encore présent dans les imaginaires.
Christian Marquant – Bien sûr ! Pensez à Léon Morin prêtre, avec Belmondo en soutane, au célèbre Don Camillo ou, un peu plus tard, à la religieuse du Gendarme de Saint-Tropez et à beaucoup d’autres. Il faudra des dizaines d’années pour que cet imaginaire s’estompe.
Louis Renaudin – Mais cette généralisation de l’abandon de la soutane était-elle une décision officielle du Concile ?
Christian Marquant – Vous soulevez là une question essentielle, mon cher Louis, car ce qui s’était réellement dit ou pas, décidé ou pas, au Concile, était ignoré du plus grand nombre des fidèles et reste encore bien mystérieux 50 ans après la publication des actes officiels du Concile. Ce qui est plus clair c’est que quelques clercs aux commandes, relayés par l’immense majorité des médias, mirent en œuvre, avant, pendant et bien sûr après le Concile un énorme tsunami que l’on appela « l’Esprit du Concile », dont on ne sait pas au juste les liens qu’il avait avec les vraies décisions des Pères conciliaires mais qui devint rapidement, et dès avant la fin du Concile, une sorte de matraquage imposé de force se présentant comme la mise en œuvre de ce qui aurait été décidé par les Pères conciliaires.
Louis Renaudin - Était-ce le cas ?
Christian Marquant – C’est une question à laquelle il m’est bien difficile de répondre tant les choses se sont mêlées. En revanche ce qui est certain c’est que le tsunami de « l’Esprit du Concile » fit croire comme décisions prises au Concile des choses qui ne l’avaient pas été : l’abandon de l’habit ecclésiastique ou celui du latin et du chant grégorien en sont des cas très clairs.
Louis Renaudin - Mais des décisions de cet ordre furent-elles suivies ?
Christian Marquant – Très largement et ceux qui auront la patience de consulter l’ouvrage La génération défroquée de François Charles, publié aux Éditions du Cerf en 1986, s’étonneront peut-être d’y découvrir des groupes entiers de séminaristes qui, du jour au lendemain, jetèrent leurs habits aux orties. Évidemment, certains prêtres plus courageux que d’autres ont pu conserver leurs soutanes mais dans les faits « pour faire comme les autres » l’immense majorité des clercs suivit le mouvement.
Louis Renaudin - Mais ce tsunami n’en resta pas aux habits ecclésiastique ?
Christian Marquant – Malheureusement… Car la question de la disparition de l’habit ecclésiastique se déroula au cours d’un énorme maelstrom iconoclaste qui vit la destruction d’une grande partie du décor de nos églises, qui étaient relookées dans le style affligeant et pathétique des années 60/70 en entrainant un changement systématique des mobiliers liturgiques.
Louis Renaudin - Des exemples ?
Christian Marquant – La destruction quasi générale des tables de communion mais aussi des autels anciens avec leurs tabernacles, ou en tout cas leur abandon pour des « tables à repasser ». L’abandon des chaires remplacées par un micro dans le chœur avec sonorisation moderne avait commencé avant le Concile mais devint systématique après.
Louis Renaudin - Mais comment les clercs iconoclastes expliquaient-ils cela ?
Christian Marquant – Il fallait changer, être de son temps, faire jeune, être dans le vent, ne pas louper le virage de la modernité.
Louis Renaudin - Mais tout cela se sont des mots...
Christian Marquant – Oui mais des mots très forts auxquels n’ont pas su rétorquer les personnes pieuses et simples qui formaient la presque totalité des catholiques clercs et laïcs des années 60 à 80.
Louis Renaudin – C’est pour cela que ce matraquage a fonctionné ?
Christian Marquant – En fait, et c’est ce que j’ai essayé de démontrer lors du premier entretien, il n’a pas tant fonctionné que cela… et il est clair que pour une majorité des fidèles ce discours n’avait pas de sens. Les fidèles eurent tôt fait de voter avec leurs pieds, comme on dit, d’autant que tout cela se déroulait dans un univers de bruit et de sottise.
Louis Renaudin - Vous pensez aux célèbres messes guitares ?
Christian Marquant – Même pas… car ces messes guitares n’étaient que la partie visible d’un iceberg de bêtise et de folie bien plus importantes.
Louis Renaudin - Lequel ?
Christian Marquant – Les églises devinrent les temples du bruit et du bla-bla, parfois simplement nul mais souvent aussi dans des logorrhées sociales et politiques qui ne laissaient plus de place aux questions de la religion.
Louis Renaudin - Des discours politiques ?
Christian Marquant – Oui, des discours lourdement politique et social de gauche (à l’époque, le marxisme avait encore des attraits) avec, dans le même temps, un abandon presque total de toute catéchèse. Le paroxysme de cette démence se développa en 1968 où, disons-le, une part notable du clergé s’engagea dans l’étrange voie de la révolution étudiante et sociétale.
Louis Renaudin - N’exagérez-vous pas ?
Christian Marquant – Malheureusement non. Je vais même plus loin : la révolution de 1968 aurait-elle eu lieu comme elle a eu lieu, sans avoir été précédée de celle de 1965 dans l’Église ? C’est tout naturellement que les prêtres sont devenus des « prêtres de 68 » ; Plus question de prière, de confession, de jeûne, de procession ou de dévotions. Tous les sociologues religieux l’ont noté : disparition de la prédication sur l’enfer et même sur le purgatoire. Le péché ? Non : d’abord l’amour !
Louis Renaudin - Mais là encore il devait rester des prêtres plus sages ?
Christian Marquant – Bien sûr mais ils furent chassés et persécutés et souvent ne purent résister qu’en cachette.
Louis Renaudin - Mais il restait le catéchisme
Christian Marquant – Vous faites bien d’en parler car en ces temps de folie le catéchisme fut particulièrement attaqué. C’est à ce moment que se répandit en France le Catéchisme hollandais publié en 1966 par la conférence épiscopale de hollande : disons le tout simplement un catéchisme qui n’enseignait plus la foi catholique. Rappelons que c’est ce catéchisme qui provoqua l’un des premiers mouvements de résistance, celui des Silencieux dont j’ai parlé dans mon premier entretien.
Louis Renaudin - Mais in fine ce catéchisme Hollandais fut condamné par Rome…
Christian Marquant – Certes mais très lentement et en fait sa relativisation du dogme catholique se retrouve d’une autre manière dans le parcours français Pierres vivantes de 1981, qui fut indirectement critiqué par le cardinal Ratzinger dans deux conférences qu’il donna à Lyon et Paris en 1985. Mais pendant ce temps-là ce sont ces manuels qui se propageaient au sein de l’Église. Une situation qui eut d’ailleurs une heureuse conséquence : la création de réseaux familiaux de catéchisme qui fut l’une des premières actions entreprises par les laïcs pour s’opposer aux folies ecclésiastiques et déjà en invoquant la liberté et la responsabilité des familles.
Louis Renaudin - Et comment se passaient les choses dans le domaine liturgique ?
Christian Marquant – La situation de la liturgie dépendait des prêtres qui détenaient encore l’autorité. Et si dans les zones urbaines le pouvoir avait été pris presque partout par des prêtres modernes, en province et à la campagne les situations étaient plus nuancées et lorsque l’abbé Louis Coache publia son Vade Mecum du catholique fidèle en 1967 il pouvait encore justement affirmer qu’il parlait au nom de plusieurs milliers de curés de paroisses français.
Louis Renaudin - Mais que faisaient les fidèles ?
Christian Marquant – Cette situation a été la fin de l’attachement aux paroisses territoriales, telles qu’elles existaient avant le Concile. Un nombre notable de fidèles se mirent à fréquenter les paroisses qui correspondaient le mieux à leurs attentes progressistes, conservatrices, traditionalistes. Ce fut spécialement le cas des modernes qui fuyaient les dernières paroisses classiques et ce fut le cas également des fidèles plus traditionnels qui recherchaient les paroisses où l’on vivait sa foi d’une manière classique.
Louis Renaudin - Donc cohabitaient des liturgies tout à fait différentes ?
Christian Marquant – Imaginez en 1967 la procession de la fête Dieu de Montjavoult où le curé, l’abbé Louis Coache, continuait à faire ce qui s’était fait partout, dans toutes les paroisses, depuis des siècles et, par ailleurs, dans la plupart des autres paroisses de France, la disparition des processions, vêpres et récitations de chapelets, paroisses où il n’était pas rare d’entendre dans une église l’apologie de Che Guevara ou de Martin Luther King.
Louis Renaudin - Mais d’une certaine manière il restait un espace de liberté pour les clercs et les fidèles.
Christian Marquant – Vous avez raison, même si il faut se souvenir que ceux qui résistaient à « l’Esprit du Concile » étaient persécutés et donc bien peu nombreux. Mais bientôt les ennemis de la Paix eurent entre les mains un nouveau moyen pour tenter de détruire les dernières résistances : la réforme de la liturgie, commencée en 1964, aboutit à la promulgation d’une nouvelle messe en 1969, qui semblait très largement inspirée des liturgies protestantes.
Louis Renaudin - Alors qu’officiellement cette nouvelle liturgie se présentait comme un retour aux sources anciennes de la liturgie...
Christian Marquant – Dans la réforme, la « mise à jour » absorbait le « retour aux source ». D’autant que tous les experts actuels en liturgie savent aujourd’hui que ce « retour aux sources » n’avait rien de sérieux. Cette nouvelle liturgie était essentiellement une création de novateurs idéologues. Mais la question n’est pas seulement là : elle réside dans le fait que cette nouvelle liturgie va devenir instrument révolutionnaire – qu’elle est d’ailleurs restée, comme en témoigne Traditionis custodes – et le moyen de faire cesser les résistances à « l’Esprit du Concile ».
Louis Renaudin - Comment cela fut-il possible ?
Christian Marquant – En décrétant que la nouvelle liturgie aurait un caractère d’obligation à partir de 1970.
Louis Renaudin - Cela voulait dire qu’à partir de 1970 la célébration de la liturgie ancienne était interdite ?
Christian Marquant – Exactement ! Sauf pour les prêtres âgés ou malades qui n’étaient plus en mesure de le faire.
Louis Renaudin - C’était un coup de maitre pour faire disparaitre toutes les résistances.
Christian Marquant – Mais aussi pour faire réagir les opposants à cette révolution. La nouvelle liturgie a soulevé la résistance, comme jadis, lors de la Révolution, l’avait fait la Constitution civile du Clergé.
Le premier ouvrage qui critiquait en détail la nouvelle messe fut l’œuvre de Louis Saleron qui faisait partie de l’équipe de la revue Itinéraires que dirigeait Jean Madiran. Mais c’est aussi dans les rangs des clercs que se forma un front du refus de l’apostasie.
Louis Renaudin - Comment ?
Christian Marquant – Il y avait déjà eu plusieurs prêtres comme l’abbé de Nantes ou l’abbé Coache qui s’étaient levés contre le néo-modernisme mais bientôt ce fut l’ancien archevêque de Dakar, Monseigneur Marcel Lefebvre, qui éleva sa voix en acceptant d’accueillir de jeunes garçons qui voulaient devenir prêtres catholiques en harmonie avec la foi millénaire de l’Église.
Louis Renaudin - Que fit donc Mgr Lefebvre ?
Christian Marquant – L’histoire est longue. Permettez-moi de la résumer en seulement quelques lignes. Dans un premier temps Mgr Lefebvre fut accueilli par l’évêque de Fribourg, en Suisse, ses séminaristes étudiant à l’université catholique du lieu. Puis il s’installa dans le canton du Valais à Écône, où il créa un séminaire indépendant, ordonnant des prêtres qu’il faisait incardiner dans divers diocèses. Enfin, sa Fraternité ayant été dissoute par Rome en 1976, il en vint à ordonner sans incardination. Tout cela s’effectua dans un vent de folie où les modernes, comprenant qu’ils étaient en train d’échouer leur tentative d’OPA sur l’Église, se déchainèrent en attaquant Mgr Lefebvre de la manière la plus violente.
Louis Renaudin - Et que se passa-t-il ?
Christian Marquant – En 1976, Paul VI frappa Mgr Lefèvre d’une suspense a divinis. J’ai parlé dans le premier volet de cet entretien de la messe « sauvage » qu’il célébra à Lille et du sondage de l’IFOP publié par le Progrès, journal de Lyon, où 48% des catholiques pratiquants estimaient que l’Église était allée trop loin dans les réformes et qu’on leur avait changé la foi.
Louis Renaudin – Mais où donc les fidèles mécontents allèrent-ils à la messe ?
Christian Marquant – Ce fut une période terrible pour les plus décidés d’entre eux qui ne voulaient pas de la nouvelle liturgie. Ceux qui voudront en savoir plus pourront lire les correspondances échangées entre Mgr Ducaud Bourget et le cardinal Marty entre 1967 et 1975… Ils comprendront que pendant ces années de plomb, surtout dans les villes, les fidèles qui n’adhéraient pas aux folies nouvelles FURENT CHASSES DE LEURS PAROISSES.
Louis Renaudin - CHASSES DE LEURS PAROISSES ? N’exagérez-vous pas un peu ?
Christian Marquant – Pas du tout ! Les fidèles qui n’acceptaient pas ce vent de folie furent contraints de partir. Ce fut mon cas dans la paroisse parisienne de Saint-Pierre de Montrouge. Quand aujourd’hui, certains paroissiens nous accusent de revenir dans nos paroisses, ils ignorent en fait que nous n’en sommes pas partis de gaité de cœur mais bel et bien chassés.
Louis Renaudin – N’y avait-il pas d’alternative ?
Christian Marquant – Il existait trois autres attitudes :
1. s’éloigner de la pratique religieuse ;
2. rejoindre les églises de campagnes ou les chapelles sauvages qui commencèrent à se constituer avec des prêtres eux-mêmes chassés de leurs paroisses, et ensuite, avec des prêtres ordonnés par Mgr Lefebvre à Écône ;
3. ou encore, comme le firent des millions de catholiques, se taire et attendre des jours meilleurs.
Louis Renaudin – Vous pensez que beaucoup firent ce dernier choix ?
Christian Marquant – Le plus grand nombre parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix. C’est ce qui explique que, lors des sondages de Paix liturgique, il ressort que, plus de 50 ans après le Concile, plus du quart des catholiques pratiquants déclarent qu’ils préféreraient vivre leur foi catholique au rythme de la liturgie traditionnelle si elle était célébrée DANS LEURS PAROISSES.
Louis Renaudin – Mais ce ne sont que des vœux pieux…
Christian Marquant – Pas tant que cela. Prenez l’exemple de Quimper, dont on a beaucoup parlé récemment, où se retrouvent à Saint-Mathieu plus de 200 fidèles tous les dimanches et fêtes. Il faut avoir la mauvaise foi de l’abbé Erwan de Concarneau pour ne pas comprendre que ces fidèles ne font que revenir à ce qu’ils ont toujours souhaité… mais qui ne leur était pas offert DANS LEUR PAROISSE.
Louis Renaudin - Et depuis ?
Christian Marquant – Face à une telle situation nous avons, en tant que catholiques, assisté à bien des mouvements divers. Des bons de la part de pasteurs qui cherchaient honnêtement la restauration de la foi et de la Paix et d’autres, mortifères, de la part de ceux qui, aujourd’hui encore, tentent d’éliminer ceux qui s’opposent aux dérives protestantes et modernistes de l’Église.
Louis Renaudin - Et que va-t-il se passer ?
Christian Marquant – Si vous le voulez bien c’est à répondre à cette question que je consacrerai notre prochain entretien.




