Notre lettre 952 publiée le 21 août 2023

LE CARDINAL OUELLET ASSIGNÉ
DEVANT LE TRIBUNAL DE LORIENT
ENTRETIEN EXCLUSIF
AVEC L'AVOCATE DE
MÈRE MARIE FERRÉOL

Accusé d'agressions sexuelles par plusieurs femmes au Canada – à la première victime, que le cardinal Ouellet a attaqué pour diffamation, se sont jointes au moins deux autres, que le cardinal n'a pas attaquées – le Cardinal Ouellet est aussi assigné, depuis début août, devant le tribunal correctionnel de Lorient pour son rôle trouble dans l'éviction de la congrégation de Pontcallec de mère Marie Ferréol, renvoyée à l'état laïc... mais aussi pourchassée par les institutions de l'Eglise jusqu'à l'autre bout du monde, au Texas, où elle s'était rendue.


Nous avons demandé Me Adeline le Gouvello, l'avocate de Mère Marie Ferréol, de nous éclairer sur cette assignation :


Paix Liturgique - quel est le contexte qui a conduit au renvoi de votre cliente ? Est ce que le contradictoire a été respecté dans cette procédure interne à l'Eglise ?

Me Adeline le Gouvello - Après 34 ans de vie au sein de sa communauté, Sr Marie Ferréol en a été renvoyée par le Cardinal OUELLET pour trois ans, le 21 octobre 2020, du fait de « mauvais esprit », à la suite d’une visite apostolique effectuée par Dom NAULT et Mère DESJOBERT, puis six mois plus tard, définitivement.

Les modalités de son renvoi ont été sidérantes : les violations du droit canonique étaient multiples et les conditions ayant assorti l’éviction très dures (notification orale, départ immédiat, mise au secret, etc…). Le contradictoire est l’une des règles du droit canonique (et du droit universel je dirais) qui n’a pas été respectée. Or, c’est un principe très important dans le droit de l’Eglise, non seulement en matière pénale canonique mais aussi en matière administrative qui est la voie qui a été choisie ici pour la sanction.

A noter que le choix de la voie administrative est à la base critiquable : il laisse beaucoup moins de places au débat et à la contradiction puisqu’il évite un procès avec un examen de l’affaire par des juges et donc un débat lors duquel toutes les parties peuvent s’exprimer. La voie administrative, beaucoup trop fréquemment utilisée ces dernières années par méconnaissance du droit canonique, ou peur, est abusive et ne peut que conduire à des injustices.  


Paix Liturgique - Pourquoi s'être résolu à cette procédure devant la justice civile ? 

Me Adeline le Gouvello - Ce renvoi heurte les règles de droit civil : des fautes de nature civile ont été commises, entraînant un dommage qui ouvre droit à réparation. La sœur n’avait plus d’autre choix que d’initier cette action aujourd’hui.

Du fait de la violence de la sanction subie, beaucoup estiment qu’elle a forcément commis quelque chose de grave, selon le bon vieil adage « il n’y a pas de fumée sans feu ». C’est une inversion complète des choses : parce que la sanction est violente, alors il y a forcément des actes graves… Là où il revenait aux auteurs de la sanction de démontrer la gravité de faits commis pouvant conduire à une telle mesure.  

Or, aujourd’hui, nous savons seulement qu’elle a été renvoyée pour « mauvais esprit », sans qu’aucun fait ne lui ait été communiqué ni avant ni après le renvoi. Les visiteurs en ont refusé la communication au motif de la « confidentialité ». Imagine-t-on une telle chose possible au XXIe siècle ?

En Droit, le voleur est condamné non pas parce que « c’est un voleur » mais parce qu’à telle date il a commis tel fait. Il est donc indispensable de réhabiliter Sr Marie Ferréol afin qu’elle ne soit plus confrontée aux regards suspicieux, de faire la vérité et la lumière, son but ultime étant de parvenir à retrouver une vie au sein d’une communauté. Cette procédure va nécessairement y contribuer. D’autre part, la sœur doit faire face à des contraintes matérielles : il est parfaitement anormal qu’à l’issue de 34 années de vie au sein de sa communauté, elle n’ait pas perçu de pension ou d’indemnité compensatrice lui permettant de reprendre pied dans la vie civile. Il est parfaitement anormal également qu’elle ait été renvoyée de toute vie religieuse et dans des conditions aussi dures. Le préjudice moral subi doit être réparé, il est immense.  


Paix Liturgique - quelle est aujourd'hui la situation de mère Marie Ferréol ? 

Me Adeline le Gouvello - Elle revient des Etats-Unis où elle était parvenue à trouver une situation avec un contrat de travail. Mais une visite apostolique conduite dans son diocèse d’accueil a soulevé la polémique quant à sa présence. Elle a été pourchassée jusque là-bas. 


Paix Liturgique - Il se dit qu'elle est partie à l'autre bout du monde - au Texas - accompagner une école, et que l'évêque qui l'a accueilli a subi pour ce fait des mesures disciplinaires de l'Eglise ? 

Me Adeline le Gouvello - Nous n’avons pas connaissance du fond de ce dossier mais toujours est-il que la polémique soulevée a abouti au fait qu’elle n’a pu rester alors qu’il était convenu qu’elle soit enseignante dans une école. 


Paix Liturgique - A Pontcallec, aujourd'hui, près d'une sœur sur 6 (de l'ordre de 17-20 sur un peu moins de 100) sont en voie de sortie temporaire ou définitive de la congrégation, certaines d'entre elles ont elles subi le même traitement que mère Marie Ferréol ou ont elles été menacées d'être traitées de même ? 

Me Adeline le Gouvello - Selon les informations qui ont été publiées [notamment par Paix Liturgique], des sœurs ont demandé à partir. Ces cas sont très différents et n’ont rien à voir avec la situation de ma cliente, même si, dans le fond, toute cette hémorragie a bien une cause commune, à savoir la crise qui déchire l'Institut depuis les années 2010. 


Paix Liturgique - Le cardinal Ouellet, l'un des mis en cause, fait l'objet au Québec d'une plainte pour attouchements, il a attaqué la personne qui a osé porter plainte et qui a perdu son poste dans son diocèse, mais depuis, au moins deux autres femmes ont porté des accusations contre lui - êtes vous en contact avec vos confrères au Canada qui défendent ces victimes ?

Me Adeline le Gouvello - J’ai eu connaissance de ces faits qui ont largement été relayés mais je n’ai pas eu de contact pour l’instant avec mes confrères canadiens. 


Paix Liturgique - Deux des victimes du cardinal Ouellet se sont adressées à l'Eglise pour que justice leur soit rendue. Au lieu de ça l'enquête interne (canonique) a été confiée à un jésuite proche du cardinal qui l'a dédouané, et le Pape François n'a pas jugé bon de revenir sur le sujet - qu'est ce que ça vous inspire ?

Me Adeline le Gouvello - Il y a une similitude frappante dans les moyens utilisés qui dévoient la justice canonique : les enquêteurs, visiteurs et autres sont des proches. L’absence d’impartialité est manifeste. Le but n’est donc pas d’aboutir à un résultat « juste » mais d’obtenir une décision conforme aux attentes de certains.

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