Notre lettre 937 publiée le 22 mai 2023
LE COLLOQUE Desiderio desideravi
A PARIS LES 10 ET 11 MAI 2023
LE VIDE DE LA NOUVELLE FOI...
ET DE LA NOUVELLE LITURGIE
Nous avons eu l’occasion de parler de ce colloque dans notre Lettre 936 du 12 mai 2023 Paix Liturgique France, à la fin duquel des défenseurs de la messe traditionnelle sont venus se faire entendre.
Nous allons maintenant parler du contenu même de ces assises, qui montreront au passage que, d’une certaine manière, la liturgie traditionnelle, comme le ver rongeur du remords, était présente non seulement au-dehors, mais aussi en-dedans.
La liturgie nouvelle : le vide
A l’aune de ses organisateurs, le colloque Desiderio desideravi sur le triple thème « liturgie, musique et art sacré » a certainement été considéré comme un grand succès. Salle comble dans la Grande Crypte de Saint-Honoré d’Eylau – on manquait de chaises –, une importante présence d’évêques et de prêtres, de nombreux religieux et surtout de laïcs qui d’une manière ou d’une autre, participent à la liturgie de l’Église. Certes, l’assistance était plutôt grisonnante, la moyenne d’âge dépassant, soyons gentils, la soixantaine Voilà qui nous ramène à la fin des années 1960, et ce n’est pas par hasard : en voulant répondre à l’appel du pape à assurer une « formation liturgique » auprès de tous, le Service national de la Pastorale liturgique et de Pastorale sacramentelle (SNPLS) était, tout comme François, arc-boutée sur la liturgie réformée issue du Concile.
Et de fait, les rares allusions expresses à la liturgie traditionnelle au cours des deux journées de colloque, les 10 et 11 mai, ont été plutôt négatives, voire méprisantes.
On avait l’impression d’une danse sur des champs de ruines. Plusieurs centaines de personnes réunies pour parler doctement de fondements bibliques de la messe – dont on ne peut nier l’érudition – et de mystère pascal, pendant que tant d’églises sont vides, qu’une grande majorité de fidèles ignorent une belle part des vérités de la foi, que les vocations s’effondrent, que les mariages religieux deviennent l’exception et que les baptêmes d’enfants se font rares.
C’est peut-être pour insuffler une note d’espérance que le colloque s’est ouvert sur le témoignage d’une femme convertie à l’âge adulte ; elle a dit tout le rôle joué, pour la catéchumène qu’elle était, par la liturgie pour arriver au baptême. Sa recommandation ? Inviter ceux qui demandent à devenir chrétiens à participer à des veillées, des pèlerinages, retraites spirituelles. Car il semble que cela ne se fasse pas dans les milieux Novus ordo…
Avant de rendre compte plus en détail de ce qui s’est dit lors de ces deux journées, il est plus important de dire les termes et les notions qui en ont été absents. Nous ne croyons pas avoir entendu prononcer le mot « sacrifice », peut-être même pas le mot « péché », ou « rachat ». En prononçant le discours final, Mgr Guy de Kerimel, Président, pour quelques mois encore, du Conseil de Liturgie et de Pastorale sacramentelle de la Conférence des Évêques, a même commenté le témoignage récurrent de catéchumènes évoquant la « présence » qu’ils ont ressentie dans les églises et qui les a conduits à demander le baptême : « Oui, les murs sont imprégnés de la liturgie qui s’y célèbre, il y a l’art sacré », a-t-il dit en substance. Mais de mention de la Présence réelle de Notre-Seigneur dans le tabernacle, pas un mot. Autant dire qu’il manquait l’essentiel.
Un chant traditionnel… mais juif
Pour parler des psaumes, les organisateurs avaient fait appel à un rabbin, celui du Raincy, Moché Lewin, qui chanta même quelques versets en hébreu, sans dire grand-chose que les catholiques très moyennement formés ne connaissent déjà. Les psaumes, voyez-vous, « sont devenus universels et très présents dans la liturgie chrétienne car puissants, offrant l’espoir dans la délivrance prochaine et l’intimité avec Dieu, soulageant l’angoisse devant l’existence ». Oui, bien sûr. Mais les psaumes expriment surtout la prière de l’Église, le dialogue de l’Épouse avec l’Époux, Jésus, Messie et Sauveur.
Mais du moins l’assistance bénéficiait-elle là d’un chant traditionnel. Lors des prières chantées en commun – Laudes le matin, une prière d’« envoi » en fin de colloque – la psalmodie s’est faite en français. Très loin de la noble simplicité du grégorien ; la preuve, il a fallu faire appel à une chanteuse pour mener l’exercice, et pour le sacré, on repassera.
Une religieuse, sœur Claire Lucie, Franciscaine Réparatrice de Jésus-Hostie, est celle qui est venue apporter une vraie respiration. Cette « contemplative avec un envoi en mission » auprès des familles et des jeunes, a parlé avec profondeur des bienfaits de la liturgie conventuelle : « l’ordre que la liturgie requiert laisse une vraie place à la croissance spirituelle » ; elle a souligné l’importance de sa « répétitivité » et de la « valeur du silence », évoquant une « discipline de vie constante, à entretenir ». Et de citer Dom Marmion au sujet du temps de la station : ce moment où moines et moniales restent immobiles et silencieux pour se recueillir en vue de l’office. Dom Marmion parlait d’un « silence inviolable ». Autre époque…
Cette intervention avait lieu le matin. En fin de journée, l’heure de la messe. Les évêques se sont éclipsés pour rejoindre la sacristie de Saint-Honoré. La cinquantaine de prêtres présents papillonnent dans la salle de conférences, revêtant aubes en polyester et étoles au milieu du public, discutant, plaisantant… Ils montent vers l’église sur le même ton, attendent en bavardant de rejoindre la procession d’entrée. Celle-ci s’ébranle derrière le crucifix, mais en remontant l’allée vers l’autel, certains de ces prêtres discutent et blaguent encore.
Comment ne pas penser alors à la liturgie que cette liturgie a voulu remplacer, à tout le symbolisme des ornements que les prêtres prennent avec révérence, à leur recueillement, à la solennité de l’Introibo…
« Éviter l’idolâtrie du sacré ! »
Mais ce sont des pensées aujourd’hui proscrites. Mme Bernadette Mélois, directrice du SNPLS et grande organisatrice de ces deux jours, a vanté ceux qui « savent faire hospitalité au mystère de Dieu, utiliser des vêtements sans nostalgie… » Rires dans la salle. Sourire entendu de Madame. Enfoncé, le curé d’Ars et l’importance qu’il accordait à la richesse et à la beauté des ornements.
A l’inverse, un prêtre de la Communauté du Chemin Neuf, le P. Miguel Desjardins, a été très applaudi. « Il faut adapter la messe à chaque jour », dit-il : « Par la parole d’introduction, la tonalité, la surface de contact avec la vie de celui qui célèbre. A la fin de la messe du matin, chacun est invité à exprimer à voix haute sa reconnaissance », dit-il. Même chose lors de la confession : avant toute chose, il « invite le pénitent à remercier pour quelque chose ». Il évoque la « procession des offrandes gestuée, dansée » : il faut « habiter corporellement la liturgie ».
Certes, il a été question lors d’autres conférences de l’importance du corps dans la liturgie, et notamment de l’« agenouillement avec art » décrit par Bernadette Mélois. Avec elle on apprend que la cérémonie de « lavement des pieds a fait recevoir la dignité de disciple".
Le Père Olivier Praud, enseignant de théologie à l’Institut catholique de Paris et membre du SNLPS, intervenant lui aussi sur le thème « Célébrer la foi avec dignité », venait de dire : « L’ars celebrandi n’a de sens que lié à celui de tous ceux qui célèbrent, y compris l’assemblée ». Il faut même, dit-il, « penser l’art de célébrer à partir de l’assemblée », « éviter de célébrer une beauté extérieure ». Un peu plus tard, Bernadette Mélois expliquera que « la célébration est communautaire par nature… C’est parce que l’on agit ministériellement, sacramentellement, que tous participent à l’action liturgique ». Mais il faut éviter « une idolâtrie du sacré ».
« Apprendre à contempler l’assemblée »
On retrouve là un point central de l’approche de ces journées : la liturgie qu’on prône n’est pas présentée comme centrée sur Dieu, c’est la communauté qui prend une place prépondérante. Il faut « développer un peuple de louange et d’adoration », dit Mgr de Kérimel en conclusion, plutôt que de favoriser « l’adoration individuelle ». Il faut « éviter le pélagianisme et le gnosticisme, encore très présents dans nos communautés » ; d’ailleurs « le don de Dieu dérange, il n’est pas à notre mesure ». Il faut reconnaître que « la liturgie peut devenir une adhésion à un groupe, voire à une politique », dit-elle. Les participants au colloque savaient très bien où suivre son regard…
Le reste de son intervention était suffisamment insipide pour que nous piquions du nez. Réveil assuré par le P. Sébastien Guiziou, vicaire général du diocèse de Quimper, qui a réalisé la synthèse des deux journées avec les jeux d’orgue pour fil conducteur. Il est intéressant de noter que c’est dans le couplet sur le jeu « voix céleste » que celui-ci a casé la phrase « écouter le cri des pauvres et de la terre ». C’est normal dans une logique où la théologie du pape François assure que « le peuple » et « la terre » sont des « lieux théologiques » où Dieu fait entendre sa voix.
Sa conclusion dit tout. Grâce à Desiderio desideravi, dit-il, il a pu « apprendre à contempler l’assemblée en prière ». Et Dieu, dans tout ça ?
Peut-on s’étonner que les fabricants de la nouvelle liturgie – mais faut-il encore lui donner ce nom trop sacré – aient complètement raté leur affaire ?
La présentation et l’analyse de l’intervention de Mgr Vittorio Viola, secrétaire du Dicastère pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, sera le sujet de notre prochaine lettre.