Notre lettre 886bis publiée le 23 septembre 2022

SCHISME, SCHISME.... VOUS AVEZ DIT SCHISME ?

L’aggiornamento de l’Église catholique était l’objectif que le pape Jean XXIII avait assigné au concile Vatican II. En fait, les Pères conciliaires repoussèrent les schémas préparés par la Curie. La mort de Jean XXIII et l’élection de Paul VI firent de Vatican II la proie des novateurs, lesquels composèrent un concile à l’image de leur chimère, couverts en cela par le pape qui, lors du discours de clôture proclama son tristement fameux culte de l’homme. Le séisme fut si général, et si rapidement destructeur des pratiques catholiques, que, dès 1966, l’après-concile immédiat parut aux commentateurs éclairés comme porteur d’un risque de schisme, tant les novateurs semblaient hors de contrôle, et le corps épiscopal hors d’intention de les désavouer. L’Église hollandaise, en « pointe » à l’époque se montrait la plus hardie dans sa contestation de l’Église catholique romaine. Mais le cardinal Alfrink, comme le note Louis Salleron dans sa chronique du journal Carrefour, le 3 février 1971, déclarait quant à lui qu’il n’avait pas la moindre intention de se séparer de l’Église, une Église qui lui laissait pratiquement toute liberté. Le journaliste commente alors : la notion de schisme ne s’éloigne pas, elle s’évapore. Et il s’adosse au livre du Père Louis Bouyer, La décomposition du catholicisme (Paris, 1968), pour noter : comment peut-on être schismatique dans une Église en décomposition ?

En 1977, dans son livre Rome n’est plus dans Rome, l’historien catholique Hubert Montheillet, auteur de nombreux romans policiers et grand amateur d’intrigues à dénouer, fait savoir son adhésion sans réserve au Liber accusationis in Paulum sextum qu’en 1972 l’abbé Georges de Nantes avait porté au Vatican. Le pape Paul VI est en effet « hérétique, schismatique et scandaleux », aux yeux de l’historien, qui soutient l’abbé dans son argumentaire. Mais il tance ce dernier d’avoir accusé Mgr Lefebvre, qui passa outre en 1976 à l’interdiction romaine des ordinations d’Écône, d’avoir posé un acte schismatique. Selon quelle logique, désobéir à un pape schismatique peut-il être une posture schismatique, interroge l’auteur ?

« Vous n’êtes plus dans l’Église ! »

Dans l’après–concile immédiat, le fidèle du rang en âge de s’en souvenir, et qui doutait ouvertement de la pertinence d’une nouveauté théologique ou liturgique, se voyait déconsidéré d’une seule, mais récurrente, sentence : vous n’êtes plus dans l’Église. Rien de moins. Être baptisé ne pesait pas lourd, quand l’adhésion à l’esprit du Concile n’avait pas régénéré l’affiliation d’hier. Être dedans, ou dehors, c’était, au seul jugement sans appel d’un quidam, magistrat auto-proclamé, passer de la condition fraternelle à celle d’un lest à larguer derechef. Certes, en temps normal, seule l’autorité suprême de l’Église a théoriquement qualité pour qualifier de schismatique formaliter un lobby ecclésial qui entend contester à Rome le droit de s’opposer à ses objectifs hétérodoxes, fauteurs de désunion. En pratique, celui qui se pense en avance de phase dans la compréhension et la formulation d’orientations nouvelles dans l’Église n’a pas, a priori, l’intention de la quitter. Bien au contraire, portant l’espoir de communiquer sa conviction éclairée au plus grand nombre, grâce à l’exploitation des rouages institutionnels et d’un personnel complaisant, il jette à la mer sans vergogne les rétifs, sans craindre quelque coalition de ces derniers en une survivance schismatique. Pas plus qu’il n’y a de parti des écœurés, car les écœurés s’écœurent entre eux, le rassemblement des chutes d’un tissu ne fait pas un vêtement. Bref, n’est pas schismatique qui veut…

L’individu et le lobby sont porteurs de risques distinctifs. Un organisme vivant qui ne sait plus identifier la catégorie de l’objet alimentaire compatible est un organisme malade. Une société qui ne sait plus distinguer l’ami à intégrer de l’ennemi à réduire sera rapidement victime de cette incompétence. Et s’il n’existe plus de « docteurs de la vérité évangélique », les novateurs peuvent exhiber leur puissance, et mesurer leur pouvoir à la disparition apparente de toute autorité au service du vrai, et des fidèles en mal de guidance fiable. Celle-ci perdure, mais elle est mise au service du silence dans les rangs. Repousser les déviants en nommant leurs déviances est une exigence de vérité, plus encore que d’ordre public. Mais rappeler la loi quand il s’agit, pour l’ennemi, de la changer, n’est-ce pas, pour un évêque, réveiller l‘ordre d’hier, étouffer l’Esprit, dévoiler l’étroitesse de sa pensée. De l’amour de l’ordre, condition de la paix, à l’ordre de l’amour, fiction digne des Nuées d’Aristophane, il a résulté, avant 68, mais après le Concile et à cause de lui, l’interdit d’interdire !

Comment se fait-il que l’Institution n’ait pas réagi à ce reniement pratique, à cet abandon de poste épiscopal, alors que la consomption douloureusement évidente des paroisses ne fut formulée que par des obscurs et des sans grades, à leurs risques et périls, pour l’honneur de Dieu ? Par quel stratagème démoniaque l’Église catholique, Mère et Maitresse de Vérité, âme de la Chrétienté française depuis Clovis, se laissait-elle corroder jusqu’aux moelles sans que la hiérarchie réagisse ? Requinquée d’une dignité sans pareille, celle que Vatican I, interrompu par les troupes du Risorgimento, n’avait pu offrir qu’au souverain pontife. Jean XXIII avait prétendu revitaliser l’Église. Certes, il n’a pas vécu assez pour tenir sa promesse. Alors entre quelles mains précises, le « saint » concile œcuménique a-t-il pu jouer le rôle d’un cheval de Troie au point de corrompre le grand corps ecclésial, arche de salut des sociétés, temple des définitions du devoir, et de nos devoirs envers Dieu notamment ? Il s’avère que l’imposant corps épiscopal, depuis 50 ans, sanctuarise son Concile, celui qui l’a encensé comme jamais auparavant. Nous allons tâcher de comprendre pourquoi, comment et qui dans les faits repoussait avec vigueur l’autodestruction de l’Église ? De rares pontifes, des prêtres courageux mais traqués, des familles en grand nombre, des laïcs cultivés, des fidèles du rang…

De grands témoins du Concile et de l’après Concile ont, en temps réel, décrit ce qu’ils voyaient. Ils s’employaient à manifester publiquement leur propre consternation, et celle qui s’exprimait auprès d’eux par un volumineux courrier. Distinguons, parmi les Français, quelques oubliés, ou en passe de l’être : le dominicain Bruckberger, et sa chronique dans le journal L’Aurore (1976/1977), Louis Salleron, dans Carrefour (1968/1974), Jean Madiran dans Itinéraires, créé en 1956, Édith Delamare dans Monde et vie, et l’atypique Hubert Monteilhet, pour qui, en 1977, « Rome n’est plus dans Rome ». Ces plumes incisives, parfois brutales, tentaient l’impossible : être écoutées. Des compilations bienvenues nous restituent ces écrits, au-delà de leur éphémère support. La clameur de l’époque est univoque : l’Église de France se meurt, et les évêques français se comportent en amis de ceux qui la détruisent.

Plénitude du sacerdoce, évanescence épiscopale

La Vérité, qui a fait de l’Église ce qu’elle est devenue, est réputée insupportable à nos contemporains, car incompatible avec la Modernité. Saint Paul nous aide à le comprendre, par son fameux aphorisme Oportet hæreses esse aux Corinthiens. Il est bon que l’erreur s’exprime, pour que ceux qui disent la vérité soient honorés. Telle est précisément le clivage auquel l’épiscopat se refuse, en faisant corps avec les déviants, au motif de ne pas fracturer l’Église ! Tel est le constat opiniâtre qui, soixante ans après le début du concile Vatican II, continue de scandaliser la conscience catholique. Lire ou relire les témoins de l’époque, c’est constater que rien n’a changé, si ce n’est l’adoption d’un statu quo, où tout est permis sauf d’en dénoncer l’apostasie. En ce sens, un vrai schisme à l’ancienne eût été l’expression d’une énergie vitale, mise au service d’une idée-force. A contrario, l’évanescence épiscopale qui accompagne l’accès à la « plénitude du sacerdoce » est un des phénomènes les plus déconcertants de l’après-Concile. Elle est trop générale pour cibler des individualités, et trop durable pour ne pas être systémique.

L’hypothèse selon laquelle le Concile n’aurait pas été appliqué convenablement est contradictoire avec le fait que les évêques chargés de son application ont été ceux qui en avaient approuvé les schémas. Les mêmes Pères conciliaires se trouvaient donc mieux placés que quiconque pour procéder, ou faire procéder (Cæsar pontem fecit) aux travaux pratiques en accord optimal avec l’esprit des temps nouveaux. Les défrocages en masse, la chute immédiate des vocations, les lubies des nouveaux prêtres, la défection spectaculaire des pratiquants, tout cela n’entraînait guère d’alarmes dans la hiérarchie, à part chez l’ambigu Paul VI, affectant l’inquiétude mais ne gouvernant pas. Quant aux évêques français, ceux-ci s’avéraient intraitables à l’encontre de toute critique portant sur les actes du Concile et ses conséquences directes. Voici un exemple assez croustillant, qui va nous mettre sur la voie :

L’Avent 2021 vit réapparaitre dans le texte français du Credo catholique l’expression « consubstantiel au Père », correspondant avec exactitude au texte latin consubstantialem Patri », ainsi traduit et pensé depuis Nicée. Or, en 1964, et jusqu’au changement récent signalé ci-dessus, les fidèles se virent imposer pour traduire consubstantialem Patri, l’énoncé « de même nature que le Père » qui rompait avec l’usage antérieur, trahissait le sens exact, en l’assortissant d’une absurdité théologique. Quelque 7000 signatures de catholiques instruits, et connus comme tels, ornèrent une pétition réclamant la restitution du « consubstantiel » aux évêques français. Portée en juin 1967, par l’un des plus illustres parmi les pétitionnaires, au Cardinal Lefebvre, président de la Conférence des Évêques de France, la pétition fit chou blanc, en la forme d’une réponse négative, laquelle ne manquait pas de sel : « Quand un groupe de personnes [dont de nombreux académiciens tout de même !] se préoccupe de recueillir des signatures en grand nombre dans le but de présenter à l’épiscopat une pétition et d’obtenir de celui-ci que, par une déclaration publique, il prenne position, cela ressemble trop à une défiance vis-à-vis de la rectitude de la hiérarchie. Cela y ressemble d’autant plus que tout au long du Concile, dans certaines revues, on n’a cessé de faire entendre que certains évêques… […]. S’il [l’évêque] intervient, il a l’air de céder à une pression et d’agir en partisan. Il perd de son autorité. »

L’anecdote nous dispensera de longs développements. Lumen Gentium 20/27, auquel nous renvoyons le lecteur, encense comme jamais le rôle de l’évêque. A l’attention du fidèle qui le pensait successeur des apôtres, nommé par le Pape, le paragraphe 27 change d’échelle. « Les évêques, comme vicaires et délégués du Christ, gouvernent les Églises particulières qui leur sont confiées […]. Ce pouvoir, qu’ils exercent personnellement au nom du Christ, est un pouvoir propre, ordinaire et immédiat […]. La charge pastorale […] leur est confiée en plénitude, et il ne faut pas voir en eux les vicaires des Pontifes Romains, car ils exercent un pouvoir qui leur est propre, et c’est en toute vérité qu’on les appelle les chefs du peuple qu’ils dirigent. Aussi leur pouvoir n’est-il pas diminué par le pouvoir suprême et universel, mais au contraire est affirmé, fortifié et défendu par lui. »

En clair, « le saint concile œcuménique », comme pour réparer le « traitement de faveur » papal de Vatican I, érige, dans une Constitution Dogmatique, le sacerdoce plénier des Ordinaires en statut féodal de Droit Christique immédiat. Qu’il en résulte la préservation sourcilleuse d’une autorité d’autant plus olympienne qu’elle sera au-dessus de la mêlée, et qu’un protocole digne de la Cour d’Espagne tienne à distance les gueux d’un vaste Tiers-État poussiéreux, voilà qui nous éloigne de la bonté de Mgr Myriel, bienfaiteur de Jean Valjean, ou de la pugnacité réaliste de Mgr Freppel face aux ennemis de l’Église. Qu’est-ce qui est précieux à un évêque estampillé LG ? La sainteté de droit liée au statut tout neuf, qu’aucune évaluation ne saurait flétrir, d’une part ; le conatus de Spinoza, d’autre part : « Tout être tend à persévérer dans l’être », surtout si la soupe est bonne…

* * *

Schisme, mon beau schisme ! Le corps épiscopal magnifié par ses propres soins n’est-il pas arrivé à ses fins, à savoir, en un demi-siècle, exclure de sa communion tous ces gueux rivés à la Foi des anciens jours ? Ceux qui redoutaient un schisme géographique, rendu a priori insignifiant par la décomposition de la trame ecclésiale, ont-ils songé au vrai clivage qui s’est exercé sous nos yeux, et qu’une vaine déférence empêchait de nommer abandon de paternité ? Ivres de leur dignité toute neuve, ils ont largué les amarres, accédé au Nectar et à l’Ambroisie, enfin délestés d’un vain peuple rétrograde… Accoudés au balcon d’Épicure, ils se rient de nos affres terriennes. Ils en répondront, n’en doutons pas !


Philippe de Labriolle

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