Notre lettre 880 publiée le 22 août 2022

ECHOS DE LA GUERRE LITURGIQUE
RELANCEE
PAR TRADITIONIS CUSTODES

Bien avant la publication, le 16 juillet 2021, par le pape François du motu proprio Traditionis custodes, les rumeurs et les confidences circulaient au sujet de l’orchestration d’une tentative de mise à mort du monde traditionnel par les prélats les plus en vue de la Curie bergoglienne, un groupe de pression de l’Université liturgique Saint-Anselme, des relais dans le monde entier. Mais la Blitzkrieg dont ils rêvaient s’est enlisée. Les défenseurs de la liturgie traditionnelle résistent et vont se donner les moyens de poursuivre. Nous publions ici un entretien à ce sujet avec notre ami Louis Renaudin animateur historique du mouvement pour la Paix Liturgique et la Réconciliation.


Paix Liturgique : Cher Louis, qu’avez-vous à nous dire à propos de ce lourd dossier ?

Louis Renaudin : Beaucoup de choses même si tout n’est pas encore public ou certain… Commençons si vous le voulez-bien par les résultats de l’enquête que le pape a faite entreprendre auprès des évêques du monde entier pour établir une sorte d’évaluation de l’application du motu proprio Summorum Pontificum.

Dans le texte même du motu proprio Summorum Pontificum, il avait été prévu qu’au bout de quelques années une évaluation de sa mise en place et des effets produits aurait lieu. C’est en se fondant sur cette possibilité que le pape François lança en avril 2020 une enquête auprès de tous les évêques latins.


Paix Liturgique : Donc une enquête a bien été entreprise ?

Louis Renaudin : Et conclue. Le problème est que les résultats de celle-ci n’ont jamais été publiés alors que le pape François s’est fondé sur les soi-disant mauvais résultats de cette enquête pour justifier la publication de Traditionis custodes et pour tenter d’interrompre la vague Summorum Pontificum. Car, selon ses propos, l’expérience de Summorum Pontificum, à la lecture des résultats de l’enquête, aurait été un échec, pire, un risque pour l’unité de l’Église et aurait généré des dérives dangereuses au sein de l’Église.


Paix Liturgique : Pourquoi dites-vous « soi-disant » mauvais résultats ?

Louis Renaudin : Parce que ceux qui ont pu accéder aux résultats réels de l’enquête savent que celle-ci ne dit pas ce que le pape François veut lui faire dire ( Voir l'article de Diane Montagna ) .En réalité, les résultats sont largement positifs, car plus de 80% des évêques qui ont répondu se sont montrés satisfaits de l’expérience et peu, très peu, ont exprimé une opinion réellement négative. On trouve même quelques curiosités comme le témoignage des évêques de la Conférence épiscopale du Pakistan qui déclare tout ignorer de Summorum Pontificum, mais le regrette et qui s’interroge sur l’intérêt qu’il y aurait à y intéresser leurs propres séminaristes… Nous sommes donc bien loin de résultats d’enquête à charge.


Paix Liturgique : Une menterie, en quelque sorte ?

Louis Renaudin : Ou pour le dire jésuistiquement : une utilisation mensongère d’une réalité bien différente. Une mouvance au sein de l’épiscopat français avait tenté la même stratégie en faisant parvenir à Rome un compte-rendu fallacieux et inexact qui se présentait – à tort, comme de nombreux évêques l’ont affirmé – comme une synthèse juste et impartiale des réponses des évêques de France à cette enquête de Rome, alors qu’il ne s’agissait que qu’un brûlot tendancieux caricaturant les prêtres et les fidèles attachés à la liturgie et au catéchisme traditionnel.


Paix Liturgique : Mais tout ça n’est pas passé comme une lettre à la poste.

Louis Renaudin : Oh non ! Car il y a fort heureusement dans toute l’Église du simple fidèle aux plus hauts prélats des âmes honnêtes et droites qui refusent les manipulations déloyales. Grâce à elles, Paix liturgique a pu rectifier bien des choses (voir nos Lettres 780/782 et 784) au grand dam des manipulateurs….


Paix Liturgique : Ceux que nous avons l’habitude de qualifier d’ennemis de la paix n’en sont pas restés là.

Louis Renaudin : C’est sûr. Nous avons révélé dans notre Lettre 804 que, bien avant la publication de Traditionis Custodes, Mgr Minnerath (ancien évêque de Dijon, membre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui a depuis quitté son diocèse en septembre 2021) avait, à la demande ou en concertation avec ses amis romains, jeté ce qu’on pourrait appeler « la sonde de Dijon », dont l’objectif était déjà de mesurer ce que pourraient être les réactions des prêtres traditionnels et surtout des fidèles, chez lesquels les autorités ecclésiastiques redoutent des réactions violentes.


Paix Liturgique : Puis est venue la publication de Traditionis Custodes, en juillet 2022.

Louis Renaudin : Et l’adhésion au quart de tour de certains évêques.


Paix Liturgique : Ce n’avait pas été le cas en juillet 2007.

Louis Renaudin : En effet, lorsque Benoît XVI, le bon Pape Benoît, a publié le motu proprio Summorum Pontificum, les ennemis de la Paix qu’il voulait instaurer ont résisté de toutes leurs forces et employé les moyens habituels d’« interprétation ». Souvenez-vous de la une de La Croix : « Le motu proprio n’a pas été écrit pour la France où les demandes ont déjà été satisfaites », alors qu’à l’époque – à l’été 2007 – nous comptions plus de 700 demandes non satisfaites de célébrations traditionnelles dans des paroisses de France. Si donc, il y eut des pasteurs bienveillants qui appliquèrent rapidement le motu proprio Summorum Pontificum, il faut constater que la plupart des évêques (mais aussi des curés, entre les mains desquels le motu proprio Summorum Pontificum remettait la décision d’accepter les demandes de messe) ont déclaré qu’il fallait réfléchir, prier, attendre avant de prendre des décisions, qu’un grand nombre d’entre-deux ne prirent jamais…


Paix Liturgique : Mais pour Traditionis custodes ?

Louis Renaudin : Ce fut exactement l’inverse. Un certain nombre d’évêques, en France et ailleurs, qui ont crié : « Le pape a parlé : obéissons ! ». On peut présumer que c’étaient les 20% ayant répondu, lors de l’enquête, que le motu proprio Summorum Pontificum leur posait problèmes. Ces mêmes évêques qui avaient traîné des pieds au maximum pour obéir à Benoît XVI. J’affirme qu’il y a eu ici aussi, non pas peut-être complot, mais coordination (je vise certaines réunions d’évêques, notamment dans le Lyonnais et le Sud-Est).

D’ailleurs, de nombreux amis prêtres des diocèses français nous parlent, encore aujourd’hui, de réunions entre évêques et vicaires généraux en présentiel, comme l’on dit aujourd’hui, ou en visioconférences, dans lesquelles les réflexions au sujet de la liturgie traditionnelle ne sont pas toujours le sujet unique mais en tout cas un sujet très important… On a d’ailleurs l’impression que la liturgie traditionnelle, dans l’Église conciliaire, est LE sujet. Un Sous-Secrétaire de la Congrégation du Culte divin, aujourd’hui décédé, me racontait que lorsque des évêques en visite ad limina étaient reçus à la Congrégation, il y avait toujours un grand désordre dans les interventions autour des thèmes que lançait le Cardinal-Préfet. Mais lorsqu’on abordait le sujet de la liturgie tridentine, tout d’un coup l’attention devenait maximale : on entendait une mouche voler.


Paix Liturgique : Et à quoi aboutissent ces réunions récentes ?

Louis Renaudin : À des partages d’expériences, d’échanges d’informations ou de rumeurs (tous les instituts ex-Ecclesia Dei, répètent-ils, vont être soumis à de méchantes visites canoniques), voire à des lancements de sondes, dans le but d’instaurer des stratégies communes quant à la manière ou les étapes à mettre en œuvre pour parvenir à appliquer Traditionis custodes, c’est-à-dire pour éradiquer la liturgie ancienne.


Paix Liturgique : Et qu’en ressort-il ?

Louis Renaudin : Il en ressort que la Blitzkrieg dont ils rêvaient s’est enlisée. Dès le début, les évêques, talonnés par des membres très excités de la Curie romaine, ont tout de même hésité à prendre le risque d’une nouvelle guerre liturgique générale, dont ils n’ont plus les moyens, les hommes, l’enthousiasme. Ils n’ont pas, non plus, la maîtrise d’Internet. Ils restent profondément idéologues, mais il leur faut user de ruse et agir à la manière du dernier Horace contre les Curiace, en frappant un groupe, puis une messe, puis une communauté, petit à petit, pas à pas, par étapes, plutôt que de frapper tout de suite un grand coup.


Paix Liturgique : Un grand coup qui pourrait être ?

Louis Renaudin : Par exemple, d’imposer aux lieux de messes traditionnelles une célébration mensuelle en rite conciliaire. Pour commencer.


Paix Liturgique : On dit que le refus par certains évêques de conférer les confirmations selon l’usus antiquior entre dans ce système de guerre d’usure.

Louis Renaudin : Oui, et c’est logique : dans un premier temps, on accorde tout ou presque, sauf les confirmations, et une fois cette limitation acceptée et entrée dans les mœurs, on poursuivra en passant à l’étape suivante, celle de la suppression effective et pas seulement théorique, comme c’est le cas actuellement, de la totalité des sacrements conférés selon l’usus antiquior, les baptêmes, les mariages. On pourra même interdire les messes de funérailles.


Paix Liturgique : Que vont faire les prêtres ?

Louis Renaudin : Il ne faut jamais perdre de vue que la guerre lancée par Traditionis custodes vise d’abord les prêtres diocésains, car ils portent la messe traditionnelle au milieu des paroisses et des diocèses. Pour résister, ils font ce qu’ils peuvent et beaucoup sont très courageux. Sont ensuite visés les prêtres ex-Ecclesia Dei, dont l’apostolat se déroule dans des lieux officiels, confiés par les diocèses. Ça fait tâche. Il importe au plus haut point qu’ils ne laissent pas « grignoter » cet apostolat traditionnel : ils doivent refuser d’adopter les formes sacramentelles nouvelles, de « bricoler » les baptêmes, d’accepter dans leurs chapelles des confirmations en nouveau rite en latin. J’ai confiance. Quant aux prêtres de la Fraternité Saint-Pie-X, ils pourraient prêter main forte à leurs frères diocésains ou ex-Ecclesia Dei, en faisant front commun et en jouant en somme le rôle d’une « société de services » : confirmations dans les diocèses où l’évêque ne veut pas confirmer en rite ancien ; catéchismes si besoin ; et même mariages, puisqu’on leur concède sans problème les pouvoirs de recevoir les consentements. On a pour l’ensemble du monde traditionnel une occasion unique d’« union sacrée », à condition que la FSSPX et les instituts ex-Ecclesia Dei s’y prêtent. Je veux avoir confiance.


Paix Liturgique : Traditionis Custodes ne concerne pas la Fraternité Saint-Pie-X.

Louis Renaudin : Oui et non. Traditionis Custodes a rallumé la guerre, une guerre qui se veut d’extermination. La FSSPX est aujourd’hui considérée comme un ghetto toléré. Le but de Traditionis Custodes est, soit de faire disparaître les autres communautés (en obligeant la célébration du nouveau rite), soit de les réduire elles aussi à être des ghettos : vous avez remarqué que le décret concédé à la FSSP lui accorde, à titre de privilège, que rien n’est changé pour elle, mais seulement – pour l’instant c’est tout à fait théorique – dans les « églises propres » de cet institut. Je prône donc avec force l’union de tous ceux que l’on réduit ou qu’on veut réduire au ghetto. Il faut commencer une reconquête des territoires perdus par la liturgie romaine et la foi catholique.


Paix Liturgique : Les laïcs n’ont-ils pas leur rôle à jouer dans cette résistance et cette reconquête de vraie ré-évangélisation?

Louis Renaudin : Bien entendu, comme toujours depuis le Concile ! N’oublions jamais que l’espace qu’a arraché de haute lutte la messe traditionnelle – interdite hier par Paul VI, comme elle l’est aujourd’hui par François – l’a été sur mode du rapport de force. Une partie de « la base » s’est délibérément opposée aux ordres injustes de la hiérarchie. Des messes ont été organisées, célébrées par des prêtres, d’abord diocésains puis ordonnés par Mgr Lefebvre et plus tard aussi au sein de communautés dites Ecclesia Dei. Et le nombre des fidèles, des familles, des chapelles, des œuvres, des écoles, où est dite la messe traditionnelle et où est enseigné le catéchisme catholique n’a cessé de croître. Tous ces catholiques nombreux, jeunes, ne retourneront jamais au pain sec de la liturgie du Concile ni à son catéchisme frelaté qui ont vidé les paroisses.

C’est paradoxal, mais il faut d’abord que les ennemis de la Paix comprennent que depuis le concile de Vatican II, les laïcs traditionnels sont les plus conciliaires (du concile Vatican II) du point de vue de l’exercice adulte de leur rôle de laïcs dans l’Église, en même temps qu’ils sont les plus conciliaires (du concile de Trente) dans l’adhésion à la liturgie romaine et au dogme catholique.


Paix Liturgique : De quelle manière ces laïcs pourront-ils continuer à agir aujourd’hui ?

Louis Renaudin : Comme hier et plus fortement encore, en interpellant leurs pasteurs et en dénonçant le scandale d’une pastorale d’exclusion qui ne les respecte pas et ne respecte pas la foi millénaire de l’Église. Au fond, la grande question à poser aux pasteurs redevient aussi limpide que sous Paul VI : si la foi catholique a changé, ils doivent nous le dire et nous dire en quoi elle a changé. Car si l’ecclésiologie qui sous-tend la messe nouvelle n’est plus celle qui sous-tend la messe traditionnelle, comme le l’affirme Traditionis Custodes, alors Pacha Mama apparaît presque comme une bluette : la question majeure est ce changement d’ecclésiologie.


Paix Liturgique : Et encore, concrètement, quelle action pour les laïcs ?

Louis Renaudin : Les laïcs doivent continuer à faire ce qu’ils ont fait depuis le Concile : faire en sorte que des prêtres puissent continuer à célébrer et à donner les sacrements traditionnels. Notez qu’au cours des « années de plomb », la question de la confirmation a joué un rôle très important : les parents amenaient leurs enfants à Mgr Lefebvre pour qu’il les confirmât, lequel multipliait les visites de chapelles traditionnelles pour y donner le sacrement (je le revois encore arrivant un soir, rue de la Cossonnerie, dans un ancien magasin transformé en chapelle, en 1970 ...).

Les interdits, exclusions, exhortations n’eurent qu’une conséquence : celle d’attirer davantage le regard de nombreux fidèles sur la situation scandaleuse de l’Église qui trahissant sa mission et sa foi en venant même à persécuter ses prêtres et fidèles catholiques. Jean Madiran répétait d’ailleurs à l’époque que toutes ces gesticulations ont toujours eu l’effet opposé à celui recherché par ceux qui s’y livraient. Cela vaut aussi pour aujourd’hui.


Paix Liturgique : Mais Monseigneur Lefebvre est mort...

Louis Renaudin : Certes. Mais, il reste les évêques de la FSSPX et un certain nombre d’évêques et même quelques cardinaux, prêts à passer outre les interdictions injustes.

Et, puisque vous m’en donnez l’occasion, disons un mot de Mgr Viganó. On le soupçonne d’avoir ordonné prêtre secrètement dom Alcuin Ried, du diocèse de Fréjus-Toulon. Si c’est vrai, ce n’est pas très sympathique pour l’évêque de ce diocèse, le plus Summorum Pontificum de France. Mais par ailleurs, compte tenu des déclarations enflammées que fait régulièrement Mgr Viganó – dans lesquelles on peut lui reprocher de trop mélanger les considérations sur le gouvernement mondial aux questions de foi et de liturgie, (mais après tout Mgr Lefebvre lui-même, parfois…) –, pourrait se poser en défenseur des sacrements et venir lui aussi proposer la confirmation dans les lieux où on en a besoin.


Paix Liturgique : Vous pensez donc que ce qu’il est convenu d’appeler la Tradition se donnera les moyens de vivre ?

Louis Renaudin : Elle n’a jamais été si vivante ! Pensez au succès du pèlerinage Summorum Pontificum à Rome de 2021, à l’énorme réussite du pèlerinage de Chartres cette année, à celui de Fatima (notre Lettre 876), ou encore à celui de Covadonga (notre Lettre 877) qui a triplé le nombre de ses pèlerins entre 2021 et 2022.


Paix Liturgique : Vous gardez donc l’espérance?

Louis Renaudin : Plus que jamais ! Le bouleversement qui a immédiatement suivi le Concile, dès 1965, a précédé et contribué à préparer mai 68, cette crise de la paternité sous toutes ses formes. La crise ecclésiale formidable dans laquelle nous sommes plongés, s’est d’ailleurs tout de suite manifestée par une cessation de la transmission des pères aux enfants : les enfants des pratiquants catholiques ont pour beaucoup cessé de pratiquer, et les enfants de ces enfants ont purement et simplement cessé d’être catholiques.

Or la foi des catholiques repose sur la transmission du dépôt de génération en génération, depuis les Apôtres. La liturgie que nous défendons est un des canaux essentiels de cette transmission. Elle se continue aujourd’hui miraculeusement dans les familles, les communautés sacerdotales, les écoles, les séminaires moralement persécutés. Mais l’Église a la promesse de ne pas cesser : reviendra nécessairement le jour où le Successeur de Pierre et les Successeurs des Apôtres unis à lui se feront les défenseurs de cette liturgie romaine, tout simplement parce qu’ils sont les défenseurs-nés de la doctrine romaine. Déjà, certains d’entre eux…

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