Notre lettre 854 publiée le 22 mars 2022

LA FOI DE NOS PERES
UNE BREVE HISTOIRE DU TRADITIONNALISME CAHOLIQUE AUX ETATS-UNIS

UN ENTRETIEN AVEC STUART CHESSMAN


Stuart Chessman est trop peu connu du public français alors qu’il est l’un des plus ardents défenseurs de la liturgie traditionnelle aux États-Unis. C’est lui qui fonda en 2007 la Société de St Hugues de Cluny pour mener à bien cet engagement. Il vient de Publier aux éditions Angelico Press, une histoire de la Tradition aux États-Unis, Faith of Our Fathers. A Brief History of Catholic Traditionalism in the United States – La foi de nos pères. Une brève histoire du catholicisme aux États-Unis. Le but de cet ouvrage : « Aujourd’hui le plus grand nombre des fidèles sont des jeunes qui n’ont pas connu les années difficiles que nous avons vécues... Il était nécessaire qu’ils connaissent la longue histoire du traditionalisme avec ses succès mais aussi ses conflits, ses sacrifices et ses épreuves ». A l’occasion de cette publication, nous avons posé à Stuart Chessman quelques questions pour enrichir notre information sur cette autre belle  province de la Tradition catholique que sont les États-Unis.



Paix liturgique – Que s'est-il passé aux États-Unis – notamment dans le Nord-Est – après la Réforme liturgique ? La messe traditionnelle a-t-elle continué à être célébrée ou a-t-elle disparu ?

Stuart Chessman – En parlant du nord-est des États-Unis – la région que je connais le mieux – la messe en latin a pratiquement disparu entre les années 1964 et 1970. Mais en réalité pas tout à fait... car certains prêtres, que je qualifierais d’“ Indépendants” ont continué à célébrer la messe traditionnelle dans des chapelles privées. Le prêtre belge Gommar DePauw, qui lança ultérieurement le Catholic Traditionalist Movement fut le plus remarquable. Il fonda sa chapelle ‘Ave Maria’ dès 1968. Le père Paul Wickens, fondateur de la chapelle Saint-Antoine de Padoue, à New Jersey, fut un autre exemple, un peu plus tardif, de cette résistance qui s’appuya dès son commencement sur de nombreux laïcs. En outre, certains écrivains et penseurs «conservateurs» – comme Dietrich von Hildebrand – avait organisé également des célébrations de la messe traditionnelle au moins occasionnellement chez eux.


Paix liturgique – Quand est-ce que la situation s'est renversée et que de nouveaux apostolats de messes ont réapparu ?

Stuart Chessman – La situation a commencé à changer aux États-Unis avec l'apparition de la Fraternité Saint-Pie-X. Dans cette région, la FSSPX a acquis une présence majeure dans le Connecticut, mais pas à New York. Leur activité restait cependant relativement exotique et marginale pour la plupart des catholiques américains. Le vrai changement est survenu un peu plus tard avec la promulgation des indults de 1984 et 1988. Par exemple, dans le sillage de Quattor Adhinc Annos, fut fondé la St. Gregory Society of New Haven . Elle a établi un lien très fort entre la liturgie traditionnelle et l'excellence musicale ce qui est devenu une caractéristique spécifique du traditionalisme dans la région de New York. En 1988, à New York City (Manhattan), 3 nouveaux lieux pour la célébration régulière de la messe traditionnelle se sont implantés dans les églises paroissiales – 2 sont encore bien vivante à ce jour. Les célébrants étaient à la fois des membres du clergé diocésain ou des prêtres liés à des institutions traditionnelles. Après 1988, les apostolats traditionalistes déjà existants et les chapelles de prêtres indépendants ou d'associations privées de laïcs, comme la chapelle Saint-Antoine (aujourd'hui Oratoire) à West Orange ou la chapelle Notre-Dame de Fatima à Pequannock (toutes deux dans New Jersey), ont été reprises par des prêtres de l'ICRSS et de la FSSP.


Paix liturgique – Quel est l’audience de ces initiatives ?

Stuart Chessman – Ces messes ont d'abord attiré un petit nombre de fidèles convaincus qui étaient restés fidèles à la messe latine tout au long des années de plomb. Dès le début, cependant, la taille des communautés a augmenté régulièrement à mesure que de plus en plus de personnes découvraient la messe en latin pour la première fois et commençaient à l'aimer.


Paix liturgique – Assister à la messe traditionnelle était-il considéré comme une désobéissance à la Hiérarchie ?

Stuart Chessman – Oui, à cette époque, assister à la messe traditionnelle était encore considéré comme un défi pour l'establishment. Mais au fur et à mesure que les années 1990 avançaient, cela commençait à changer. Une messe traditionnelle a même été célébrée par le cardinal Stickler dans la cathédrale Saint-Patrick de New York en 1996 – avec une assemblée considérable qui a rempli toute la cathédrale ! Mais malheureusement il fallut attendre 20 ans, c’est à dire jusqu’en 2016, pour qu’une nouvelle liturgie traditionnelle y soit célébrée.


Paix liturgique – C’est ainsi qu’en 2007, avec le motu proprio Summorum Pontificum, vous avez créé la Société de St Hugues de Cluny. Pourquoi avez-vous choisi ce saint et quel était le but de cette fondation ?

Stuart Chessman – Nous avons choisi comme saint patron saint Hugues de Cluny en raison de l’importance qu’eut Cluny dans l’œuvre de restauration du catholicisme en Europe entre le Xème et le XIIème siècles – précisément à travers la célébration de la liturgie.

Cela semblait être la réponse appropriée à la nouvelle opportunité créée par Summorum Pontificum. La Société St Hugues de Cluny a pour mission centrale de favoriser la célébration de la liturgie traditionnelle dans toute sa plénitude et sa splendeur – dans le déroulement des cérémonies, la qualité des ornements et l'exécution de la musique. Ces messes, et parfois des vêpres solennelles, ont été célébrées dans les églises paroissiales, les chapelles traditionnelles et même les cathédrales.

Je pourrais mentionner par exemple les messes pontificales célébrées à Brooklyn, Connecticut et New York – et la première messe dans l'archidiocèse de New York célébrée sous Summorum Pontificum. La société a parrainé ces messes dans de nombreuses églises historiques de toute la région de New York. Car la préservation de l'héritage artistique et architectural catholique est un autre objectif de notre mission.


Paix liturgique – Collaborez-vous avec les instituts dit autrefois Ecclesia Dei ?

Stuart Chessman – A quelques exceptions très notables, la société a eu une collaboration assez limitée avec les instituts Ecclesia Dei pour une raison locale. En effet à la différence de ce qui se passe dans d’autres régions des États-Unis les instituts Ecclesia Dei jouent chez nous un rôle secondaire, les prêtres assurant les liturgies traditionnelles étant surtout des diocésains ou des prêtres appartenant à des congrégations ordinaires. Mais peut-être les choses vont-elles changer notamment avec l’installation à New York de l’Institut du Christ-Roi.


Paix liturgique – Vous proposez également des conférences...

Stuart Chessman – Un autre de nos apostolats a organisé des conférences de personnalités traditionalistes catholiques. Beaucoup d'entre eux viennent d'Europe : Martin Mosebach, Luc Perrin , Roberto de Mattei, Mgr Athanasius Schneider, entre autres. Très souvent, nous collaborons avec d'autres sociétés et organisations des événements plus importants.


Paix liturgique – Avez-vous réussi à faire naitre de nouvelles chapelles ? Pouvez-vous nous citer quelques exemples ?

Stuart Chessman – En ce qui concerne les nouveaux apostolats dans lesquels moi-même ou la Société de St Hugues de Cluny avons été impliqués, de loin le plus significatif a été notre coopération depuis 2007 dans le développement de la paroisse St Mary à Norwalk, Connecticut, qui a assumé un rôle de leadership dans le Monde traditionaliste new-yorkais et même sans doute à l'échelle nationale. St Mary's est une paroisse diocésaine qui célèbre également le Novus Ordo. À New York, je pourrais mentionner dans ce contexte la Catholic Artists Society, qui parraine à la fois les liturgies traditionalistes et Novus Ordo, et organise des conférences d'éminents catholiques actifs dans les arts. Je pourrai citer aussi la paroisse Holy Innocents qui est devenue une présence traditionnelle florissante à New York.


Paix liturgique – Quel a été votre apostolat sur Internet ?

Stuart Chessman – C’est souvent par Internet que les personnes nous connaissent. C’est en effet sur Internet que depuis 2007 nous publions une chronique de la vie traditionaliste, principalement dans la région de New York qui a une très large audience. Nous y publions également de nombreuses archives photographiques. Notre site internet St Hugues de Cluny propose un historique photographique des 15 dernières années de célébrations liturgiques, de conférences et pèlerinages ainsi que du grand nombre de fidèles qui ont assisté à ces événements. Cela nous permet de mieux faire connaitre la réalité de la tradition aux États-Unis car j'ai toujours craint que la persécution de la messe latine ne se renouvelle, étant donné l'hostilité permanente dans les rangs de l'establishment ecclésiastique.


Paix liturgique – Récemment, vous avez publié un livre intitulé Faith of our Fathers, la foi de nos pères. L'objectif est-il de laisser votre témoignage par écrit afin qu'il ne soit pas oublié par les jeunes générations ?

Stuart Chessman – Faith of our Fathers a pour noyau une série d'articles que j’ai rédigés entre 2012 – 2013. Oui, mon intention était de laisser une trace de l’histoire du mouvement traditionaliste aux États-Unis, car aujourd’hui le plus grand nombre des fidèles sont des jeunes qui n’ont pas connu les années difficiles que nous avons vécues...n’ayant pour leur part connu que la “ Paix’” post Summorum Pontificum qui leur semble un ordre normal des choses. Il était nécessaire qu’ils connaissent la longue histoire du traditionalisme avec ses succès mais aussi ses conflits, ses sacrifices et ses épreuves. C'est peut-être un phénomène américain, mais j'ai aussi senti qu'il était nécessaire de distinguer le mouvement pour la messe traditionnelle des activités et de la philosophie des soi-disant « conservateurs ». Dans ce pays, ces derniers ont très souvent été les adversaires des traditionalistes.


Paix liturgique – Pensez-vous que ce livre pourra aider à la défense de la messe traditionnelle contre les fortes attaques qu'elle subit, surtout depuis le motu proprio Traditionis custodes ?

Stuart Chessman – Lorsque j'ai écrit ces articles, je n'avais pas réalisé qu'ils seraient si directement pertinents face à un retour de la guerre liturgique au sein de l'Église ! Bien que j'aie toujours averti que sous le Pape actuel, une nouvelle persécution était une possibilité. Je souhaiterais certainement que la Faith of our Fathers contribue à la défense du traditionalisme. Car, dès le début, face à la plus grande opposition officielle et – soyons francs – à la haine, les défenseurs de la Tradition catholique se sont exprimés avec éloquence, ont établi des réseaux de fidèles partageant la même foi et ont finalement permis la renaissance de la célébration de la messe traditionnelle. Cela devrait nous servir de leçon et de modèle aujourd'hui.


Paix liturgique – Comment voyez-vous l'avenir de la liturgie traditionnelle aux États-Unis ?

Stuart Chessman – La liturgie traditionnelle continuera à se développer aux États-Unis – j'en suis certain ! Les attaques récentes les plus scandaleuses contre la célébration de la messe et d'autres sacrements dans l'ancien rite – comme dans des diocèses de Chicago, d’Arlington ou d’Helena, entre autres – n'ont servi qu'à accentuer la prise de conscience des fidèles et à raviver leur engagement envers la défense et même l'expansion de l'ancien rite.

Dans la région de New York, j'ai vu de plus en plus de fidèles assister aux messes latines depuis Traditionis custodes. Car l’intérêt et la participation aux liturgies traditionnelles est une réaction spontanée de la part des fidèles attachés à la Foi catholique, conscients de leur responsabilité missionnaire pour l’avenir de l’Eglise.

Vous le savez, aucun prêtre ne vient célébrer la messe traditionnelle dans l'espoir de faire avancer sa carrière et les femmes et les hommes n'assistent pas à la messe traditionnelle pour obtenir des éloges des médias catholiques ou pour être invités à des cocktails avec des évêques et des clercs. Ils font tous des sacrifices pour la préservation de leur Foi et celle de leurs enfants et surtout, et surtout, ils savent que c’est une nécessaire mission à remplir pour qu’enfin la Paix et la Foi règne dans l’Eglise.


St. Hugh of Cluny, pray for us!

Pour en savoir plus :   https://sthughofcluny.org/

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