Notre lettre 831 publiée le 25 octobre 2021

MGR JOSE RODRIGUEZ CARBALLO
LE LIQUIDATEUR
DES COMMUNAUTES ECCLESIA DEI ?




16 décembre 2014 : Mgr. José Rodri­guez CARBALLO, secrétaire de la Congrégation pour les instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, lors de la présentation du rapport final sur la visite apostolique des instituts religieux féminins des Etats-Unis. Vatican, Rome, Italie. December 16, 2014: Mgr. José Rodri­guez CARBALLO, secretary of the of the Congregation for the Institutes of Consecrated Life and the Societies of Apostolic Life, during press Conference for the presentation of the Final Report on the Apostolic Visitation of Institutes of Women Religious in the United States of America. Vatican, Rome, Italy.

José Rodríguez Carballo, Espagnol de Galice, franciscain, 68 ans, est un des personnages les plus redoutablement puissants de la Curie bergoglienne, plus  centralisée, par ailleurs, que n’a jamais été Curie romaine. Il a exercé des charges importantes dans son ordre religieux, dont il est devenu ministre général en 2003. En 2013, le pape François l’a fait archevêque et Secrétaire (c’est-à-dire deuxième personnage) de la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique, dite plus communément Congrégation des Religieux, dont le cardinal brésilien (et très bergoglien) João Braz de Aviz, est devenu préfet quelques mois plus tard.

La nomination romaine écartait le P. José Rodríguez Carballo d’un scandale financier qui touchait son ordre et qui allait désormais peser sur son CV : le parquet suisse a mis sous séquestre, en 2014, vingt millions d’euros investis par des franciscains, Rodríguez Carballo étant ministre général, dans des sociétés qui ont fait l’objet d’une enquête pour, rien moins... que trafic illégal d’armes et de drogues.

Cela empêchera-t-il José Rodríguez Carballo d’achever sa carrière, comme il en rêve, sur le siège archiépiscopal de Saint-Jacques-de Compostelle (l’actuel archevêque, Julián Barrio Barrio, vient d’avoir 75 ans, mais pourrait être prorogé quelques temps) ?


Les visites apostoliques


Une des grandes armes utilisées par la « synodalité » bergoglienne – une sorte de révolution culturelle pour raviver la flamme du Concile, mais une révolution au souffle court – est celle des visites canoniques. Le Code de Droit canonique prévoit que les évêques fassent visiter régulièrement leurs paroisses, et que les supérieurs religieux agissent de même sur les communautés qui dépendent d’eux.

En outre, sont prévues des visites canoniques « extraordinaires », nommées visites apostoliques, organisées par Rome sur un diocèse, un institut religieux, un séminaire, etc.,  visites assurées par une autorité extérieure à la communauté. Cela arrive notamment lorsque un dicastère romain a reçu des plaintes au sujet de dysfonctionnements qui ont pu survenir dans le diocèse, l’institut, etc. Un visiteur apostolique est alors nommé par le dicastère compétent selon le destinataire de la visite pour une mission temporaire précise, au moyen d’un décret indiquant les points précis à examiner.

Le visiteur apostolique, se bornant aux conditions et au mandat issus du décret d'où émane la visite et, le cas échéant, de l'instrumentum laboris à lui adjoint, a pour mission de mener les enquêtes nécessaires selon le but de la visite et les pouvoirs reçus, ce qui peut vouloir dire la faculté de parcourir toutes les maisons de l’entité qu’il visite, de rencontrer tous les membres y appartenant, d’examiner s’il y a lieu la comptabilité et les biens, et à la fin de rédiger un rapport qu’il adresse à la Congrégation romaine ayant diligenté la visite (Congrégation du Clergé, ou des Religieux, ou des Évêques, sachant qu’il n’y a pas de compétence strictement délimitée dans Curie romaine où le pape, souverain absolu, peut décider qui inspectera quoi). Dans son rapport, puisque il est tenu à enquêter et transmettre (ad inquirendum et referendum, cas distinct de ceux où il aurait en outre des pouvoirs ad exequendum) le visiteur proposera éventuellement des réformes, voire des mesures disciplinaires à prendre.

Pour accomplir ces réformes suggérées par le rapport, la Congrégation romaine peut désigner un assistant, une sorte de tuteur, qui aura pour rôle d’accompagner, conseiller et surveiller le diocèse ou l’institut concerné. Par exemple, le cardinal Ouellet, Préfet de la Congrégation des Évêques, après s’être fait chargé par le pape d’une visite canonique en 2020, auprès des Dominicaines du Saint-Esprit, au sein desquelles les plus conservatrices étaient considérées comme « semant la zizanie », et après renvoi ou mise à l’écart de religieuses estimées « zizannières », a fait désigner le P. Henry Donneaud, dominicain de la province de Toulouse, comme assistant de cet institut.

La Congrégation romaine concernée peut aussi désigner – elle peut d’ailleurs le faire directement sans visite apostolique préalable – un commissaire apostolique. Cette dernière mesure a pour particularité de pouvoir suspendre les pouvoirs du supérieur, lequel serait remplacé dans ce cas, pour un temps plus ou moins long, par le commissaire. Elle constitue une lourde sanction ou une mesure intérimaire en attendant l’élection ou l’arrivée d’un autre supérieur. Le délégué pontifical gouverne alors l’institut avec des pouvoirs très étendus, selon le mandat du décret qui le nomme.


Le tableau de chasse de José Rodríguez Carballo


Les visites apostoliques et « commissarisations » (commissariamenti) se sont multipliées sous l’actuel pontificat. Elles ont été organisées par la Congrégation des Évêques, c’est-à-dire en fait par son Secrétaire, Mgr Ilson de Jesus Montanari, prélat brésilien qui a toute la confiance du pape, ou par la Congrégation du Clergé, dont le Préfet, était jusqu’à sa récente retraite, le très influent cardinal Stella, aidé du Secrétaire français, Mgr Joël Mercier.

Parmi les mesures touchant des aires traditionnelles, il faut citer celles prises contre la Fraternité sacerdotale Familia Christi, protégée par Mgr Negri, archevêque de Ferrare, reconnue comme Fraternité de vie apostolique par la Commission Ecclesia Dei en 2016, qui a été commissariée par cette même Commission en 2018, dont le Président était déjà le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi  et elle fut puis dissoute en 2019.

En 2015, la Congrégation pour les Évêques avait fait priver l’évêque d’Albenga, Mgr Mario Oliveri, de ses pouvoirs en le flanquant d’un évêque coadjuteur avec droit de succession, Mgr Guglielmo Borghetti, qui recevait tous les pouvoirs de l’Ordinaire. Mgr Oliveri démissionna peu après.

En août 2020, la Congrégation pour le Clergé du cardinal Stella décida la fermeture du séminaire de San Rafael, en Argentine, en raison de divers signes de « désobéissance », dont le refus par nombre de séminaristes de la communion dans la main.

Pour les instituts religieux, Mgr Rodríguez Carballo a été le maître d’œuvre, sous l’active direction du cardinal Braz de Aviz, de nombreuses visites, dont certaines commencées avant qu’il ne soit en fonctions, ou des commissarisations. Au nombre de celles frappant des instituts suspectés d’inclination trop traditionnelle, on peut citer la visite récente décidée pour les carmélites de Fairfield, en Pennsylvanie, dont l’aumônier est un franciscain de l’Immaculée.

Mais il faut surtout évoquer les Frères Franciscains de l’Immaculée, qui depuis 2007, privilégiaient la « forme extraordinaire du rite romain ». Des visites canoniques commencèrent en 2011, sous Benoît XVI. En 2013, le pape François décida du retour des Franciscains à la « forme ordinaire ». En juillet 2013, la Congrégation des Religieux désigna comme commissaire pontifical Fidenzio Volpi, capucin, qui fit fermer le scolasticat, et divers couvents. Après la mort du P. Volpi, il fut remplacé par trois nouveaux commissaires, Mgr Rodríguez Carballo s’impliquant beaucoup dans l’accompagnement de la remise sur rails conciliaires des Franciscains de l’Immaculée.

Il importe de se souvenir que, pour introduire de manière obligatoire la célébration de la messe conciliaire, le commissaire avait suspendu les ordinations durant un temps et qu’il avait rendu obligatoire pour les candidats de souscrire personnellement « une acceptation formelle du Novus Ordo comme expression authentique de la tradition liturgique de l’Église ».


Les communautés traditionnelles dans le collimateur


Tout laisse penser que Rodríguez Carballo s’attaquera d’abord aux deux plus importantes réserves de prêtres traditionnels et spécialement à leurs séminaires, la Fraternité Saint-Pierre (près de 350 prêtres) et l’Institut du Christ-Roi Souverain-Prêtre (près 150 prêtres). Divers « dysfonctionnements » seront cherchés avec zèle, mais on peut déjà imaginer qu’il sera essentiellement relevé par les visiteurs que la messe nouvelle n’a aucune place à l’intérieur de ces instituts et surtout à l’intérieur de leurs séminaires. Des discussions pourront alors avoir lieu, ces instituts arguant à juste titre que leur origine les vouent à la messe traditionnelle, Rome faisant sans doute valoir  que la messe de Paul VI est la messe de droit commun dans l’Église et que le privilège concédé de célébrer traditionnellement peut être abrogé en fonction des circonstances nouvelles, et en tout cas ne saurait être exclusif de la célébration commune. In fine, un processus s’inspirant de celui mis en œuvre chez les Franciscains de l’Immaculée pourrait être appliqué : commissarisations des instituts dans le but d’introduire la messe nouvelle dans les séminaires des instituts. Ce qui reviendrait à les couler rapidement en les vidant de ce qui fait leur attrait spécifique pour les jeunes qui aujourd’hui s’y pressent, la liturgie tridentine, et aussi, peut-être, en provoquant des querelles à l’intérieur des instituts à propos des concessions à faire ou ne pas faire. Rome se jouant de la vies sacerdotales et des vocations: lorsqu’elles étaient jugées utiles, on les stimulait, et maintenant, lorsqu’on estime qu’il faut s’en débarrasser, on le fait sans état d’âme, avec un oubli machiavélique d’engagements qui ne relèvent pas d’un passé si lointain.

Mais… Mais le scénario rêvé par Mgr Rodríguez Carballo risque de se heurter à de notables difficultés. Le transfert de compétence des instituts ED de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique implique un transfert du matériau d’information sur ces communautés, qui a pâti du fait que tout le personnel du bureau de la CDF concerné a été licencié. Il faut ensuite le temps, si on veut être sérieux et respectueux des enjeux surnaturels en question, de la nécessaire connaissance de gros et nombreux dossiers concernant un monde qui reste encore, pour les nouveaux chargés de ces affaires, une terra incognita. D’autant qu’aussi acharnés au travail que soient certains hauts prélats de la Curie romaine, ils disposent d’un personnel qui paraîtrait ridicule pour les hauts fonctionnaires de rang équivalent dans les ministères et administrations. En outre, ce n’est pas nécessairement chose facile de trouver un nombre suffisant de visiteurs (évêques, abbés, religieux) pour visiter des maisons répandues sur toute la surface de la terre ayant une connaissance suffisante du milieu à inspecter, et aussi qui acceptent une charge peu gratifiante qui va ressembler à celle de représentants en mission chargés de faire appliquer les dicktats du Comité de Salut public. Enfin, à la différence de la plupart des instituts, sociétés, diocèses, habituellement visités, qui sont traversés par des divisions idéologiques importantes, ceux-ci fonctionnent de façon habituellement pacifique, contrairement à tant d'autres réalités éclésiastiques, et sont homogènes, au moins en ce qui concerne ce que les caractérise et qu’on veut leur enlever, l’attachement à la liturgie traditionnelle.

Le temps qui va nécessairement s’écouler pour mettre tout cela en œuvre, dans un pontificat qui risque d’en manquer, est du temps gagné pour les victimes désignées. Qui plus est, le projet des démolisseurs – étouffer, une fois de plus, des communautés où il reste encore des vocations sacerdotales et religieuses – est fort mal compris par bien des prélats qui, par ailleurs, n’ont pas d’attachement particulier à la liturgie traditionnelle. Car, si le processus lancé par Traditionis custodes peut faire de sérieux dégâts, il est à contretemps, et va l’apparaître toujours davantage.

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