Notre lettre 822 publiée le 11 septembre 2021

LETTRE DE L'ABBE PELLABEUF
AU SOUVERAIN PONTIFE
POUR L'ABROGATION DE "TRADITIONIS CUSTODES"

Si j'ai décidé de publier cette lettre alors que de nombreuses voix se sont exprimées au sujet de Traditionis Custodes, c'est qu'en général ceux qui regrettent la publication de ce motu proprio sont des utilisateurs habituels de l'ancien missel. Or j'utilise quotidiennement le nouveau, n'ayant dit la messe selon l'ancien qu'en de très rares occasions.

De plus, c'est au nom même de Vatican II que je demande que Traditionis Custodes soit abrogé, or c'est en affirmant vouloir promouvoir l'acceptation de ce concile que le Souverain Pontife l'a publié : mais le nouveau missel ne correspond pas à ce que les Pères Conciliaires disaient de la réforme liturgique qu'ils appelaient de leurs vœux.

En outre, bien que cela alourdisse l'argumentation, j'ai voulu pratiquement à chaque pas indiquer de quelle façon je suis impliqué dans les discussions liturgiques en cours.

Abbé Bernard Pellabeuf

En la fête de Sainte Madeleine

Lettre ouverte

Summo Pontifici Francisco Papae


Très Saint Père,

Le bien de l’Église et le vôtre sont indissociables, et c’est pour l’un et l’autre que je vous écris. Filialement je vous suggère d’abroger le Motu Proprio « Traditionis Custodes », et je le fais dans un esprit de fidélité au Concile Vatican II. Car il est faux d’affirmer que le missel promulgué par Saint Paul VI soit celui voulu par les Pères Conciliaires.

Je vous considère comme le Souverain Pontife, le Vicaire du Christ, le successeur de Pierre. Vous avez droit non seulement à mon respect, mais aussi à mon affection, et je ne vous les refuse certes pas.

J’adhère pleinement à l’enseignement de Saint Ignace, dont je ne doute pas qu’il soit cher à votre cœur : si je vois quelque chose blanc, et si l’Église me dit que c’est noir, je me range à l’avis de l’Église. Mais évidemment cela suppose que l’Église ne se contredise pas. En effet, si l’Église venait à dire « Hier j’ai dit que c’était noir, mais aujourd’hui je dis que même hier c’était blanc », il apparaîtrait alors que j’ai été stupide d’adhérer à ce que l’Église disait hier, et je n’ai par conséquent plus aucune raison d’adhérer à ce qu’elle pourrait dire à l’avenir. Je parle ici, bien sûr de ce qui ne peut changer, spécialement le dogme et la morale. C’est rempli de cet esprit de fidélité à l’Église que je vous écris.

Je sais que Traditionis Custodes est un document disciplinaire et pastoral, donc faillible ; mais il concerne la communion ecclésiale et la fidélité à Vatican II, et revêt donc une importance capitale. Et ce qui concerne la liturgie est souvent très lié au dogme.

La morale, sanctionnée en cela par le droit canon, fait une obligation au subordonné de donner son avis au supérieur si le subordonné pense que celui-ci se trompe en matière grave. Si je le fais par le moyen d’une lettre ouverte, c’est d’une part pour éviter que quelque courtisan n’aille dire, si je la publiais, que je publie la correspondance privée du Pape, comme on l’a tristement constaté quand des cardinaux ont publié le texte de leurs dubia. Cette lettre est publique.

Car voyez-vous, Très Saint Père, je crois avoir des devoirs vis-à-vis des fidèles qui veulent user des moyens plus traditionnels d’aller vers Dieu. En effet, il est connu que j’ai été parmi les premiers séminaristes de Monseigneur Lefebvre, quand il a commencé son œuvre à Fribourg en Suisse. Beaucoup, cinquante ans et plus après les faits, me le reprochent encore et me soupçonnent d’intégrisme : c’est stupide. Car, il faut le rappeler, Monseigneur Lefebvre a débuté avec toutes les autorisations nécessaires ; et c’est pratiquement seul, à vingt ans, que j’ai pensé que je devais quitter cette œuvre. Je pressentais que cela irait plus loin que souhaitable, spécialement sur la question du missel. Mais je n’ai jamais abandonné les valeurs auxquelles les membres de la Fraternité Saint Pie X tenaient légitimement. Pour ne prendre qu’un exemple, lors de la condamnation de l’œuvre de Monseigneur Lefebvre, dans la plupart des diocèses de France on dissuadait les prêtres de porter un habit ecclésiastique : le code de 1983 a manifesté que c’était Monseigneur Lefebvre qui avait raison en cela ; et il avait raison sur un bon nombre d’autres points. Je tâche de ne jamais manquer une occasion de dialoguer avec les héritiers spirituels de Monseigneur Lefebvre, dans l’espoir d’un retour à la pleine communion avec vous et toute l’Église, et si je ne prenais pas la parole publiquement dans les circonstances présentes, ma participation à ce dialogue apparaîtrait mensongère.

Je dois donc préciser ma position quant aux points litigieux entre l’Église et ceux qu’on nomme lefèbvristes. J’adhère pleinement au Concile Vatican II, comme à un concile pastoral, c’est-à-dire, à mon avis, un concile destiné à mettre l’Église en ordre d’évangélisation. Ce concile est bon, mais non exempt de critiques : l’Église l’a reconnu quand dans son dialogue avec la Fraternité Saint Pie X elle a dit que de telles critiques devaient être constructives. Par exemple j’adhère à l’intention de Dignitatis Humanae, mais je pense que la présentation et la base de l’argumentation desservent cette intention.

De même je soutiens que le missel dit de Paul VI est parfaitement valide et légitime ; j’affirme devant les traditionalistes qu’une réforme de l’ancien missel était nécessaire, et je leur fais valoir que puisqu’ils soutiennent que le missel dit de Saint Pie V est un garant d’orthodoxie, ils doivent être sensibles au fait que les Pères Conciliaires, qui utilisaient tous (à part les Orientaux) ledit missel, ont considéré qu’une réforme était nécessaire. Et c’est sur la base de mon expérience de 43 ans de sacerdoce que je peux affirmer que le missel récent est un authentique moyen de sanctification. Toutefois, j’accorde aux lefèbvristes que ce missel n’est pas exempt de critiques, et je le fais sur la base de Vatican II. En effet, on ne l’a pas assez remarqué, le missel promulgué par Saint Paul VI ne suit pas les recommandations du paragraphe 23 de Sacrosanctum Concilium, particulièrement ceci :

on ne fera des innovations que si l’utilité de l’Église les exige vraiment et certainement, et après s’être bien assuré que les formes nouvelles sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique.

Ce passage de Sacrosanctum Concilium est fondamental, car ce qu’il dit s’enracine dans un des tout premiers principes de la science liturgique, qui était rappelé avec force par votre vénéré prédécesseur, le Pape Benoît XVI : la liturgie est reçue, non construite. Et ce principe découle lui-même de l’attitude de Saint Paul : « je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu. » C’est une leçon de profonde sagesse qu’ont donnée là les Pères Conciliaires, valable pour toute réforme liturgique à quelque époque qu’elle se situe. Si les réformateurs de la liturgie avaient été réceptifs à cette leçon, on n’aurait sans doute pas eu de dissidence au sujet du missel ; en tout cas elle n’aurait pas eu l’ampleur qu’on lui connaît. Or, malheureusement, dans le missel promulgué par Saint Paul VI, l’offertoire ou le lectionnaire, pour ne citer que deux exemples, ne sont pas conformes à cette exigence.

C’est pourquoi on ne peut que s’accorder avec Benoît XVI quand il affirmait la nécessité d’une « réforme de la réforme ». Refuser cela, c’est rejeter un point fondamental de Vatican II. Pour autant que je puisse le discerner, Benoît XVI voyait bien que cette réforme de la réforme ne pouvait pas se décréter, il voulait qu’elle se fasse par une influence réciproque – ou un enrichissement mutuel - des deux formes du missel l’une sur l’autre. Ici il a été mal interprété. Les uns disaient qu’il voulait un retour pur et simple à l’ancienne forme, et que s’il avait parlé de réciprocité, c’était pour des raisons diplomatiques ; les autres affirmaient au contraire que ce qu’il voulait, c’était la disparition progressive de l’ancien missel, et que s’il ne le disait pas ouvertement, c’était pour des raisons diplomatiques inverses (notamment son souhait d’une réconciliation avec la Fraternité Saint Pie X). Ces supputations sont absolument contraires à ce qu’on sait de la très grande simplicité de cœur de votre prédécesseur, qui n’avait rien d’un furbo, comme je crois qu’on le dit dans votre langue maternelle.

Comment donc cet indispensable enrichissement mutuel pourrait-il avoir lieu si l’un des deux missels est cantonné comme vous voulez qu’il le soit ? Tant qu’on ne sera pas arrivé à un missel conforme aux vœux des Pères Conciliaires, il est indispensable que subsiste sans entrave l’usage de l’ancien missel. D’où la nécessité d’abroger Traditionis Custodes. On ne peut pas se réclamer de Vatican II et approuver sans réserve le missel récent, pas plus qu’on ne peut se réclamer de l’ancien pour contester la validité des réflexions des Pères Conciliaires sur la nécessité d’une réforme du missel qu’ils utilisaient.

Je crains qu’en tout cela on confonde unité et uniformité. Il fut un temps où l’Église n’existait guère, dans l’espace occidental, que dans un monde à peu près homogène culturellement. Mais aujourd’hui, même en Occident, on a affaire à un multiculturalisme. On n’a pas assez mesuré le changement qui s’est opéré, et dont l’une des composantes principales est le passage d’une culture de la transcendance à une culture de l’immanence. Ces deux cultures donnent naissance à deux spiritualités distinctes. Puisque Dieu est transcendant et immanent, il n’y a pas lieu de s’inquiéter du passage d’une spiritualité de la transcendance à une spiritualité de l’immanence : simplement il faut rester dans des limites raisonnables, et notamment se souvenir que dans une spiritualité de l’immanence il est plus difficile d’avoir le sens du sacré – et justement Benoît XVI dénonçait une certaine perte du sens du sacré. Or, le sacré est constitutif de notre religion. Je le vois comme une nécessité découlant du fait que, si l’ordre surnaturel est comme dans le prolongement de l’ordre naturel, il se situe néanmoins dans un plan totalement autre : est sacré ce qui, pris dans l’ordre naturel, est considéré, par nature ou par convention, comme donnant accès à l’ordre surnaturel.

Dans ce contexte on a fait très généralement une double erreur. D’une part, sans doute parce que de nombreux ecclésiastiques adhéraient à l’idéologie du progrès, on a pensé que ce passage d’une mentalité à l’autre était nécessairement un bien. D’autre part, en conséquence, on a voulu imposer ce changement à tous. Les demeures ne sont-elles pas nombreuses dans la maison du Père ? L’unité n’est pas l’uniformité. Le pluralisme des rites dans l’Église doit nous inciter à la prudence : si l’Église a su, au cours des âges, s’adapter aux diverses cultures, elle doit continuer à le faire aujourd’hui. Elle doit christianiser les cultures, non les imposer.

Je regrette donc que dans votre motu proprio et dans la lettre aux évêques qui l’accompagne, les fidèles attachés à l’ancien missel apparaissent comme condamnés sans avoir été entendus et sans qu’on leur ait laissé le temps, au cours d’un dialogue, de reconnaître la validité propre de Vatican II et du nouveau missel – du moins à ceux qui pourraient en douter encore. On n’a pas accordé assez d’importance au dialogue avec les traditionalistes. J’en ai pour preuve qu’alors qu’on me sait proche d’eux, jamais dans aucun des nombreux diocèses où j’ai servi, on ne m’a demandé quoique ce soit à ce sujet.

Il apparaît donc fort dommageable de punir toute une communauté pour les fautes supposées de certains de ses membres. Rappelez-vous Mambré : « Vas-tu faire périr l’innocent avec l’injuste ? », dit Abraham à Dieu, et Celui-ci valide l’argument. Car la réduction des possibilités d’user du missel ancien au prétexte que certains de ceux qui l’aiment ont de mauvais sentiments, apparaît nécessairement comme une punition. En bref, puisque vous dites avoir agi en réponse à la demande de certains évêques, il faut reconnaître que ceux-ci n’appartiennent pas à la pars sanior de l’épiscopat catholique.

D’ailleurs, Très Saint Père, admettriez-vous le raisonnement suivant ? Il consisterait à dire qu’il convient de restreindre l’usage de la langue vernaculaire dans la liturgie parce que certains de ses adeptes ont de mauvais sentiments par exemple à l’égard d’Humanae Vitae, où à l’égard de l’enseignement de l’Église sur l’impossibilité d’ordonner des femmes, et qu’ils critiquent l’usage du latin dans la liturgie, s’opposant ainsi, là aussi, à Sacrosanctum Concilium ? (Car les Pères de Vatican II étaient constants dans leur volonté de continuité, pour l’usage de la langue liturgique des rites latins comme pour la réforme des livres liturgiques.) Ce raisonnement, je ne peux l’admettre, et je n’admets pas davantage le vôtre qui lui est semblable.

A-t-on sérieusement chiffré la proportion de ces détracteurs du concile, ou du nouveau missel, parmi les prêtres attachés à la forme extraordinaire du missel romain ? N’admet-on pas trop facilement une accusation contre des anciens ? Contre cela Saint Paul mettait en garde Saint Timothée.

Du reste les évêques que vous avez consultés et qui vous ont parlé d’une « fermeture » de certains membres des instituts Ecclesia Dei sont-ils tous fiables à ce sujet ? Nous avons le cas en ce moment en France d’un évêque qui chasse un de ces instituts de son diocèse, au motif que les prêtres de cet institut refusent de concélébrer. Or, il est en contradiction avec la nature même de la concélébration qu’on cherche à la rendre obligatoire : en effet elle suppose chez le concélébrant la volonté de ne faire qu’un seul acte avec l’acte du célébrant, de sorte que la moindre réticence vis-à-vis de la concélébration, qu’elle soit justifiée ou non, vicie la volonté de ne faire qu’un acte avec celui du célébrant. On dit parfois que le propre de l’intégriste c’est d’imposer à tous des choses qui devraient rester facultatives ou objet d’une adhésion libre : si l’on suit cette conception, dans le cas qui nous occupe, l’intégriste n’est pas le traditionaliste, mais l’évêque lui-même ; d’ailleurs je lui ai écrit il y a déjà plusieurs semaines et j’espère qu’une réponse de sa part infirmera partiellement ce que j’ai dit plus haut au sujet de la déficience du dialogue à propos de notre actuelle préoccupation. La « fermeture » est plus répandue qu’il n’y paraît, aucune des deux parties n’en a le monopole.

De plus, j’ai parlé plus haut de ceux qui condamnent l’usage du latin dans la liturgie, en contradiction avec Vatican II : ils sont nombreux parmi les évêques français ; c’est pourquoi on peut se demander s’ils sont pour vous les meilleurs conseillers quant à la liturgie. L’un d’eux m’a même écrit un jour : « il est mauvais pour le peuple de prier habituellement dans une langue qui n’est pas la sienne. » Il faut d’abord repousser l’idée que la langue liturgique d’un peuple n’est pas « sa » langue : dirait-on que le copte n’est pas la langue … des Coptes, précisément ? Le latin est une des langues des peuples des rites latins. Mais surtout quel orgueil sous-tend la réflexion de cet évêque ! Ainsi pour lui les papes et les évêques se sont trompés pendant quinze siècles en faisant prier leurs peuples en latin, mais lui, cet évêque, il aurait tout compris mieux qu’eux ! C’est ce genre d’attitude qui me fait dire, comme je l’ai fait plus haut, que les adeptes de l’idéologie du progrès sont nombreux parmi les ecclésiastiques : en raison du progrès nous serions forcément mieux à même de comprendre la Révélation que nos devanciers. D’ailleurs l’orgueil rend bête : cet évêque continuait : « Je ne suis pas le seul à le penser, puisque le pape, quand il vient en France, dit la messe en français. » C’était sous Saint Jean-Paul II. C’est le niveau zéro de la logique, c’est comme s’il avait écrit : « la preuve que le pape est opposé au vélo, c’est qu’il fait du ski. » Ce n’est pas parce qu’on dit la messe en français qu’on est opposé à ce qu’elle soit dite en latin ! C’est en raison de ce genre d’attitude que je mets en doute la qualité de certains évêques à vous conseiller en la matière. Vous avez raison de dire qu’ils sont par nature les gardiens de la tradition, mais j’ai constaté que dans les faits beaucoup en sont les fossoyeurs.

Je veux vous en donner un autre exemple. Votre prédécesseur Benoît XVI soutenait que les traductions liturgiques ne sont pas le lieu de l’adaptation. Il y a plusieurs raisons à cela : d’une part c’est à mettre en lien avec le fait que la liturgie n’est pas fabriquée mais reçue, et d’autre part les textes liturgiques relèvent de la Tradition, donc de la Révélation, même si l’on doit reconnaître que certains textes sont plus riches que d’autres en lieux théologiques. Il n’appartient à personne de modifier la Révélation. Soutenant le point de vue du Pape, j’avais en 2011, pour le dixième anniversaire de Liturgiam authenticam, critiqué les traductions liturgiques en langue française en vigueur alors : on avait officiellement revendiqué qu’elles étaient des adaptations, afin de pouvoir en tirer des droits d’auteur et non de simple traducteur. Trois évêques ont alors exigé un droit de réponse méprisant et menteur. Ainsi j’avais fait remarquer qu’un défaut de ces traductions était la minoration du rôle propre du prêtre à la messe ; ils ont répondu « qu’on semble ignorer que les fidèles aussi offrent le sacrifice » - mais si on parle d’un rôle propre du prêtre, c’est qu’on sait que d’autres que le prêtre ont un rôle ! Alors voyez-vous, Très Saint Père, je ne peux faire aucune confiance à certains évêques pour être les gardiens de la Tradition et vous conseiller à ce sujet. Du reste ces évêques affirmaient que si l’on devait refondre les traductions, ce n’était pas parce que les précédentes étaient mauvaises, mais en raison de l’évolution de la langue française : ils seraient bien en peine de justifier par quelque changement de la langue que ce soit la plupart des différences entre l’ancienne traduction du missel et celle qu’on s’apprête à publier.

A ce propos, il faut considérer que la légitime adaptation dans les traductions, dont vous avez fait insérer la mention dans le droit canon, ne peut porter que sur ce qui est exigé par le génie de la langue vers laquelle se fait la traduction, et absolument pas sur le sens du texte. Si des adaptations étaient faites dans le but de faire des bénéfices sur les textes sacrés, alors on serait dans un cas de simonie caractérisée. Ce serait donc un honneur pour vous et votre pontificat de faire en sorte qu’à l’avenir l’Église soit à l’abri de tout soupçon à cet égard ; la solution est simple, il suffit de légiférer pour que les textes utilisés dans la liturgie soient libres de droits dès que les frais de traduction sont couverts, et que si cela prend plus qu’un certain délai à préciser, alors on devrait présenter des comptes au Saint Siège. Cela ne prendrait que très peu de temps à vos collaborateurs, si bien que si cette réforme n’avait pas lieu, ce serait une tache sur la robe de l’Église.

Et aussi, quel crédit accorder aux résultats de l’enquête ? Vous aviez demandé si des éléments de l’ancienne liturgie étaient passés dans la nouvelle, suite à Summorum Pontificum. Je voudrais d’abord faire à ce sujet une remarque. Beaucoup de prêtres qui auraient voulu adopter certains de ces éléments en ont été empêchés par leur respect des normes liturgiques : personne n’a le droit de changer de son propre chef quoi que ce soit à la liturgie. J’ai même entendu un prêtre dire ceci à propos du fait de garder joints les doigts qui ont touché l’hostie consacrée : « si les normes ne disent pas qu’on doit le faire, c’est qu’il ne faut pas le faire. » Quant à moi, voyant que vous posiez une telle question, j’ai compris que l’Église permettait de tels emprunts à l’ancienne liturgie, et j’ai adopté quelques usages de l’ancienne façon de faire : ainsi j’étends aux autres prières eucharistiques l’inclination prévue dans le canon romain pendant l’épiclèse qui suit la consécration, je fais la génuflexion après le Per Ipsum, avant le Pater, je trace une croix horizontale au-dessus du calice avant d’y laisser tomber la parcelle de l’hostie, etc.

Il convient à présent de remarquer que pour répondre à votre question, les évêques auraient dû largement interroger leurs prêtres. Mais je n’ai nulle part entendu parler d’une telle consultation. On peut donc émettre des doutes sur au moins une partie des résultats de l’enquête.

Je fais donc appel à votre sens pastoral et paternel. Les communautés attachées au missel de Saint Jean XXIII ont déjà beaucoup souffert ; elles ont été souvent persécutées, et si je me suis un peu trop appesanti sur mon cas personnel dans cette lettre, c’est pour aller à l’appui de cette idée que les traditionalistes ont souvent été persécutés, méprisés, rejetés : car moi qui ai adopté les usages postconciliaires, des confrères m’ont fait passer pour intégriste non seulement auprès des évêques, mais jusqu’auprès d’autorités laïques dont je dépendais, handicapant ainsi mon ministère : il suffisait, dans certains milieux ecclésiastiques de porter le col romain ou de dire le bréviaire en latin pour être inquiété. Si j’ai été maltraité, combien plus ces fidèles attachés aux formes antérieures de la liturgie l’ont-ils été ? Je vous demande donc respectueusement de ne pas ajouter de la souffrance à la souffrance.

On peut en outre vous faire remarquer que si votre volonté est vraiment de ne pas laisser dire du mal de Vatican II et du nouveau missel – et qui en douterait ? – alors votre motu proprio est d’une grande maladresse : si les fidèles attachés à la forme extraordinaire du missel ne peuvent plus la trouver facilement chez ceux qui sont en pleine communion avec vous et avec l’Église, beaucoup d’entre eux iront la chercher dans les lieux de culte de la Fraternité Saint Pie X, et je n’ai pas de raison de croire que là, on leur dira beaucoup de bien de ce que vous entendez défendre, Vatican II et le missel récent. Votre Motu Proprio aggrave donc les maux qu’il veut combattre. Vous le voyez, ce n’est pas seulement au nom de Vatican II qu’on doit critiquer votre récent motu proprio, c’est au nom du simple bon sens : vous avez été très mal conseillé.

Je veux avant de terminer vous remercier du fond du cœur d’avoir rappelé l’importance du respect des normes liturgiques. Là encore, j’ai des raisons personnelles de le faire, outre les raisons que tout prêtre peut avoir. Peu après mon ordination, on a voulu me faire dire la messe autrement que selon les normes du missel, et parce que j’ai refusé, on a fait de moi un paria condamné à l’errance. Merci donc Très Saint Père, puissiez-vous nommer des évêques convaincus de cette nécessaire obéissance aux lois liturgiques et punir ceux qui y manquent gravement.

Je vous assure de mes prières fréquentes pour vous et vous prie d’agréer, Très Saint Père, l’expression de tous mes sentiments filiaux.


Abbé Bernard Pellabeuf 

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