Notre lettre 404 publiée le 10 septembre 2013

À LA RENCONTRE DE MGR SAMPLE, ARCHEVÊQUE DE PORTLAND


Le congrès international Sacra Liturgia 2013, qui a eu lieu du 25 au 28 juin à Rome, a donné à trois évêques et deux cardinaux la possibilité de contribuer aux discussions sur la liturgie et la réforme de la liturgie, à côté de prêtres, de religieux et de laïcs. L’un d’eux était Mgr Alexander Sample, ancien évêque de Marquette dans le Michigan et désormais archevêque de Portland, Oregon. En plus de sa participation à la conférence que lui avait demandée l’évêque de Fréjus-Toulon, Mgr Rey, Mgr Sample était à Rome pour recevoir le pallium (une étole de laine, insigne des archevêques) des mains du pape François, en la solennité des saints Apôtres Pierre et Paul. Sa riche expérience de pasteur lui a permis de donner un éclairage précieux et très apprécié sur « L’Évêque : gouverneur, promoteur et gardien de la vie liturgique du diocèse ».



I –  RÉSUMÉ DE L'INTERVENTION DE MGR SAMPLE LORS DU COLLOQUE SACRA LITURGIA


L’objet de la présentation de Mgr Sample était d’offrir une réflexion sur l’action d’un évêque dans son diocèse au regard des textes du Concile Vatican II qui en définissent le rôle et, en particulier, les trois fonctions qui lui sont propres : munus docendi, munus liturgicum [munus sanctificandi] et munus regendi (la charge d’enseigner, la charge liturgique [charge de sanctifier] et la charge de gouverner).

Dans les documents conciliaires, l’évêque est appelé « grand prêtre » et « grand pasteur des brebis » qui lui sont confiées. Même si sa tâche dans la liturgie n’est pas explicitement examiné, il est souligné de manière implicite combien la liturgie de l’évêque est et doit être exemplaire, en particulier celle qu’il célèbre dans sa cathédrale. Cette liturgie doit être exemplaire pour les prêtres et pour les fidèles laïcs du diocèse, et sa praxis doit être imitée dans les paroisses, dans la fidélité aux normes liturgiques et dans la conscience de la beauté qui doit accompagner l’adoration divine.

Mgr Sample cite Lumen Gentium 26 pour illustrer que l’évêque est celui « à qui a été confiée la charge de présenter à la Majesté divine le culte de la religion chrétienne, de le régler selon les préceptes du Seigneur et selon les lois de l’Église, auxquelles il apporte, pour son diocèse, par son jugement particulier, les déterminations ultérieures ». Le décret Christus Dominus, sur la charge pastorale des évêques dans l’Église, rappelle que « le Christ a donné aux Apôtres et à leurs successeurs l’ordre et le pouvoir d’enseigner toutes les nations, de sanctifier les hommes dans la vérité et de guider le troupeau ».

Le Canon 392 du Code de Droit canonique énonce tout aussi clairement que l’évêque, parce qu’il doit « défendre l’unité de l’Église tout entière », est appelé à veiller « à ce que des abus ne se glissent pas dans la discipline ecclésiastique, surtout en ce qui concerne le ministère de la parole, la célébration des sacrements et des sacramentaux, le culte de Dieu et des saints, ainsi que l’administration des biens.  » En outre, il est de sa responsabilité de veiller à ce que les prêtres, les diacres et les fidèles laïcs soient immergés toujours plus profondément dans la signification des rites et des textes liturgiques. La dignité et la beauté du sanctuaire, ainsi que la musique et les arts sacrés, doivent l’aider à atteindre cet objectif.

Mgr Sample estime que l’une des tâches les plus importantes des évêques est précisée dans Apostolorum Successores, le Directoire pour le ministère pastoral des évêques (§ 142) : « L’Évêque doit considérer comme son office propre avant tout, celui d’être le responsable du culte divin et, en raison de cette fonction, il exercera les autres tâches de maître et de pasteur. En effet, la fonction de sanctification, quoique étroitement unie par sa nature aux ministères de magistère et de gouvernement, se distingue en ce qu’elle est spécifiquement exercée dans la personne du Christ, Souverain et Éternel Prêtre, et constitue le sommet et la source de la vie chrétienne. » L’évêque agit in persona Christi capitis, comme instrument du Christ-Tête, en particulier dans la liturgie (ce tout dernier point aurait mérité des précisions que ne permettait pas une conférence).

Après cet exposé convaincant sur la mission et la responsabilité épiscopales en matière de liturgie, l’archevêque puisa dans son expérience de pasteur du diocèse de Marquette (Michigan) pour en illustrer la mise en œuvre pratique.

Comme requis par les textes du Concile, l’évêque doit sanctifier son diocèse (munus liturgicum ou sanctificandi), notamment par la liturgie, en lui donnant une orientation. Sa liturgie doit enseigner par l’exemple. Trop d’abus liturgiques sont justifiés par le fait que « Nous avons vu cela dans la cathédrale » ! Les liturgies terre-à-terre sont malheureusement bien plus fréquentes que nous ne voudrions l’admettre. À Portland, comme à Marquette hier, Mgr Sample souhaite tout simplement que les fidèles et les prêtres suivent son exemple et proclament, pour sa plus grande joie : « C’est ainsi que fait l’évêque ».

Le deuxième aspect du ministère de l’évêque est son devoir d’enseigner (munus docendi). Lui-même se voit comme le guide du renouveau liturgique de son diocèse car, selon lui, les normes liturgiques doivent être expliquées à nouveau aux prêtres et aux laïcs : « Je suis de plus en plus convaincu qu’une partie très importante du problème avec la célébration de la liturgie, et surtout de la Sainte Messe, découle de nos jours d’un manque profond et général de compréhension de la nature et de la signification intérieure de la liturgie elle-même.  » Pour y remédier, l’évêque doit utiliser tous les moyens qui sont à sa disposition, ses conseils comme les publications diocésaines, et, notamment, le site internet du diocèse. Évidemment, il ne faut pas s’attendre à un changement du jour au lendemain. Des années, sinon des décennies, de bonne catéchèse doivent être envisagées.

Enfin, l’évêque exerce le munus regendi, la conduite du troupeau. Pour lutter contre les abus, il doit lui-même éviter d’enfreindre les lois liturgiques. Il est de sa responsabilité de s’assurer, avec patience et compréhension, que les normes liturgiques sont respectées par ses prêtres. « Je suis convaincu que ce que nous pourrions appeler ‘une bonne liturgie’ commence par la fidélité inébranlable aux normes liturgiques établies par l’autorité compétente », a-t-il déclaré. Pour garantir cette fidélité, les abus liturgiques doivent être corrigés en plusieurs fois si nécessaire. Souvent, il ne s’agit pas d’une désobéissance volontaire des prêtres ou des fidèles mais d’une mauvaise compréhension de leur part. Et Mgr Sample de plaider pour la publication, par les évêques soucieux de liturgie, d’une lettre pastorale sur la liturgie, doublée d’un appel à une meilleure catéchèse en la matière et de directives pratiques (par exemple pour la musique d’église).

Le dernier point que Mgr Sample a tenu à mentionner et qui ne figurait pas dans le texte remis aux traducteurs de la conférence, c’est qu’il voit la forme extraordinaire comme une contre-mesure efficace aux mauvaises pratiques liturgiques. Selon lui, la "réforme de la réforme" souhaitée par Benoît XVI passe par une plus grande connaissance, donc diffusion, de la forme ancienne du rite romain. Si la forme ordinaire est appelée à se réorienter sur les documents conciliaires, elle a besoin d’une boussole et d’un modèle. Pour l’archevêque de Portland, ce modèle, c’est la liturgie traditionnelle. Selon lui, les évêques qui veulent participer au renouveau de l’Église doivent se familiariser avec la forme extraordinaire du rite romain.

On notera qu’à Marquette, Mgr Sample avait permis la forme extraordinaire, répondant ainsi aux souhaits de ses brebis. Surtout, comme pasteur, il avait revendiqué le droit, avant d’établir des lieux de culte dans la forme extraordinaire, de la célébrer lui-même dans sa cathédrale.




Mgr Sample à Rome, pendant le congrès Sacra Liturgia



II –  ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC MGR SAMPLE


Lors de sa venue à Sacra Liturgia, Mgr Sample a eu la courtoisie de nous accorder quelques instants  pour un bref entretien.
 

1) Quand on regarde le catholicisme américain depuis l’Europe, on a le sentiment que la question liturgique n’y est pas un enjeu idéologique. Est-ce le cas ?

Mgr Sample : Je ne vis pas ici, en Europe, mais si j’en juge par les informations que j’ai recueillies auprès des participants à la conférence, j’ai en effet l’impression qu’il y a une plus grande ouverture à la forme extraordinaire du rite romain aux États-Unis. Peut-être que certains  ne la veulent pas ou ne l’aiment pas, mais ils n’en font pas un casus belli et l’acceptent, même s’ils n’en sont pas heureux. J’ai l’impression que les personnes  que j’ai rencontrées en Europe, notamment pendant le colloque, ont plus de difficultés dans leurs propres diocèses pour obtenir la forme extraordinaire.


2) Pensez-vous que le Motu Proprio Summorum Pontificum a été mis en action dans votre diocèse précédent (Marquette) tel que le voulait Benoît XVI ?

Mgr Sample : Je l'espère. Quand les fidèles ont demandé son application, l’évêque (moi-même) a veillé à ce qu’ils soient satisfaits. Nous avons eu trois paroisses de ce petit diocèse rural, qui ont introduit la forme extraordinaire dans leur liturgie. Cela venait d’une véritable demande de la population. Lors de la publication du Motu Proprio, le Saint-Père a invité les évêques à être très généreux avec les fidèles. C’est ce que j’ai essayé de faire dans mon affectation précédente. Aujourd’hui, à Portland, où je ne suis que depuis le début de l’année, j’ai encore besoin d’avoir une idée de la demande des fidèles.


3) Selon vous, comment parvenir à la paix liturgique ?

Mgr Sample : En voici une question ! En effet, on a souvent l’impression que la liturgie est un champ de bataille, n’est-ce pas ? En remontant à mes années de séminaire, l’expérience de presque toute ma vie sacerdotale est que la chose qui devrait le plus nous unir est la chose qui nous divise le plus. C’est vraiment triste. Je crois que cela pèse lourdement sur le cœur de Notre-Seigneur, pour employer un terme anthropologique, de voir que le don de Lui-même, qu’Il nous a laissé dans l’Eucharistie, est devenu un motif de division parmi ses disciples, même au sein de l’Église catholique.

La paix liturgique, c’est d’accepter tout ce que l’Église nous a donné, dans toutes ses formes, en incluant bien sûr la forme extraordinaire, que nous devons accepter avec autant d'amour et de Charité que les autres formes. Comme l’explique le Saint-Père dans le Motu Proprio et dans l’instruction Universae Ecclesiae, la forme ordinaire reste l’ordinaire. Lorsque nous serons capables de recevoir tout ce que l’Église nous offre et de l’accepter tel quel, alors nous nous approcherons de la paix liturgique. Si nous restons trop attachés à nos préférences et à nos goûts, en rejetant ceux des autres, si ceux-ci sont légitimes, alors nous quittons le droit chemin et la charité fraternelle.



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