Notre lettre 382 publiée le 10 avril 2013

LE RECOURS AU LATIN, UNE PISTE POUR L'ÉGLISE


L’un des derniers actes de Benoît XVI aura été d’instituer l’Académie pontificale de latinité (1). Le but de cette Académie est de concourir, en s’appuyant sur les études classiques, patristiques, médiévales et humanistes, à la redécouverte de la langue latine, élément essentiel de la compréhension et de la préservation de notre civilisation chrétienne et européenne.

Souhaitons qu’elle aura une efficacité plus grande que la constitution Veterum sapientia, qui réaffirmait l’importance de l’étude et de l’usage de la langue de l’Église latine dans l’Église latine, promulguée très solennellement le 22 février 1962 par le Bienheureux Jean XXIII, l’année de la dernière édition typique (modèle) de l’antique missel romain (le « missel de 1962 », que le Motu Proprio Summorum Pontificum a rétabli pleinement dans ses droits.

Dans un article récent, Il Settimanale di Padre Pio, l’hebdomadaire des Franciscains de l’Immaculée, a commenté cette fondation en la reliant à la décision de Benoît XVI de redonner à la liturgie latine traditionnelle toute sa légitimité dans l’Église. Nous vous proposons cette semaine une traduction libre de cet article, suivie de nos réflexions.




I – L’ESSENTIEL DE L’ARTICLE DE LAZZARO CELLI
(Il Settimanale di Padre Pio, 2 décembre 2012)



Au lendemain des invasions barbares, qui amenèrent à la chute de l’empire romain d’Occident, l’Église assuma la mission de préserver et de maintenir les traditions gréco-romaines, faisant du latin le trait d’union des cultures barbaro-romaines. De même, aujourd’hui, le Saint-Père [Benoît XVI, NdT], face au retour à la barbarie de la civilisation européenne, promeut la diffusion de la messe traditionnelle et instaure une Académie pontificale de latinité.

Voici quelques considérations sur la portée de ces initiatives.

L’Église parle toutes les langues, utilisées comme autant de véhicules pour atteindre le cœur de l’homme. Transcendée par l’amour du Christ, la diversité linguistique n’est en effet pas un obstacle à l’unité des chrétiens. La liturgie célébrée en latin peut cependant contribuer utilement à cette unité.

L’une des objections les plus fréquentes à la diffusion de la liturgie en latin est la faible connaissance de la langue latine parmi les fidèles comme parmi le clergé. Toutefois, si l’on comprend qu’il y a dans la liturgie une communication qui dépasse le langage et fait appel au sens du sacré des participants, cette objection tombe facilement. La liturgie est en effet le lieu de communication du surnaturel, de notre rencontre avec le Christ souffrant à travers l’Immaculée. C’est un rendez-vous avec les anges gardiens et les saints. Un rendez-vous au Paradis. Plus que d’être latiniste, ce qui compte pour participer à la liturgie traditionnelle c’est la disposition de notre âme à se sanctifier.

Bien entendu, cette tournure d’âme s’acquiert et se renforce avec la pratique. De la même façon, nous enseigne la sagesse populaire, que c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en exerçant nos vertus que l’on devient vertueux. Par "pratique", nous n’entendons pas simple fréquentation mais imitation, car c’est en imitant qu’on apprend. Passées les premières difficultés et pour peu que l’on se munisse d’un bon livret, il est facile d’apprendre les réponses de la messe. Comme en toute chose, ce sont les premiers pas qui coûtent, le reste coule ensuite de source.

La question du latin se raccroche en fait à une bataille culturelle qui dépasse le champ de la liturgie et s’en prend à l’ensemble des études classiques, patristiques, médiévales et humanistes pour mieux miner les fondements de notre identité et, partant, de la chrétienté.

L’Académie pontificale de latinité aura un rôle essentiel à cet égard, pour freiner la diffusion d’un cancer qui prétend construire un futur oublieux de nos racines. Surtout, elle est une exhortation aux évêques, aux recteurs de séminaires et aux supérieurs d’instituts religieux, afin qu’ils utilisent et diffusent la langue latine, dans la liturgie mais pas seulement. L’initiative du Pape est un encouragement à tous ceux qui, avec esprit prophétique et sens de l’anticipation, promeuvent d’ores et déjà la latinité et les valeurs de la culture classique.

Propager la connaissance de nos racines répond à bien autre chose qu’à une impulsion sentimentale qui nous pousserait à remplir le vide que peut procurer la nostalgie du passé. Il s’agit de défendre le patrimoine traditionnel comme héritage commun de toute l’humanité. Par son action, l’Église, dans les époques de crise, a toujours été proche des hommes. Nul ne peut prétendre qu’il en soit autrement à l’heure actuelle.




II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE


1)  Rappelons un point historique capital : si la liturgie a été célébrée en latin à Rome, dès la seconde partie du IIIe siècle, ce n’est nullement pour les raisons de l’adoption moderne des langues vernaculaires. Durant deux siècles et demi, la langue liturgique de Rome n’avait pas été la langue du cru, mais le grec, qui était la langue véhiculaire de la Bible, dans la traduction de la Septante. Langue commerciale et d’échange, koinè, que le peuple comprenait toujours plus ou moins, c’était aussi une langue de haute culture : à Rome, les personnes de condition élevée se devaient, à cette époque-là, d’être bilingues.

Il serait donc tout à fait anachronique de dire que l’usage du grec, à l’origine, était semblable à l’usage moderne d’une langue vulgaire dans la liturgie. Mais il serait tout aussi anachronique de dire que le passage au latin a été quelque chose comme le phénomène d’après Vatican II. Cette adoption du latin par la liturgie chrétienne a été l’un des phénomènes culturels les plus importants de l’Occident : la culture chrétienne, spécialement liturgique, s’est approprié la haute culture latine. Les hymnes de saint Ambroise et de Prudence, demeurent entre autres les témoins de ce phénomène d’osmose, qui est le cœur du processus ayant engendré la culture occidentale, laquelle est spirituellement chrétienne et culturellement latine.


2)  L’article de Lazzaro Celli est un écho de la préoccupation exprimée dès 1971, dans les colonnes du Times, par les signataires du fameux manifeste à l’origine de l’indult dit Agatha Christie. Ces grands esprits entendaient alors attirer l’attention du Saint-Siège « sur l’effrayante responsabilité qu’il encourrait dans l’histoire de l’esprit humain s’il refusait de permettre la survie de la messe traditionnelle, même si ce n’était que côte à côte avec d’autres formes liturgiques ».

Il aura fallu attendre Benoît XVI pour que le Saint-Siège donne enfin une réponse satisfaisante au cri d’angoisse de ces intellectuels et prenne conscience que la tradition catholique est bel et bien un « héritage commun de toute l’humanité ». Quarante ans, le temps interminable de la traversée du désert...


3)  Dans leur appel, les signataires de 1971 affirmaient que le rite romain traditionnel, « dans son magnifique texte latin », appartenait « à la culture universelle aussi bien qu’aux hommes d’Église et aux chrétiens pratiquants ». C’est en ce sens que, même si la diversité linguistique n’est pas un obstacle à l’unité des chrétiens, « la liturgie célébrée en latin peut cependant contribuer utilement à cette unité ».

Parce que, là encore, c’est la dimension universelle, donc pleinement catholique, de l’Église qui est en jeu, il convient de saluer le travail de l’équipe des célébrations liturgiques que dirige Monseigneur Guido Marini, qui a redonné au latin toute sa place lors des offices solennels du Souverain Pontife. La première Semaine Sainte du pape François n’a d’ailleurs pas dérogé à cette inflexion. En soi, cela ne devrait avoir rien d’étonnant car il ne s’agit que du respect de la Constitution sur la Sainte Liturgie du concile Vatican II : " L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins." (Sacrosanctum Concilium, article 36.1)


4)  « Plus que d’être latiniste, ce qui compte pour participer à la liturgie traditionnelle c’est la disposition de notre âme à se sanctifier. » Tout est dit ! L’auteur rejoint ici les propos de l’ancien secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, désormais Aumônier de Sa Sainteté, Mgr Guido Pozzo : « Dans l’ancienne messe, sont explicités, mis en évidence, certains aspects fondamentaux de la liturgie qui méritent d’être conservés. Je ne parle pas seulement de la langue latine ou du chant grégorien. Je parle du sens du mystère, du sacré, du sens du sacrifice, de la messe comme sacrifice, de la présence réelle et substantielle du Christ dans l’Eucharistie, et du fait qu’elle offre de grands moments de recueillement intérieur qui sont comme une participation intérieure à la divine liturgie. » (lettre PL 305)

Comme l’écrit l’auteur, la forme extraordinaire de la messe offre aux fidèles comme au célébrant un « rendez-vous au Paradis ». À condition, toutefois, d’une disposition d’âme adéquate et d’un minimum de préparation. Si ce minimum de préparation est souvent offert par les communautés où se célèbre la liturgie traditionnelle, il devrait néanmoins être un souci constant des prêtres comme des laïcs, notamment lorsque la célébration se fait dans un cadre paroissial. Parfois, en effet, certaines tentatives d’application de Summorum Pontificum ne prennent pas car les fidèles habitués à la forme ordinaire s’y sentent dépaysés et isolés alors qu’il suffirait de quelques paroles et « d’un bon livret » mis à leur disposition pour qu’ils s’approprient cette forme liturgique.


5)  N’oublions pas non plus le caractère d’unification et de communion que permet le latin : il y a cinquante ans, un catholique se retrouvait chez lui lorsqu’il assistait à la messe, partout dans le monde ; la seule chose qui lui paraissait étrangère était… le sermon en langue du pays. Ceci est encore vrai dans toutes les paroisses du monde où est célébrée la forme extraordinaire alors que dans un même pays (et même dans une même ville), les innombrables manières de célébrer la forme ordinaire (alors même qu'elle l'est le plus souvent dans la même langue vernaculaire) donnent bien souvent aux fidèles, selon leurs sensibilités propres, la curieuse impression d'être en terre inconnue.

Pensons également à un récent souvenir, celui du chemin de Croix présidé par notre pape François le vendredi 29 avril 2013 au Colisée de Rome. Comme il était émouvant de sentir que la foule immense des 100 000 fidèles réunis autour de leur nouveau pape ne priaient ensemble qu’au moment de la récitation du Pater… en latin, ce que savent tous les familiers des grands pèlerinages ou des JMJ.

L'institution de cette Académie Pontificale de latinité est une bonne chose. Afin qu'elle ne demeure pas un voeu pieux et que ses objectifs puissent être atteints, il faudra que nos pasteurs les évêques diocésains lui donnent corps en offrant par exemple un véritable enseignement du latin dans les séminaires diocésains et pourquoi pas, montrent eux-mêmes l'exemple en recourant régulièrement à l'usage de la langue latine dans leurs célébrations.


(1) LETTRE APOSTOLIQUE EN FORME DE MOTU PROPRIO "LATINA LINGUA"


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