Notre lettre 199 publiée le 12 octobre 2009

2009 : une vocation sacerdotale sur quatre se destine en France à la forme extraordinaire

Le discours épiscopal évolue sous la pression d’une réalité terrible objectivement pour l’Église d’Europe occidentale : la disparition annoncée du sacerdoce diocésain, et sous la pression d’une autre réalité non moins terrible, mais subjectivement cette fois, pour l’épiscopat d’Europe occidentale : s’il y a de moins en moins de vocations diocésaines, il existe pourtant encore des lieux qui attirent des vocations (relativement) nombreuses, à savoir les communautés traditionalistes et les communautés nouvelles. Ainsi, le cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, en vient-il à énoncer des vérités, qui à vrai dire crevaient les yeux depuis longtemps : « Nous ressentons aussi les effets de la crise des dernières décennies. Le flou de la formation et de l’identité du prêtre a fait que beaucoup ont hésité. Parallèlement, ces trente dernières années, en Europe ou en Amérique, on a assisté à un phénomène très répandu : les jeunes s’orientent vers des lieux de vie chrétienne consistante et d’enseignement théologique fidèle à la foi de l’Église : quelques séminaires et des communautés nouvelles ont une profusion de vocations. Certains confrères un peu soixante-huitards en concluaient : "Ces jeunes cherchent la sécurité, ils sont frileux, ils n’osent pas se confronter avec le monde, etc." sans voir que c’était leur style de vie sécularisé, leur théologie plate et horizontale qui n’avaient aucun attrait pour un jeune ! C’est pour cela que dans nos chapitres généraux, nos assemblées diocésaines, j’ai proposé de commencer par nous interroger : "Où il y a-t-il des vocations ? Pourquoi ?" Soyons assez honnêtes pour y regarder de près. On aura une réponse facilement. Il faut oser se confronter à la réalité » (cité par Famille Chrétienne).



L’échec d’une liturgie « plate et horizontale »


La « théologie plate et horizontale » que dénonce le cardinal de Vienne a un rapport étroit avec ce qui est le plus important dans la vie des prêtres, le culte divin : à théologie plate et horizontale, liturgie plate et horizontale, et réciproquement. Tout le monde le sait. Le peuple chrétien non seulement le sait, mais il le sent au niveau le plus profond, celui du sens de la foi. Les sondages ne cessent d’en avertir : un fidèle pratiquant sur trois assisterait volontiers à la messe selon la forme extraordinaire si elle lui était offerte dans sa paroisse. On rétorque que les sondages, aussi scientifiques qu’ils soient, ne sont que des sondages, manipulables, toujours sujets à caution. Un seul sondage peut-être, mais pas tous les sondages dans l’espace et dans le temps, pas toutes les réponses, toujours identiques.

D’autant que les chiffres eux-mêmes, des chiffres purs et simples, viennent le certifier. Les chiffres de la pratique dans les lieux où la messe traditionnelle est à nouveau offerte aux fidèles. Mais aussi et surtout les chiffres les plus importants et les plus décisifs pour la vie de l’Église – et aujourd’hui pour sa survie ! –, ceux des ordinations sacerdotales, ceux des séminaristes et ceux des vocations sacerdotales. Que disent-ils ? La même chose. En France, après 40 ans de réforme liturgique, dans les circonstances présentes, conjonctures positives de porte entrouverte par le Motu Proprio Summorum Pontificum, et contingences négatives de son application aussi peu généreuse que possible par de nombreux évêques de France, un sur quatre au moins des jeunes gens qui se destinent au sacerdoce « séculier » (c'est-à-dire qui se destinent ou se destineraient en période normale à devenir des prêtres diocésains) se tournent vers une formation qui débouchera sur la célébration de la forme extraordinaire. Un sur quatre, alors qu’ils savent que les administrations diocésaines font toujours en sorte qu’ils aient le moins de « débouchés » possible dans cette forme de célébration. S’il y avait des « débouchés » pour un sacerdoce voué à la forme extraordinaire ou à un bi-formalisme, un sur trois, comme dans les sondages.

Ce constat va très loin : plus que tous les raisonnements du monde, il signe l’échec d’une réforme liturgique « plate et horizontale », et avec elle de toute une « pastorale » (en réalité, de toute une ecclésiologie) qui accompagne cette liturgie.



Un échec chiffré


1°/ Les ordinations : dans le numéro 183, du 22 juin 2009 de Paix Liturgique, était fait le décompte des ordinations françaises : pour 90 ordinations diocésaines, 15 prêtres français assimilables à des prêtres diocésains (communautés traditionalistes non assimilables à des communautés religieuses) ont été ordonnés pour la forme extraordinaire, soit plus de 14%. Chiffre en croissance, puisqu’il était environ de 10% dans les années précédentes.



2°/ Les séminaristes : dans le numéro 176, du 5 avril 2008, était constaté qu’en 2008-2009, il y avait, à quelques unités près, 740 séminaristes diocésains en France pour la forme ordinaire et 160 assimilables à des diocésains (non religieux) pour la forme extraordinaire (dont environ 40 seulement pour la Fraternité Saint-Pie-X). Autrement dit, près de 20% des séminaristes français se destinent à la forme extraordinaire. On peut estimer raisonnablement que l’on atteindra, dans les deux années à venir, la proportion de 25%. On y est déjà, si l’on considère qu’un certain nombre de séminaristes diocésains craignent de moins en moins d’exprimer leur sympathie pour la forme extraordinaire du rite romain et disent tranquillement qu’ils entendent utiliser demain, au moins partiellement, dans leurs futurs ministères, les possibilités offertes par le Motu Proprio de Benoît XVI. Quant aux ordinations diocésaines, compte tenu du fait que chaque année des deux cycles (voir plus bas) compte un peu plus d’une centaine de séminaristes, en raison des inévitables départs, le maintien du niveau de moins d’une centaine d’ordinations par an est inéluctable pour une dizaine d’années à venir (la formation d’un séminariste, année de propédeutique comprise dure en effet sept ans, auquel peut s’ajouter une année de stage).

Bientôt donc, un séminariste français sur quatre se destinera – en réalité un séminariste français sur quatre se destine déjà – à la forme extraordinaire ou au bi-formalisme. Etant précisé, qu’on nous pardonne d’insister, que si les prêtres traditionnels avaient l’assurance d’avoir un apostolat « normal » dans les diocèses, cette proportion serait plus importante encore. Durant ce temps (une dizaine d’années), le nombre des 9.000 prêtres diocésains actuellement en activité en France (sur 15.000 prêtres), se réduira selon les projections les plus optimistes à 5.000 prêtres, et le nombre des prêtres « extraordinaires », dans les perspectives les plus pessimistes pour eux tendra vers 10%.



3°/ Les vocations en 2009 : ceci est aujourd’hui confirmé par les estimations de rentrée dans la première année de formation (« propédeutique » ou équivalent). Certes, les calculs sont ici un peu plus difficiles, pour plusieurs raisons. D’abord, les chiffres de rentrée en propédeutique ne sont pas donnés d’année en année avec précision. En effet, un garçon qui se destine à la vie sacerdotale non religieuse va suivre, en France, 6 ans de formation, répartis en deux cycles (1er cycle de philosophie en 2 ans ; 2ème cycle de théologie en 4 ans ; avec souvent une coupure d’un an de stage). Mais auparavant, dans un certain nombre de séminaires diocésains (la maison de Paray-le-Monial, aujourd’hui fermée, avait été sous la direction du P. Bagnard devenu depuis évêque de Belley-Ars, la première du genre, Metz qui englobe Nancy fermé en 2005, Aix, Ars, Pays de Loire, Vannes, Paris, aujourd’hui Versailles et Bayonne, etc.), une année de discernement de la vocation – dite, dans le jargon, année « off » – nommée année de « propédeutique » (à Paris « année de formation spirituelle », à la maison Saint-Augustin), précède la rentrée dans le 1er cycle. Au cours de cette année, les candidats au sacerdoce sont initiés à la pratique de la direction spirituelle, reçoivent principalement une formation de spiritualité, suivent une retraite d’exercices, font un stage dans une œuvre d’Église (par exemple, « L’Arche »), procèdent à une révision (ou parfois à une première vision) du catéchisme, et s’il y a lieu reçoivent le sacrement de confirmation. Cependant, tous les séminaires diocésains ou interrégionaux n’ont pas cette année de propédeutique. Dans les séminaires traditionnels, où les candidats se destinent à la forme extraordinaire, cette année est dite parfois « année de spiritualité ».

Du fait de la difficulté, pour les raisons susdites, de connaître le nombre exact des vocations diocésaines qui se déclarent chaque année, on est obligé de procéder à des projections avec les chiffres dont on dispose. On sait, par exemple, qu’en 2007, sur les 133 séminaristes diocésains qui entraient en 1ère année de 1er cycle (dont 12 Vietnamiens ordonnés pour leurs diocèses du Viêt-Nam, soit 121 Français), 83 seulement avaient suivi une année de propédeutique. Autrement dit, parmi les séminaristes français qui entraient dans un séminaire proprement dit, un peu plus de 60% avaient suivi auparavant l’année de propédeutique, les autres étant entrés directement dans le cycle de formation. Compte tenu des départs normaux à la fin de l’année de propédeutique, année vouée par définition au discernement de la vocation (départs vers la vie religieuse, vers les communautés nouvelles1, retour « dans le monde », ou bien encore, horresco referens, départ vers les séminaires traditionalistes), il est raisonnable d’évaluer le nombre moyen des vocations qui se déclarent en cette rentrée 2009 au mieux à environ 150, pour aboutir l’an prochain au plus à 120 entrées en 1ère année de 1er cycle. Ce chiffre (qui inclut des candidats purement potentiels) étant certainement optimiste, compte tenu des données (6 propédeutiques à Bayonne, 6 à Versailles, 9 à Ars, 19 pour les Pays de Loire, etc.), le véritable chiffre des vocations diocésaines déclarées devant plutôt avoisiner 120, et les rentrées l’an prochain en 1ère année de 1er cycle devant être plutôt d’une grosse centaine.

En revanche, il est possible de connaître à l’unité près les chiffres d’entrée en 1ère année de formation (année de spiritualité ou assimilée) des jeunes gens qui se destinent expressément à être prêtres dans la forme extraordinaire : ils sont très exactement 41 Français, dont 17 pour la Fraternité Saint-Pie-X. En d’autres termes 20 à 25% des vocations assimilables à des vocations diocésaines se destinent cette année en France à la forme extraordinaire.


***

On peut dire à coup sûr 25%, dans la mesure où, parmi ceux qui entrent dans des propédeutiques diocésaines ou qui entreront en 1ère année de 1er cycle en 2010, un certain nombre manifestent le désir de célébrer aussi la forme extraordinaire. Il faut encore insister sur le fait que l’absence de « débouchés » pour la forme extraordinaire (en tant que pratique exclusive ou comme pratique bi-formaliste) comprime indubitablement le nombre des rentrées dans les séminaires traditionnels et même dans les séminaires diocésains. Dès l’instant que des évêques – comme cela se produit dans un seul cas pour l’instant, celui du diocèse de Toulon-Fréjus – proposerait a priori des apostolats « extraordinaires » et même – comme toujours dans le seul cas pour l’instant de Toulon-Fréjus– intégrerait purement et simplement la formation des vocations à la forme extraordinaire ou des vocations bi-formalistes dans le séminaire diocésain lui-même, les rentrées de ce type seraient nettement plus nombreuses.


Au fond, pour que le nombre des vocations, sans imaginer qu’il explose, cesse tout simplement de chuter et redevienne seulement un chiffre en croissance, il suffirait que le Motu Proprio Summorum Pontificum soit appliqué sans réserve par les évêques de France d’abord et avant tout en ce qui concerne le point le plus sensible : les conditions de la formation dans les séminaires. En clair, il suffit que l’évêque dise aux candidats au sacerdoce : « Dans mon diocèse, je propose des apostolats paroissiaux et non-paroissiaux de forme extraordinaire et des apostolats bi-formalistes ».


Pour inverser la tendance, il faudrait donc que le Motu Proprio soit appliqué dans tous les séminaires par tous les évêques de France ? Même pas. Pour que le nombre des séminaristes français cesse de chuter, il suffirait qu’une petite dizaine d’évêques français fassent entrer le Motu Proprio dans leurs séminaires. C’est un souhait, on en conviendra, modeste. En l’état actuel de l’épiscopat français, ce n’est peut-être pas un souhait irréaliste.


L'Abbé Claude Barthe


1 Dont la Communauté Saint Martin, qui attire notamment un nombre conséquent de Parisiens qui ne trouvent pas l’esprit qu’ils cherchent à la Maison Saint-Augustin, rue de la Santé.

A la une

S'abonner à notre lettre hebdomadaire

Si vous désirez recevoir régulièrement et gratuitement la lettre de Paix Liturgique, inscrivez-vous.
S'ABONNER

Paix Liturgique
dans le monde

Parce que la réconciliation liturgique est un enjeu pour toute l'Église universelle, nous publions tous les mois des lettres dans les principales langues du monde catholique. Découvrez et faites connaître nos éditions étrangères.

Télécharger notre application

Soutenir Paix Liturgique