Notre lettre 1114 publiée le 8 octobre 2024

PRETRES, RELIGIEUX ET LAICS...

DE LEURS CAPACITES RESPECTIVES

DANS L'EGLISE D'AUJOURD'HUI


Il y a beaucoup de confusion, c’est peu dire, aujourd’hui, dans l’Église. Ainsi voit-on des laïcs qui s’estiment les égaux des prêtres, voire se pensent capables de les remplacer, ou inversement des clercs qui croient que les grâces de l’ordination leur confèrent une omnipotence, voire une infaillibilité qui leur donnerait un pouvoir absolu dans tous les domaines. En soi, il s’agirait de deux hérésies. En réalité on est surtout, compte tenu du grand bazar qu’est devenue la société ecclésiastique, dans le domaine des conflits de pouvoir et des luttes d’influence. Nous avons demandé à Christian Marquant, coordinateur du mouvement laïc pour la Paix Liturgique, fort d’une longue expérience de militantisme, de nous donner son avis éclairé.


Louis Renaudin : Cher Christian, pour bien nous comprendre il faut rappeler que les clercs et les laïcs sont deux ensembles concrets bien différents.

Christian Marquant : Parfaitement ! Et si vous le voulez je vais commencer par les clercs, un terme dans lequel j’inclus les religieux, les prêtres et aussi, bien que canoniquement elles soient des laïcs, les religieuses. Ce groupe est composé de personnes qui prennent un engagement clair au sein de l’Église, par l’ordination ou par les vœux ou engagement. Hélas, pas très souvent, aujourd’hui, par l’habit. Cela en fait un groupe très distinct des laïcs qui ne font ni promesse, ni vœu ni ne reçoivent d’ordination.


Louis Renaudin : Il y a néanmoins des laïcs qui appartiennent à des instituts et qui prononcent certains vœux ou engagements.

Christian Marquant : Vous voulez me faire dire qu’il s’agit de laïcs consacrés. Comme les religieuses. C’est vrai.


Louis Renaudin : Donc les laïcs et les clercs sont différents ?

Christian Marquant : C’est l’évidence. Fondamentalement, seuls ceux qui sont ordonnés sont habilités à distribuer les sacrements (sauf le baptême en cas d’urgence et bien sûr le mariage) et à prêcher officiellement.


Louis Renaudin : Pouvez-vous préciser au sujet des clercs quelles sont les conséquences de leur état ?

Christian Marquant : La conséquence majeure, du moins pour en rester à notre sujet qui est très concret, est que ces clercs s’engagent plus ou moins totalement certes, mais s’engagent à obéir à leurs supérieurs cléricaux (au sens large) légitimes, soit en prononçant le vœu d’obéissance pour les religieux, soit en promettant de le faire pour les autres.


Louis Renaudin : Est-ce tout ?

Christian Marquant : Non, les clercs dans la plupart des cas sont dépendants, dans leur action, des décisions qui sont prises à leur endroit par leurs supérieurs. Ainsi, un prêtre diocésain peut-il être nommé dans une paroisse, puis quelques mois plus tard chargé de l’aumônerie d’une institution avant d’être envoyé dans une administration diocésaine ou un séminaire.


Louis Renaudin : Sans pouvoir si opposer ?

Christian Marquant : Théoriquement il peut refuser une nomination, discuter, proposer, mais ce n’est pas l’esprit de son statut qui le met au service de son évêque. Aussi est-il normal qu’il accepte les missions qui lui sont confiées, sauf difficultés qu’il peut faire valoir, sans parler des curés, jadis inamovibles, et qui ont aujourd’hui encore, théoriquement, une protection de stabilité.


Louis Renaudin : Et sous l’aspect économique ?

Christian Marquant : Il n’est pas impossible à un prêtre diocésain de posséder des biens voire une fortune mais dans la réalité l’immense majorité des prêtres, sans faire vœu de pauvreté comme les religieux, sont à ce sujet dans un statut proche de celui des religieux c’est-à-dire en situation de dépendance économique vis-à-vis du diocèse ou de la congrégation à laquelle ils appartiennent.


Louis Renaudin : Donc une dépendance morale et matérielle.

Christian Marquant : Oui, on peut le dire.


Louis Renaudin : Les laïcs ne sont pas astreints aux mêmes exigences.

Christian Marquant : En effet, les laïcs restent en quelque sorte maîtres de leurs vies et de leurs biens. Il reste qu’ils ont à s’accorder dans leurs choix à la volonté de Dieu sur eux.


Louis Renaudin : Ce statut implique-t-il des différences ?

Christian Marquant : Des différences pratiques fondamentales. Commençons par la liberté économique : un laïc qui ne dépend pas d’une autorité ecclésiastique dispose de ses biens comme il l’entend, ce qui peut lui garantir une plus grande indépendance que celle permise aux clercs.


Louis Renaudin : Qui sont soumis, quant à l’obéissance, au célèbre perinde ad cadaver.

Christian Marquant : Vous faites allusion à la formule caractérisant l’obéissance ascétique « à la manière d’un cadavre » des Pères du désert, et reprise par saint Ignace de Loyola pour ses religieux qu’il voulait particulièrement obéissants. Ça a bien changé : aujourd’hui, ils font plutôt vœu d’anarchie ! Les jésuites prononcent même un 4ème vœu (outre les trois classiques de chasteté, pauvreté, obéissance) d’obéissance spéciale au pape en ce qui concerne les missions qu’il leur confie. Il est vrai que les clercs, dans l’exercice de leurs fonctions ecclésiastiques, sont tenus à une obéissance spéciale. Mais pour dire vrai, les laïcs aussi vis-à-vis de leurs supérieurs légitimes, y compris religieux, comme pape et évêque. Sauf que, dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons, les clercs sont de fait plus « coincés » devant des ordres abusifs ou illégitimes.


Louis Renaudin : Que voulez-vous dire par là ?

Christian Marquant : Qu’un clerc aujourd’hui, pratiquement, ne peut aller à l’encontre d’une décision que lui imposerait son supérieur.


Louis Renaudin : Mais il existe pourtant un droit de l’Église auquel il pourrait recourir ?

Christian Marquant : En théorie vous avez absolument raison : le Droit Canon fixe des devoirs mais aussi des droits pour les clercs, organise des recours. Mais, et c’est un des aspects de la présente situation, alors que dans les temps anciens présumés obscurs les recours au droit étaient fréquents et étaient considérés comme légitimes, aujourd’hui la toute-puissance pontificale sur des évêques transformés en préfets du pape, et l’omnipotence épiscopale sur les clercs considérés comme des fonctionnaires de l’évêque fait que, concrètement, le droit de l’Église est suspendu.


Louis Renaudin : Pouvez-vous donner quelques exemples ?

Christian Marquant : Ils sont innombrables, du cas de Mgr. Strickland, sommé d’abandonner son diocèse sans pouvoir se défendre, à celui de Mgr. Rey, mis à l’écart dans les mêmes conditions, en passant par la gestion despotique à l’encontre de Mère Marie Ferréol, privée de son état religieux par le bon vouloir souverain du cardinal Ouellet.


Louis Renaudin : Donc, selon vous, aujourd’hui un clerc qui n’est pas en parfait accord avec ses supérieurs est en grand danger ?

Christian Marquant : En tout cas, s’il n’est pas dans la ligne (en revanche, si sa désobéissance est « progressiste », il peut n’en faire qu’à sa tête). Contre les prêtres qui ont la foi, on constate souvent en effet des situations d’abus de pouvoir.


Louis Renaudin : Vous avez des exemples ?

Christian Marquant : Celui d’un prêtre parisien qui en 2007 après la publication du motu proprio Summorum Pontificum a décidé d’instaurer une célébration selon l’usus antiquior dans sa paroisse. Apprenant la chose, le vicaire général alla le trouver en lui disant : « Ta pastorale n’étant pas celle du diocèse, soit tu te soumets et arrêtes la célébration selon l’usus antiquior, soit tu t’en vas ». Le prêtre en question a dû obtempérer et il a ensuite décidé de partir du diocèse où il avait été ordonné pour avoir plus de libertés dans ses œuvres pastorales.


Louis Renaudin : Mais alors on peut rien faire en cas d’abus de pouvoir ?

Christian Marquant : Aujourd’hui, en fait, rien ou presque. Finalement, si l’autorité déclare persona non grata un clerc, un prêtre ou une religieuse de son diocèse ou de sa congrégation, la personne en question n’a plus qu’à se soumettre ou à s’en aller.


Louis Renaudin : En fait nous nous trouvons désormais dans un régime dictatorial.

Christian Marquant : Tyrannique quant à l’exercice concret de l’autorité. Alors que les laïcs dans des cas pareils conservent la possibilité de faire entendre leur voix.


Louis Renaudin : Pourquoi, puisque la situation est tyrannique ?

Christian Marquant : Paradoxalement, c’est grâce à Vatican II ! C’est là un sujet mystérieux qui me fait croire que, même aux moments des pires manipulations qui eurent lieu durant le concile de Vatican II, le Saint-Esprit veillait pour que, même immédiatement, le bien puisse sortir du mal, ou en tout cas du démagogique. Lorsque les Pères conciliaires ont magnifié les droits des laïcs, ils ouvraient la voie, si vous me permettez ce raccourci audacieux, au Chemin synodal allemand mais aussi à Paix liturgique.


Louis Renaudin : Paradoxal, en effet.

Christian Marquant : Vous savez, lorsque les réformateurs modernes ont magnifié droits et possibilités aux laïcs, ce fut surtout, du moins le croyaient-ils, par crainte d’un blocage de leurs innovations par un clergé perçu comme très conservateur alors que les laïcs étaient eux perçus comme plus modernes. Or, ce fut souvent l’inverse, et 50 ans plus tard ces laïcs, auxquels on a reconnu bruyamment des droits, sont le grain de sable qui bloque les progrès des modernes.


Louis Renaudin : Comment ça ?

Christian Marquant : De plusieurs manières, la première étant que le plus souvent les modernes justifient leur « progrès » comme étant un désir des laïcs, ce qui est le plus souvent inexact. Dans ce cas il appartient aux laïcs de remettre les choses à leur place en montrant que ce qui est fait n’est pas conforme à la vérité.


Louis Renaudin : Et ils peuvent le faire ?

Christian Marquant : D’abord se donner les moyens de s’exprimer. Je cite volontiers le sondage du Progrès, le grand journal de Lyon, réalisé en 1976 en pleine « affaire Lefebvre », parce qu’il révélait que le l’immense machine du Concile n’avait pas marché. 48% des catholiques pratiquants estimaient que l’Église était allée trop loin dans les réformes ! ( Pour en savoir plus consultez notre lettre 698 )


Louis Renaudin : Vous faites partie de ceux qui ont permis aux catholiques de s’exprimer par vos propres sondages.

Christian Marquant : En effet, des dizaines de sondages réalisés par Paix Liturgique démontrent clairement ce que désirent les laïcs et que ce que veulent faire croire les clercs à leur endroit n’est pas la vérité.


Louis Renaudin : Est-ce efficace ?

Christian Marquant : Les autorités ont une grande tendance à l’autisme dès qu’il apparait que leurs théories ne sont pas exactes. Mais c’est tout de même de l’eau chaude sur la banquise qui finira par craquer.


Louis Renaudin : Existe-t-il d’autres moyens ?

Christian Marquant : Bien sûr… d’obliger nos pasteurs à dialoguer avec leurs fidèles, à leur dire la vérité et à respecter leurs besoins.


Louis Renaudin : Comme à Paris ou à Quimper…

Christian Marquant : Tout à fait ! Obliger nos pasteurs à pratiquer le dialogue dont ils sont si friands… en théorie… mais qu’ils pratiquent si peu.


Louis Renaudin : Ce qui pourrait signifier que dans certains cas les laïcs pourraient agir alors que des clercs ne le pourraient-pas ?

Christian Marquant : Oui, car, je le rappelle, un clerc n’a guère de choix face à un pasteur qui n’apprécierait pas sa pastorale. Dans la plupart des cas ce clerc sera obligé de se taire et de partir, alors que les laïcs du lieu, poliment certes, mais fermement et publiquement, pourront, parce qu’ils doivent être « respectés » (Vatican II l’a dit très fort, et le refrain repart avec la synodalité !) obliger leur pasteur à leur dire la vérité, à être loyal et transparent, et à discuter avec lui du bien ou du mal fondé des décisions envisagées.


Louis Renaudin : Mais dans ce cas les fidèles sembleraient se rebeller contre leurs prêtres ?

Christian Marquant : Point du tout et au contraire, puisque leurs prêtres sont tenus au silence ou même chassés. Ils comprennent que c’est à eux d’agir, QUE POUR EUX LE TEMPS DES LAICS EST VENU.


Louis Renaudin : D’une manière certaine ?

Christian Marquant : D’une manière obligatoire. On peut toujours discuter pour savoir si le prêtre a bien fait tout ce qu’il aurait dû face à un abus d’autorité. Mais les laïcs sont en quelque sorte les usagers sédentaires des sacrements et des enseignements pour eux, leurs familles et leurs enfants. En termes militaires on dirait que lorsque la première ligne de défense a été éventrée, les clercs, tout repose sur ceux qui gardent la deuxième ligne, les laïcs.


Louis Renaudin : Et qui agissent dans leur intérêt.

Christian Marquant : Qui agissent dans l’intérêt de la foi et des sacrements, dont bénéficient les fidèles.


Louis Renaudin : Concrètement, est-ce efficace ?

Christian Marquant : Certainement, car le jour où le pasteur du diocèse rencontre ENFIN ses fidèles, des fidèles qu’il va devoir gérer comme un père gère sa famille et ses enfants, il ne sera plus dans le cas de l’administrateur qui gère ses sujets comme des pions … Il lui faudra alors convaincre mais aussi écouter, parler, dialoguer, enfin chercher à trouver une solution. C’est d’ailleurs peut-être ce qui est en train de se passer à Quimper et dans bien d’autres endroits de France et du monde.


Louis Renaudin : Mais les prêtres évincés ne pourraient-ils pas s’associer aux laïcs dans une sorte de combinazione : ils laisseraient les laïcs aller au charbon ?

Christian Marquant : En théorie, vous avez raison. Mais les clercs (ou religieux et religieuses) ayant souvent une pente « cléricale » ce partage tactique des tâches n’est généralement pas ce qui arrive. Ou alors, il peut déraper en manipulation.


Louis Renaudin : Vous en avez fait l’expérience ?

Christian Marquant : Au moins une fois, lorsque mes filles étaient élèves à l’institution Saint-Pie-X de Saint-Cloud, où la Mère prieure de l’époque nous avait demandé d’empêcher la tenue d’une assemblée générale qui devait entériner leur fusion d’avec l’école Saint-Joseph des garçons qui n’était pas souhaitable.


Louis Renaudin : Et alors ?

Christian Marquant : Qui veut la fin, veut les moyens. Nous avons agi. Mais la Mère supérieure voulait se servir de nous, tout en gardant la main. Nous empêchâmes en effet le déroulement de cette assemblée générale mais les religieuses se retournèrent et nous condamnèrent aussitôt pour notre action « inacceptable », et pas seulement pour donner le change vis-à-vis des autres parents … Fort, notamment de cette expérience, je pense que généralement chacun doit agir à sa place en toute indépendance.


Louis Renaudin : Et vous appliquez ce principe à votre mouvement ?

Christian Marquant : Très simplement, vous savez : le mouvement pour la Paix liturgique entend seulement se faire l’écho des fidèles soit parce qu’ils sont persécutés soit lorsqu’ils ne sont ni écoutés ni respectés. Rien d’autre.


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