Notre lettre 1246 publiée le 6 août 2025

IL NOUS FAUT CHOISIR !

UNE CHRONIQUE
DE PHILIPPE DE LABRIOLLE

Dans son essai intitulé « les nouveaux prêtres » (1964, la table ronde, Paris), Michel de Saint Pierre explore un aspect de la fracture sociale dans l’Église, assez oublié de nos jours. Soucieux de « refaire chrétien » le monde ouvrier, selon le mot d’ordre de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, un clergé en voie de marxisation récuse la prudence des encycliques « Rerum Novarum » du pape Léon XIII (1891) et de « Quadragesimo anno » (1931) par le pape Pie XI.

Inutile, aux yeux de ce clergé novateur, et nocif même, d’envisager une alliance des classes que le baptême d’à peu près tous, même en basse Chrétienté, suggère. Dans les faits, l’exploitation de l’homme par l’homme est l’infrastructure des sociétés capitalistes, et aucun masquage « super-structural », inexorablement mensonger, ne saurait enrayer un dévoilement nécessaire et, du reste, irréversible.

Ce clergé d’après guerre est encore suffisamment catholique pour se préoccuper du salut éternel des masses exploitées, mais il est déjà suffisamment acquis aux indépassables antagonismes sociétaux pour se rendre à l’évidence suivante : jamais l’ouvrier exploité n’acceptera de pratiquer à l’église aux côtés de son exploiteur de patron.

Le corollaire s’impose. Pour récupérer la classe ouvrière, l’Église doit en chasser le bourgeois. Lequel est facile à indisposer. Il suffit de le sortir de sa zone de confort, concept anachronique en cette formulation précise, mais imparable en terme d’efficacité. Il croit au sacré ? Désacralisons. Il aime Bach, Haendel, Widor, tolère le dissonant Messian ? Mettons les orgues sous clef. Il vient écouter Bossuet, Lacordaire, Bourdaloue à la rigueur, parler du Ciel ? Stigmatisons son indifférence au sort de ses victimes.

Le bourgeois est parti. Mais l’ouvrier n’est pas revenu. Les diocèses se sont vidés, et restent exsangues. La table de communion, oû l’on recevait l’hostie consacrée sur les lèvres, a été remisée. Désormais, l’homme se tient debout devant son Sauveur sous l’humble hostie. Mauvais calcul : à ne point s’agenouiller, l’homme ne croit plus que sous l’humble hostie, il y ait un sauveur quelconque. Dans les assemblées raréfiées, à la consomption annoncée, la démiurgie au pouvoir tente, sous le terme grec synodal, de recycler le terme latin de communion, qui parle, et sonne bien.

Jadis, on recevait pieusement la communion. Privée ou Solennelle, marquant la croissance morale autant que la croissance physique, au point d’être singée par « la fête des douze ans » dans des municipalités déchristianisées, quel avatar pour cette communion d’hier, qui n’intéresse plus que 2 % de nos concitoyens ?

Les apprentis sorciers campés par l’auteur des « Aristocrates » en 1964 n’aimaient pas l’Église d’hier, l’Église historique. Avaient-ils lu le jésuite Henri de Lubac, qui accuse l’Église de cacher le vrai visage de Dieu à ceux qui Le cherchent ? Avaient ils lu Jacques Maritain, l’oncle Sam gagné au concept d’humanité nouvelle ? Certes, ils ne pouvaient connaître le discours de clôture du Concile, donné par Paul VI le 7 décembre 1965. Bien sûr, l’anticipation de la défection massive des paroissiens dans l’après-Concile immédiat (1966) n’effleurait pas leur esprit. Mais peut-on les excuser de ne pas s’inspirer de l’œuvre du Prado fondée en 1860 par le Père Chevrier (1828/1879), destinée à faire aimer le Sacré-Coeur en milieu ouvrier ?

Ce qu’ils n’avaient pas imaginé, c’est que leur soutien aux victimes fut, comme mouvement cordial, noyé dans une refonte générale les dépassant de cent coudées. Mais ce qu’ils avaient en commun avec des réformateurs plus radicaux, c’était de sous-estimer gravement la vulnérabilité de l’Institution bi-millénaire à ce prurit généralisé de contestation illimitée que fut Vatican II. Lorsqu’il fallait recadrer tout cela, alors même que le Pape Paul VI poussait au sacrifice du trésor liturgique de la Messe traditionnelle, pour lui substituer sa propre fantaisie, le magistère épiscopal, pourtant dopé par Lumen Gentium, connaissait un collapus sans précédent.

La véritable « divine surprise » vint de l’élargissement progressif de l’accès à la Messe Traditionnelle, prétendument abrogée par Paul VI ; à savoir qu’il prétendit l’avoir abrogée, ce que Benoît XVI démentira dans son motu proprio de 2007. Tout âme de bonne volonté put constater, à découvrir la « L'Usus antiquior », ou à la redécouvrir, que cette liturgie vénérable remet toute la Foi d’équerre par voie liturgique.

Le Saint Sacrifice, qui n’est pas avant tout un enseignement, ni une somme théologique, pourrait-il être valablement offert à Dieu sous une forme plus sobre, plus moderne que la forme traditionnelle, pourvu qu’il présentât la transsubstantiation validée par le Christ comme propitiatoire à l’égard du Père Céleste ? L’objection est théorique, et recevable comme telle, à supposer que l’on puisse restituer l’apparat du Sacré, et susciter la dévotion, vocale et posturale, avec autant de perfection que le Missel de 1962. Toujours est-il que cette alternative sobre et digne, qui se pouvait concevoir, n’a jamais existé que par accident, chaque fois qu’un prêtre fidèle, célébrant le plus pieusement possible le nouvel Ordo, dévoilant qu’il ne pouvait faire plus sans être crossé, voire l’étant déjà pour ce seul souci de plaire à Dieu. Dédié, non à la Gloire de Dieu, mais à la satisfaction de l’assistance, donc adaptable à volonté, le nouvel Ordo imposé par Paul VI, n’a fait qu’aggraver le dépérissement de l’Église, déjà malade du concile Vatican II. Les défroqués ont tout compris avant les autres.

Ceux qui ont eu accès à l’enquête qui a servi de prétexte à la suppression du motu proprio « Summorum Pontificum » de 2007, remplacé par le sinistre « Traditionis Custodes » en 2021 par volonté bergoglienne savent l’arnaque de cet adossement prétendu. La publication prochaine d’un essai rectificateur de la supercherie est annoncée. Un évêque américain, à l’identité non dévoilée, y faisait notamment la remarque suivante : " chez les fidèles attachés au vetus Ordo, cent pour cent croient à la Présence Réelle de Jésus dans le pain et le vin après la Consécration. Ce chiffre chute dramatiquement chez ceux qui ne vont qu’à la messe de Paul VI…"

Suffisant pour remettre les idées en place, et restaurer un cadre de pensée catholique, fût-il à étoffer d’une formation catéchétique, le Missel de 1962, concédé de plus ou moins mauvaise grâce par les évêques diocésains, lesquels se sentent comptables de la cohabitation des contraires, connaît un succès qui est odieux au presbytérium local ambitieux. Celui-ci a bien compris, surtout sous le Pontife argentin, que la chasse aux tradis peut doper leur carrière. Par la raréfaction du clergé, les bons postes sont accessibles aux médiocres. Et d’une ! Mais d’autre part, ces quadras/quinquas étrangers à la messe de toujours ne font rien pour estomper le clivage entre le « monde » catholique fidèle à la Foi catholique reçue des apôtres, et le « monde » de l’Église occupante, qui jouit du pouvoir, et ne peut convaincre sans soumettre ; par intimidation, comme un potentat désarmé et dérisoire. Le regain de la fidélité traditionnelle est la raison d’une guerre intestine qui, qu’elle soit ouverte ou sournoise, indispose gravement les conciliaires. Les uns et les autres estiment être chez eux dans l’Église. Les uns comme catholiques, les autres comme occupant le terrain. Si les tradis nomment apostasie ce que les diocésains exigent au titre de l’obéissance, le champ clos est en place. Deux religions sont aux prises. Une seule est véritable. Celle qui est fidèle au Christ, depuis toujours, et au Père Commun, assume, jusqu’à nouvel ordre, une minorité de blocage ; blocage de l’intimidation, mais revitalisation par bonté divine...

Le recyclage par le grec « synodal » de la communion fracturée bute d’ores et déjà sur l’imposture d’une prétendue communion avec les syndics de faillite des diocèses, stériles et ruinés. La communion « synodale » requiert l’adhésion à l’idéologie épiscopale du moment. Gardez cet ersatz pour vos affidés aveuglés, Vos Grandeurs ! L’infrastructure diocésaine, c’est la disette. Quant à la superstructure de la communion synodale, c’est le mensonge...du moment. Il faut donc choisir. Qu’on se le dise !


Philippe de Labriolle

Psychiatre Honoraire des Hôpitaux

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