Notre lettre 1212 publiée le 23 mai 2025

PHILIPPE DE LABRIOLLE

RÉPOND À BERNARD HUSSON

"ATTENTION VOUS PARLEZ D'UN SUJET

QUE VOUS SEMBLEZ MAL CONNAÎTRE"

 Le 16 mai dernier, l’historien Édouard Husson posait, dans « le courrier des stratèges » une question d’importance, sur un ton badin : « Au fait, les cathos qui détestent le Concile Vatican II en ont-ils lu une ligne ? * »

Dénonçant la « question liturgique », c’est à dire, pour résumer, l’importance donnée à la réforme liturgique de Paul VI et au refus de celle ci par les fidèles de la messe traditionnelle, l’auteur y voit, non sans raison, une opposition au Concile Vatican II. Cette querelle menée par Mgr Lefebvre, qu’il juge « moins intelligent que courageux », est, selon Husson, restée dépendante des controverses du 19e siècle. Est ce quelque inspiration rousseauiste, du 18e siècle donc, qui anime ce désaveu ? La minorité conciliaire, pourtant bien peu achalandée, aurait-elle du admettre qu’elle avait tort par le simple jeu des chiffres défavorables? La querelle occidentale, dont le maintien de la Messe traditionnelle est devenu le porte étendard, méconnaîtrait la progression de l’Église dans des territoires excentrés, dont le mérite serait imputable, n’en déplaise à des détracteurs incultes, au Concile et à ses réformes. Husson déplore un certain aveuglement des cathos qui critiquent le Concile sans avoir lu une ligne des Actes officiels. Sans les excuser de s’être protégés d’une lecture difficile, censée valider un flot d’erreurs subies ex-auditu. On peut fermer un livre, pas ses oreilles.

Qu’une progression extra-européenne puisse coexister avec une implosion européenne conduit il à penser que l’Église du Christ, ici moribonde, et là d’une vitalité étonnante, est moribonde ici et vivante là par la grâce du même contenu conciliaire. A moins que ce ne soit en dépit de ce moment conciliaire même, toxique en Europe, trophique ailleurs, notamment dans des territoires vierges de la haine de soi occidentale. Si la progression des baptêmes dans des pays neufs est imputée aux nouveautés conciliaires, est ce à bon droit ? La meilleure réception du message évangélique en terre exotique résulte-t-elle du sabordage occidental organisé par l’Église elle-même, et par quel miracle ? Les chrétientés historiques ont été trahies par le Concile, qui a détruit ce que l’Église avait construit. En quoi les nouveaux baptisés des régions ectopiques ont elles pu faire du poison conciliaire une nourriture de qualité ? En clair, de quoi parle-t-on ?

Le concile Vatican II ne devait être qu’un concile « pastoral », selon Jean XXIII, qui avait approuvé les schémas conservateurs produits par la Curie. « Non nova sed nove », selon l’admirable concision latine. Non pas des choses nouvelles, mais d’une façon nouvelle. Mgr Lefebvre, nonobstant le coup de force cardinalice d’octobre 1962 qui vit la mise au rebut des fameux schémas, a voulu croire que le « pastoral » , quel qu’en fût l’éventuel venin, resterait soumis au « dogmatique ». Tempérant ses objections, Mgr Lefebvre refusa de quitter le Concile, pour ne pas gêner l’action modératrice du Pape Paul VI, élu au printemps 1963. A la façon d’un organisme sain, l’Église resterait-elle capable d’un tri de bon aloi. La suite montra qu’il n’en était rien.

Que s’est-il passé dans les faits ? Le « pastoral » servit de levier d’Archimède, dont le point fixe fut le Pape Paul VI, maître d’œuvre de l’Église Conciliaire. Le Novus Ordo, imposé en 1969 par Rome, suivait d’assez peu le Missel de 1962, retouché par Jean XXIII, et que les Pères Conciliaires utilisèrent pour leur messe quotidienne sans la trouver défaillante. Il s’avéra qu’au nom de « l’esprit du Concile », on fit du neuf, à l’ancienne et à outrance.

Quelle responsabilité imputer au Concile dans la déchristianisation massive qui s’en suivit en Occident ? Le sujet fut tabou auprès des clercs pendant un bon demi-siècle, et n’était approché que par le biais sociologique, qui chiffrait l’effondrement de la pratique religieuse, parallèlement à celle de la Chrétienté. L’influence politique de l’Église, mise à mal par « Gaudium et Spes » et « Dignitatis Humanae » s’éteignait par la volonté de Paul VI régnant, lequel suivait la chimère d’une Paix Générale d’esprit maçonnique. Critiqué par les progressistes pour son « Credo » orthodoxe et son « Humanae Vitae » traditionnel, Paul VI porte néanmoins la responsabilité d’un immense chambardement ecclésial. L’historien Guillaume Cuchet, levant en 2018, enfin, le tabou clérical, ciblait le créneau des années 1960/1965, situant avec exactitude les débuts de l’implosion méthodique.

Édouard Husson pose une question, dont la réponse est suggérée implicitement : ceux qui n’ont pas lu les Actes du Concile Vatican ne peuvent pas aimer ce qui reste inconnu d’eux. Réciproquement, pour comprendre le Concile Vatican II et en estimer les travaux, il faut commencer par les étudier, et, partant, en recevoir la récompense, faite de savoir, de lumière, de sagesse. Mais, critiquer livre en main, pourquoi s’en priver ?

Édouard Husson, pour s’autoriser quelque interpellation à ses lecteurs, donne à penser qu’il a, lui-même, lu « une ligne » au moins, des travaux conciliaires, et que cette ligne, métonymique de l’ensemble, signifie une lecture exhaustive. Dès lors peut-on, lecture faite, détester Vatican II, et développer sa réprobation ? Et d’abord, dans quel cénacle ? C’est le tiers exclu du débat ici entamé. Né en 1969, notre historien n’a pas vécu le climat imposé par les conciliaires, la table rase imposée par ces novateurs, le mépris imposé de l’Église d’hier par les clercs eux mêmes, ni le « collapsus magistériel » dénoncé par Jean Madiran. Husson en a pris connaissance a posteriori, l’esprit détaché des drames de conscience qui brisaient des vies, comme les boomers nés trop tard pour « vivre » les drames de la Libération, de l’Algérie, du Vietnam.

Dénonçant Vatican II dès 1966, l’abbé de Nantes évoquait le bol attractif d’une tisane que quelques gouttes de poison avaient rendue toxique. Consommation déconseillée. Rarement une métaphore aussi prosaïque se montrait aussi pertinente, tout en le restant au fil des décennies. Tout comme la Révolution, selon le mot de Clémenceau, le Concile devait être conçu comme un bloc, sans droit d’inventaire. Seize textes d’autorité inégale sur le plan canonique, dont les deux tiers votés à la hâte fin 1965, constituaient ils une nouvelle catéchèse, première subversion « pastorale » ? Pourquoi les textes les plus novateurs, les moins assurés en droit et en théologie, prirent ils le pas sur les « constitutions dogmatiques », les plus fermes a priori ? Quel magistère s’employa-t-il à contenir les fanfarons, soutenir les tourmentés, ramener les égarés ? L’épiscopat français fut exemplaire de prévarication, d’impéritie, de passivité générale et de paternité introuvable. Les nouveautés ont été dogmatisées par contiguïté, au nom du « Bloc », deuxième subversion « pastorale ». Quant au silence des évêques, la défection pastorale y trouva son illustration la plus scandaleuse.

Concrètement, en décentrant le téléscope vers les nouveaux lieux oû souffle l’Esprit, que sait-on de la foi d’un nouveau baptisé, si elle diffère de la Foi de l’Église de toujours ? Le nouveau baptisé d’Afrique ou d’Amérique du Sud a-t-il la même foi que le baptisé parisien, venu tardivement à la foi qu’on enseignait jadis ? Au fait, lequel d’entre eux a-t-il lu une ligne des Actes de Vatican II ? Faut-il envisager que les territoires nouvellement évangélisés aient fait leur miel de ce qui disparaissait en Occident. Si Vatican II détruit ici, comment peut-il construire ailleurs selon un paradigme identique ? Si l’orgueil relativiste, camouflé sous la dignité des Lumières, vide les églises ici, comment peut il les remplir là ?

Certes, il y a d’excellentes lignes dans les Actes de Vatican II. Prises isolément, ou par paragraphe, bien des pages s’avèrent bienvenues. A titre d’exemple, le paragraphe 17 de « Lumen Gentium », rappelant le caractère missionnaire de l’Église, expose cinquante lignes d’une grande justesse. Pourtant, il aura suffi du paragraphe 22 de Gaudium et Spes pour en ruiner le contenu. Pourquoi « aller et évangéliser toutes les nations », dès lors que GS 22-5 déclare « nous devons tenir que tout homme, d’une manière que Dieu sait, aura accès au mystère pascal ». Pourquoi finir martyr si Dieu s’occupe de tout ?

Autre exemple, tiré de Lumen Gentium (LG 48), d’une centaine de lignes excellentes quant aux fins dernières. Le feu éternel attend les « serviteurs lâches et paresseux » tandis que « le Grand Dieu et Sauveur Jésus Christ viendra pour être glorifié dans ses saints, et admiré en tous ceux qui auront cru ». Pourquoi faut-il qu’au paragraphe suivant (LG 49), les « disciples » soient répartis en pèlerins sur cette terre, ou post-mortem, soumis à la purification d’une part ou glorifiés désormais d’autre part, la destinée des « serviteurs lâches et paresseux » étant tombée aux oubliettes...ce qui accrédite l’idée qu’il n’y a pas de baptisés en Enfer quelle qu’ait été leur conduite. On parlait alors d’un « Salut d’Église », le salut individuel étant déconsidéré en proposition...protestante. Si le texte magistral expose des contradictions nombreuses, qui va se charger des travaux dirigés pour éclairer nos lanternes. Pour beaucoup, ces « Actes » troublants tombaient des mains définitivement.

Ceux qui ont vécu l’implosion post-conciliaire sans juger utile de lire les Actes de Vatican II, pour tenter de relier les effets délétères observés aux causes troublantes qui y sont décelables, ceux là donc, se privent d’une explication à portée de main, fut-elle ardue. Mais chacun n’est pas diplômé de l’École des Chartes, et seul le clergé est, nous semble-t-il, blâmable de ne pas rechercher de quelle façon les Actes dont nous parlons est un document funeste, dont la perfidie anti-autoritaire, préparant mai 68, cohabite avec l’adoption abusivement impérative. Dans l’Occident qui fut chrétien, la déchristianisation par obéissance est d’abord l’œuvre du despotisme « éclairé » imposé par le pape Paul VI, et ses successeurs. L’Europe est meurtrie de cette apostasie méthodique, menée d’en haut, dont d’aucuns eurent l’aplomb de se plaindre après en avoir été les artisans.

Le Novus Ordo, et le Concile, objecte Husson, ont servi les missions en Asie et en Afrique. Faut-il recevoir cette affirmation sans examen ? Il est probablement vrai qu’ un catéchisme cohérent, palliant les défaillances conciliaires, continue d’attirer les hommes de bonne volonté, quelles que soient leurs origines, et qu’une juste prédication des fins dernières gagne de nouvelles âmes non corrompues. Mais là oû les missionnaires se contentent de scolarisation et d’activité soignante, l’essentiel est déjà négligé. Passez muscade...Husson a raison: celui qui n’a pas lu un texte se prive du droit d’en parler. Mais on a le droit de se méfier d’un ouvrage dont la lecture trouble, voire égare, sans profit quelconque, tout homme doué de raison, qu’il soit d’ici ou d’ailleurs.

Un travail sociologique sur les confins prolifiques en baptisés manque à la controverse. Quelle est donc la « trouvaille » conciliaire, inconnue jusque là, qui dépeuple les églises occidentales et remplirait les églises... de partout ailleurs ? De ce paradoxe, les cruciverbistes ont en mémoire un étonnement analogue. Qu’est ce qui vide les baignoires et remplit les lavabos ? L’entracte. Un long entracte dans la nuisance conciliaire, ne serait ce pas le début d’un regain salutaire, lequel rendrait inutile la reprise d’un mauvais spectacle après l’interruption hygiénique. Notre hypothèse est la suivante : La Foi continue de progresser là oû les nouveautés de Vatican II n’ont pas été appliquées. En Occident comme partout ailleurs.


Philippe de Labriolle

Psychiatre Honoraire des Hôpitaux


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