Notre lettre 1243 publiée le 30 juillet 2025

ABUS SEXUELS DU CLERGÉ

AVOIR UNE VUE JUSTE SUR CETTE QUESTION

On parle beaucoup et avec grande de complaisance des abus sexuels du clergé. C’est évidemment chose très grave. Ils constituent une véritable abomination que la justice ecclésiastique doit éradiquer en condamnant les coupables et en les soumettant à une juste peine et à une vraie pénitence. Cependant, c’est aussi un domaine où les évêques d’aujourd’hui, hier incapables de sévir, aujourd’hui pris d’une peur panique et cédant à un complexe de ralliement, signalent (c’est-à-dire dénoncent) sur le champ aux institutions de la République, et sans exercer aucunement leurs devoirs et leurs pouvoirs d’instruire et de juger les prêtres qui viennent à être suspectés. Trop peu souvent d’ailleurs, on le remarquera, lorsque l’innocence d’un prêtre injustement accusé éclate, les médias qui l’avaient cloué au pilori ne se rétractent. Enfin, on ne doit pas oublier que la miséricorde au fond du message chrétien : il faudrait sérieusement examiner les conditions d’une réhabilitation prudente, comme on avait commencé à le faire avant le Concile de prêtres ayant été sanctionnés par l’autorité ecclésiastique et ayant fait une sérieuse pénitence.


Le Concile, en ce domaine aussi, une césure

Il est vrai que les semaines passent et les révélations s'enchaînent, récemment encore dans les diocèses de Nancy, Rennes, Coutances, sans parler du dossier de la lamentable affaire de l’abbé Pierre qui gonfle.

Toutes ces affaires d'abus ont souvent un point en commun – elles ont eu lieu dans les années 1960 à 1990, juste après le « printemps du Concile » et témoignent d'une éclipse dans le contrôle des prêtres, voire dans l'application du droit canonique sur toute cette période – c'est aussi la période où les communautés nouvelles du Renouveau charismatique français fleurissent sans aucun contrôle, et des centaines d'affaire d'abus et d'emprise avec elles.

Pourtant, avant Concile, l'Église savait réagir aux situations d'abus, comme en témoignent les archives. Ainsi, le rapport sur les Missions étrangères de Paris (MEP) commandé au cabinet indépendant GCPS indique « le cas d'un prêtre dans les années 1950 accusé de pédocriminalité par neuf enfants dans son pays de mission. Il a reconnu des violences sexuelles sur trois d'entre eux. Après une enquête interne il a été exclu des MEP […] en trois mois et demi ».

Pour l'abbé Pierre, l'Église l'avait mis sur la touche au milieu des années 1950 et par lettre du 27 juin 1958, le cardinal Feltin demandait au ministre de la fonction publique Edmond Michelet de ne pas le décorer, le qualifiant de « grand malade, traité en Suisse dans une clinique psychiatrique […] en raison de circonstances fort pénibles, il vaut mieux ne pas parler de cet abbé. Il a eu d'heureuses initiatives mais il semble préférable, actuellement, de faire silence sur lui ». Cependant, le grand vent de réforme du Concile entraîne le démontage des instances de contrôle qui ne sont pas remplacées, et alors que des milliers de prêtres défroquent en France, d'autres, comme l'abbé Pierre, se retrouvent dans la nature, livrés à eux-mêmes.

Mais quelques années plus tard, les prêtres sont systématiquement couverts et les signalements découragés, « traités de manière informelle » et les abus « qualifiés d'imprudence ou négligence dans les comptes rendus du conseil ». On est déjà après Concile. Cette attitude a continué jusqu'à ce jour, culminant avec l'affaire de Salvert dont la médiatisation conduit au retrait de deux évêques issus des MEP, Mgr Reithinger, auxiliaire de Strasbourg, et Mgr Colomb évêque de la Rochelle et Saintes.

La même césure peut être relevée pour les auteurs d'abus, laïcs ou religieux, dans les établissements scolaires. Ainsi, à Nantes en 1960, le directeur d'un établissement privé surpris au lit avec un élève a été viré dans la journée.

Mais deux décennies plus tard, après Concile, les dérives d'un chef d'établissement au sein de son établissement scolaire doté d'un internat ne seront jamais arrêtées, et restent impunies à ce jour – elles n'ont même pas empêché son engagement en politique dans les années 1980-90. Et avec lui sont restés impunis plusieurs clercs enseignants du même établissement, auteurs d'attouchements sur des élèves – les noms de plusieurs d'entre eux apparaissent sur des tags à proximité du grand séminaire de Nantes, peu après la parution du rapport de la CIASE, témoignage d'un souvenir douloureux enfoui dans la mémoire de la ville.

Dans son rapport, la CIASE elle-même a relevé les structures mises en place par l'Église en France dans les années 1950 pour isoler les prêtres auteurs d'abus, les soigner quand cela est possible et les réinsérer. Cependant, ce volet pour le coup intéressant du travail de cet organisme par ailleurs très discutable a été accueilli dans un silence glaçant, tant il mettait en cause les responsabilités de la période postconciliaire, et les décennies perdues pour les victimes.

Un autre élément témoigne de cette époque d'ignorance, voire de tolérance des abus : l'évolution à la hausse de l'âge des agresseurs : “l’âge moyen des agresseurs évolue en effet sensiblement : de 38 ans pour les années 1950, il passe à 46 ans dans les années 1970, à 48 ans pour les années 1990, et à 58 ans pour le début de la décennie 2020. Non que les violences soient commises plus tard dans la vie de l’agresseur, en raison d’une meilleure formation sur la question, mais bien plutôt parce que les violences commises bien des années auparavant sont désormais dénoncées”. La CIASE parle de “rattrapage” : les victimes, occultées pendant les années 1960 à 1990, reprennent la parole après et témoignent d'agressions bien souvent commises il y a des années, lorsque et l'Église, et la justice civile regardaient ailleurs.


En 1950, l'accroissement du contrôle sur les prêtres déviants est proposé.

L'après-Concile fera tout l'inverse 

La problématique des abus sur mineurs est abordée par l'institution ecclésiastique dès le début des années 1950 et fait partie des enjeux disciplinaires : “Dès avant les origines du Secours sacerdotal, ce que l’Église catholique qualifie de « tendances pédérastiques », avec mineurs ou majeurs, sont claire ment identifiées par les responsables de la formation ecclésiastique et par des médecins comme un risque.

Elles sont abordées lors des journées d’études du Centre Laennec, en février 1950, par le supérieur de la Solitude d’Issy les Moulineaux, le sulpicien Augustin Pineau, assez représentatif des clercs quinquagénaires et septuagénaires qui vont piloter le Secours sacerdotal, Louis Lerée étant lui-même, on l’a dit, sulpicien. Dans un exposé consacré aux « difficultés actuelles du célibat ecclésiastique », Augustin Pineau dresse un panorama de ceux qui commettent des « fautes contre la chasteté ».

La réponse d'Augustin Pineau est d'accroître le contrôle des prêtres déviants : “la solution est, selon Augustin Pineau, spirituelle et comportementale, dans la lignée de la formation ecclésiastique : la perpétuation dans les habitudes ecclésiastiques acquises au séminaire doit permettre de traverser les épreuves de la vie pastorale et de l’âge. Il s’agit d’accompagner le sacerdoce”. En détricotant justice canonique et contrôle de l'institution sur les prêtres et les communautés, la période postconciliaire fera tout l'inverse...


Les mesures de l'Église de France pour isoler et soigner

les auteurs d'abus du clergé avant Concile

Si les scandales commis par certains ecclésiastiques sont dénoncés crûment dès la fin du XIXe par les publications républicaines et laïcistes – notamment celui des enfants abusés et maltraités de la colonie de Citeaux en 1888 qui remonte jusqu'à la Chambre des Députés en juillet où le scandale donne lieu à d'importants débats relayés par la presse nationale, conduisant l'Église à s'enfermer en retour dans une position défensive – ou à dénoncer les scandales de l'autre camp, la problématique est néanmoins pensée et traitée par l'institution. Ces dernières, tant par peur du scandale qu'en adéquation avec les valeurs morales défendues par l'Église mettent de côté les prêtres à problèmes – et évitent aussi de les nommer à des fonctions diocésaines de premier plan, même si les victimes ne peuvent espérer “reconnaissance” et “réparation” au sens contemporain du terme :

Les comportements considérés comme les plus graves sont ceux qui conduisent ou risquent de conduire à un abandon de l’état sacerdotal, tels que l’hétérodoxie, la paternité, l’aventure féminine. Si la « déchéance » morale du prêtre auteur des faits consiste en sa sortie de l’Église, l’enjeu est, au sens propre, de restaurer le « déchu », c’est à dire de lui permettre d’accomplir à nouveau son office : le ministère ecclésiastique. Il s’agit également d’éviter le scandale suscité par la commission, la publicisation et la judiciarisation des violences sexuelles : le scandale, au sens théologique du terme”.

Comme le constate la CIASE, autorités judiciaires et même presse locale ne sont guère disposées à faire du bruit sur les affaires d'abus dans l'Église. En 1961 la rédaction de l'Est Républicain répond ainsi aux sollicitations de l'évêque de Metz suite à une affaire mettant en cause un de ses prêtres : “l’affaire sera traitée par notre rédaction messine, comme d’autres de même nature, en quelques lignes, dans l’édition de Metz, sans détail ni mention de l’appartenance de l’accusé à l’état ecclésiastique”.

Néanmoins les coupables se voient régulièrement déplacés et restreints dans leurs ministères : “ il est massivement recouru à une redéfinition des fonctions du clerc ou religieux concerné, au travers de changements de postes, de restrictions du domaine d’activité ou de déplacements. Cette réponse représente 77 % des mesures prises dans les années 1950”. Un dixième abandonnent l'état sacerdotal – sanction qui est pourtant loin d'être systématique à l'époque, selon les rapports du chanoine Boulard : “ en 1962, le rapport du chanoine Boulard avait ainsi indiqué que la proportion d’abandons du sacerdoce liés à des « fautes homosexuelles ou pédophiliques » avoisinait 11 à 12 %”. La revue dominicaine Supplément de la vie spirituelle aborde depuis 1947 ouvertement les questions concernant les difficultés psychologiques du clergé.

Comme le relève le rapport de la CIASE pages 251 et suivantes, la problématique des abus, qui revient dans l'après-guerre avec plusieurs scandales très médiatisés (affaire Chauvet à Crugny dans la Marne en 1948 où cinq filles affirment avoir été sollicitées en confession, affaire du curé d'Uruffe en Moselle en 1956...) débouche assez rapidement, dans les années 1950, sur des mesures concrètes : « il faut également noter une prise en charge par des structures d’assistance aux prêtres et dans des cli niques spécialisées dans le contexte d’une mise en ordre voulue par l’Église de France, qui a entendu se doter d’un instrument administratif doté de personnel et de compétences médicales ainsi que de lieux d’hébergement, même doté de moyens financiers modestes, destiné à participer à la normalisation comportementale des clercs français. À cette fin, est mis en place au début des années 1950 le Secours sacerdotal, structure destinée à venir en aide aux prêtres en difficulté pour les amender et les maintenir dans le sacerdoce ».

En parallèle, la justice prononce « une centaine » de condamnations pour pédophilie contre des membres du clergé entre 1952 et 1963, maintenant la pression sur l'institution. D'autres structures moins connues assurent les mêmes fonctions, notamment, constate encore la CIASE, “ l'Entraide sacerdotale, l’AMAR160, l’AMAC161 ou encore la Fraternité sacerdotale.

La plus connue de toutes est cependant le Secours Sacerdotal, créé en 1953 et financé quasi exclusivement par le Secours Catholique : “sa mission, définie le 17 novembre 1952 et précisée en janvier 1953, est décrite comme suit : « Sous le nom de “Secours sacerdotal” en dépendance de la Hiérarchie, une œuvre vient en aide matériellement, moralement, aux Prêtres ou Religieux qui ont rompu les liens avec leur ordinaire, aux Prêtres, Séminaristes ou Religieux atteints ou menacés dans leur santé mentale ou leur équilibre nerveux ».

Le Secours Sacerdotal est créé initialement pour traiter des situations des prêtres qui ont commis des abus sexuels, même si cette part décroit après 1958 : “les rapports annuels réalisés par Louis Lerée, mais qui ne sont précis que pour les années 1952 et 1955 à 1959 […] permettent néanmoins d’observer qu’après un pic en 1957 et 1958, où les « péchés contre nature » concernant un adulte ou un enfant représentent la majorité des situations traitées par le Secours sacerdotal169, cette part diminue en 1959 et 1961 et devient inférieure à la part des affaires relatives à des péchés commis avec des femmes”.

Lancé à l'initiative de Louis Lerée, prêtre sulpicien, chanoine parisien, spécialiste de la santé des clercs, qui dispose de correspondants dans les diocèses – principalement des vicaires généraux et directeurs de séminaire – s'appuie sur d'autres ecclésiastiques médecins ou psychiatres, comme “le jésuite Louis Beirnaert, l’abbé Marc Oraison – déjà une personnalité médiatique alors, le psychiatre Pierre Galimard ou encore le neuropsychiatre, spécialiste de l’enfance et de l’adolescence, Paul Le Moal”. Le nombre de correspondants du Secours Sacerdotal croit dans les années 1950 jusqu'à couvrir presque toute la France – ils sont ainsi 36 en 1953, mais déjà 79 début 1959 – les diocèses de la petite couronne d'Ile de France, d'Évry et Pontoise n'existaient pas encore, pas plus que ceux du Havre, Saint-Étienne ou Belfort.


Les évêques à l’époque de la démission des pères

L’absence de suivi dans les décennies suivantes, puis l'ignorance systématique des signalements des paroissiens quand il y en a, nivelle ces efforts et favorise la récidive.

Le père Louis Léré s'inquiète à partir de 1959 de l'attitude des prêtres auteurs d'abus et du risque de récidive, ainsi que de l'insuffisance des simples changements de postes : “le plus douloureux, le plus difficile, le plus dommageable pour l’Église, non pas le plus fréquent mais trop fréquent, très fréquent et, semble-t-il, en plus grande fréquence… est le cas du prêtre qui commet des fautes avec des enfants… Ce mal cause auprès des fidèles le plus grand préjudice moral. Il a malheureusement fait l’objet, dans les diocèses ou les congrégations, de simples mutations de postes. Inlassablement il est dit et redit par les médecins, comme par ceux qui sont chargés du Secours Sacerdotal, que le remède est loin d’être là. Invariablement, on se trouve en face des mêmes manières de faire : “On va le changer”.

En 1967 il demande aux diocèses le nombre de prêtres alcooliques, dépressifs ou qui ont commis des abus “cum pueri et juvenibus” (avec les enfants et les jeunes). Cinquante-deux lui répondent, indiquant qu'il y a 138 prêtres alcooliques connus d'eux, 170 dépressifs arrêtés pour trois à plus de six mois, et 37 cas d'abuseurs d'enfants et d'adolescents, “dont 14 entre 30 et 40 ans”.

Sur ce nombre, un tiers avait été muté, parfois dans un autre diocèse (13 cas), cinq ont été envoyés chez un médecin, d'autres ont quitté le sacerdoce, été envoyés en psychiatrie, ou à la Trappe. Louis Léré lève un lièvre – les prêtres auteurs d'abus sur mineurs ou homosexuels ne veulent pas quitter l'état sacerdotal d'eux-mêmes et s'interroge sur des solutions : “ce genre de sujets, inconscients [d'avoir commis une] faute morale, tiennent beaucoup à rester dans l'état ecclésiastique. Ne faudrait-il pas chercher des voies nouvelles ? Travail (manuel, de bureau, civil ou ecclésiastique) qui assure la subsistance, psychothérapie d'accompagnements, messe en privé, puis peut-être après un temps d'accompagnement ministère de week-end auprès d'adultes? Mais sans les laisser seuls, livrés à eux-mêmes”.

Les prêtres ainsi isolés et soignés sont logés dans des maisons dépendant de communautés religieuses, huit au total en France métropolitaine – Notre-Dame des Ondes près de Lyon, liée aux Frères de Saint-Jean-de-Dieu, ou la Maison de Gargen ville, liée à la Fraternité sacerdotale. Famille Chrétienne rappelle le 17 mars 2021 que le château de la Gautrèche, à la Jubaudière (49), acheté en 1966 par le Secours catholique, a été une maison de soins sous le nom du Divin Paraclet, puis de repos pour “les prêtres en difficulté” jusqu'au début des années 1980. Une autre maison est mentionnée par la CIASE à Thiais, sans autres précisions.

Après l'éclatement de l'affaire de Bétharram, la presse locale qui s'intéresse aux nombreuses affaires d'abus en Béarn et Pays Basque (Ustarritz, Saint-Pé de Bigorre, Garaison, Etchecopar...) ressort des archives le 15 mars 2025 l'existence d'une autre de ces maisons, à Cambo-les-Bains, une ville thermale perchée à côté de la ligne ferroviaire de Bayonne à Saint-Jean Pied de Port, dans l'isolement relatif de la campagne basque. Il s'agit du centre Artzaindea, actif de 1956 à 1962 avant son transfert à Bruges, près de Bordeaux. Il en reste la chapelle dite aux icônes, construite en partie par les prêtres soignés à Cambo, mais inaugurée après leur départ (1964) et ornée de fresques encore dix ans plus tard.

Comme le relève Sud-Ouest qui cite Thomas Boullu, un des contributeurs de la CIASE, “le règlement du centre Artzaindea exclut les alcooliques et les psychotiques. Si vous enlevez ceux-là, vous trouvez beaucoup plus qu'ailleurs des prêtres auteurs d'abus sexuels. A Cambo sont soignés des hommes de moins de 45 ans, des séjours de trois mois en moyenne. Il y a une volonté de les maintenir dans l'institution. Deux tiers des prêtres passés par Artzaindea sont revenus en fonction”.


Quand la pédophilie était défendue par les intellectuels du Monde

Les timides efforts de l'Église de France sont enterrés à peine le Concile fini, constate la CIASE : « la faible sensibilité aux violences sexuelles s’est certes prolongée dans les années 1970-1990 par rapport à la période précédente (1950-1970). Elle concerne également les magistrats chargés de la répression de tels faits. Elle est demeurée une réalité persistante au sein de l’Église, à un moment où son attention était détournée du sujet des attirances pédophiles des prêtres vers celui de la crise sacerdotale ». Par ailleurs la justice ne prononce presque plus de peine liée à la pédophilie entre les années 1960 et 1980 – que 80 intellectuels français de premier plan défendent même dans les colonnes du Monde le 26 janvier 1977.(1)

Ainsi, la perte de sensibilité sur le sujet des abus sexuels du clergé, notamment à l'encontre de mineurs, est générale, et s'accompagne de la fermeture des institutions censées les traiter, « alors que l’Église catholique gardait le silence sur les violences sexuelles, les structures internes de soin et de prise en charge qu’elle avait mises en place dans les années 1950 pour les prêtres déviants, notamment les agresseurs sexuels, ont fermé à partir de la fin des années 1960. Ainsi, le Secours sacerdotal, devenu en 1964 entraide sacerdotale, n'accueille plus de prêtres auteurs d'abus sur mineurs à partir de 1970, et disparaît en 1994.

La prise en charge aurait été regroupée au château de Montjay (commune de Bombon, en Seine-et-Marne) en 1970 – cette “clinique psychiatrique pour le clergé” est signalée en 1981 par le Monde – à une époque où l'institution a déjà largement perdu le contrôle sur les prêtres et laïcs auteurs d'abus, puis plus rien – elle aurait fermé en 1990. C'est aujourd'hui un EHPAD.

Claude Langlois dans son ouvrage sur la gestion des abus sexuels par l'Église de France, On savait, mais quoi, relève : “dès le début des années 1970, le diagnostic est clair. Rousseau (responsable de l'Entraide Sacerdotale) pointe une volonté de l'épiscopat de ne pas voir la réalité de la pédophilie cléricale. Eck (neuropsychiatre catholique) identifie les dégâts psychologiques causés aux victimes. Ce que l'épiscopat va découvrir vingt-cinq ans plus tard en 1988, comme une évidence”.

Parallèlement, la question pédophile n’a plus guère été traitée par les associations sacerdotales, qui ont recentré leurs messages et leurs actions sur les relations avec les femmes et les pratiques homosexuelles, puis sur l’alcoolisme dans les années 1980. Elles ont aussi consacré leurs moyens financiers à l’accompagnement des prêtres quittant l’état clérical. Ce changement de politique a conduit à maintenir une relative cécité des instances centrales de l’Église de France sur le sujet des violences sexuelles ».

Comme le relève Témoignage chrétien le 30 juin 2023 en revenant sur les tentatives de l'Église de gérer les cas d'abus avant le Concile, “les prêtres qui voulaient se marier obtiennent de Paul VI en 1964 la réduction à l'état laïc avec concession d'un mariage religieux. Dès lors, les prêtres hétérosexuels partirent en plus grand nombre, tandis que les homosexuels et pédophiles restent dans le clergé”. C'est que le constat fait par Louis Léré quelques années plus tard est toujours une réalité – mais elle va être occultée des décennies durant, par volonté de protéger l'institution contre les victimes et les fidèles.

Au contraire, les stratégies de pression sur les victimes font florès, qu'on tente de les faire culpabiliser ou de les faire passer pour coupables : “il résulte en effet de l’étude des archives ecclésiales qu’inscrites dans une logique de protection de l’institution, les autorités religieuses catholiques ont développé de multiples stratégies afin de museler la parole des personnes victimes et de les contraindre au silence. Jusque dans les années 1970, il est ainsi fait appel au sentiment religieux des intéressées afin qu’elles prêtent serment sur les saintes Écritures, de ne point calomnier.[...] Une personne abusée [...] qui avait dénoncé un prêtre, illustre les conditions dans lesquelles les victimes étaient accueillies : « L’institution catholique ne m’a pas écoutée. J’ai été très mal accueillie et on a retourné les choses à l’envers : accusée de calomnie, de salir la mémoire d’un mort, d’un “saint homme”»

Dans d'autres cas, les victimes sont carrément achetées, relève la CIASE : “plusieurs archives rendent compte de règlements amiables concernant des agressions sexuelles commises sur des personnes vulnérables. Le plus fréquemment, l’auteur, sa congrégation ou son diocèse, s’engage au versement d’une somme d’argent afin de compenser le préjudice causé. Il s’agit d’un mécanisme prisé de l’Église catholique à cette période ». Ces techniques ont toujours cours dans certains diocèses français, ainsi qu'à l'étranger dans nombre de pays dont les autorités ecclésiastiques n'ont pas entamé de travail sur les abus sexuels du clergé, notamment en Espagne, Italie et Pologne – les victimes les plus remuantes sont indemnisées, les autres restent enfouies sous la chape du silence.

Que les évêques soient en ce domaine aussi de vrais pères et de vrais chefs ! Au total on peut dire que la perversion du lien filial entre évêques et prêtres, certes réaffirmé avec force par le concile Vatican II, mais compris dans le cadre de la paternité démissionnaire telle que revue et corrigée dans les années soixante, aura beaucoup participé à l'étouffement des affaires – un père ne peut juger ni condamner ses enfants, autrement dit est incapable de les faire s’amender.


(1) https://www.radiofrance.fr/franceculture/quand-des-intellectuels-francais-defendaient-la-pedophilie-2026242

Il y en a d'ailleurs eu plusieurs, ça a été un des grands combats de Libé dans les années 70 https://www.ojim.fr/liberation-et-la-pedophilie-une-longue-histoire-premiere-partie/


A la une

S'abonner à notre lettre hebdomadaire

Si vous désirez recevoir régulièrement et gratuitement la lettre de Paix Liturgique, inscrivez-vous.
S'ABONNER

Paix Liturgique
dans le monde

Parce que la réconciliation liturgique est un enjeu pour toute l'Église universelle, nous publions tous les mois des lettres dans les principales langues du monde catholique. Découvrez et faites connaître nos éditions étrangères.

Télécharger notre application

Soutenir Paix Liturgique