Notre lettre 1238 publiée le 18 juillet 2025

LE SILENCE DANS LA LITURGIE ?

PARLONS-EN !

REFLEXIONS AU SUJET
DES PROPOS DU PERE DESTHIEUX
TENU LORS DU CONGRES
DE LA SOCIETAS LITURGICA




Le quotidien La Croix serait-il comme la boîte aux chocolats de Forrest Gump : en l’ouvrant, sait-on vraiment jamais sur quoi l’on va tomber ? Dans les pages Religion & Spiritualité de l’édition de vendredi dernier, joie donc de lire un article sobrement intitulé « Le silence dans la liturgie », surprise cependant de découvrir que le concile Vatican II avait introduit une nouveauté dans la liturgie romaine de la messe, et pas n’importe laquelle figurez-vous : le silence ! Oui, Mesdames et Messieurs, que la date du 11 juillet 2025 soit à jamais gravée dans le marbre : vous ignoriez de le savoir, mais sachez-le pourtant : selon La Croix, la place du silence a été revalorisée par la réforme liturgique. 

Sacré nom d’une pipe, depuis plus de soixante ans de réforme liturgique, nous avions donc mal vu et, surtout, mal entendu. Heureusement le père Desthieux, curé de la basilique Notre-Dame de Genève et auteur d’Habiter le silence dans la liturgie, nous apprend au fil de l’article qu’il existe trois catégories de silence durant la messe (nouvelle) : 1) Le silence de recueillement, « qui débute dès l’entrée de l’église et opère à la manière d’un sas de décompression ». 2) Le silence de méditation, « intervenant avant et après chaque lecture de la parole de Dieu et après l’homélie ». Puis enfin, 3) le silence de louange et de prière, « lors de la prière universelle, ouverte sur la communauté et le monde ».

On ne sait si le rédacteur de l’article et, a fortiori, le prêtre qui est interrogé vivent dans le même monde ecclésial et la même réalité liturgique qu’il est donné de voir en France aujourd’hui. Mais devant tant d’assurance à expliquer les vertus du silence propre aux célébrations de la nouvelle liturgie, on est partagé entre le rire et la pitié. Le rire, parce qu’il est toujours amusant de voir celui qui ne voit pas et qui pourtant croit voir. Tel est le cas de la personne, naïve et candide, affublée d’un poisson d’avril se riant de son voisin sans réaliser pourtant qu’elle a été attrapée aussi. La pitié, parce que nier à ce point la réalité factuelle de la réforme liturgique laisse pantois. Le simple quidam, à commencer par Georges Brassens dans son iconique satire Tempête dans un bénitier, peut témoigner combien la différence entre les deux messes – la messe tridentine et la messe issue de la dernière réforme liturgique – se situe justement sur le registre du silence, du mystère, de la profondeur et du recueillement.

La Présentation Générale du Missel Romain, concède le père Desthieux, ne précise justement pas combien de temps doivent durer ces silences, « Cela peut aller d’une poignée de secondes à quelques minutes », et le prêtre d’admettre que « ces silences sont parfois réduits ou escamotés »... En 2023, à l’occasion des 60 ans de la constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium, le cardinal Robert Sarah se montrait bien plus clair et précis sur le sujet. Lors du 1er congrès des liturgistes africains à Dakar où il intervenait, le prélat fustigeait précisément l’égarement les célébrations contemporaines devenues « trop bavardes et moins chrétiennes ». L’ancien préfet du Culte Divin, aurait-il mal vu ? Disant tout haut ce que nombre d’hommes pensent tout bas, catholiques ou non, il cingle : « La réforme liturgique, saluée par beaucoup, s’avère être une avalanche d’improvisations et une désolation liturgique de proportion effroyable ».

Le poète breton Xavier Grall, ancien journaliste à La Vie et peu suspect de traditionalisme, dans un petit opuscule adressé à ses filles, écrivait déjà sa stupeur devant le drame de la réforme liturgique : « La liturgie est expression. Le rite vaut ce que vaut la foi. Il me semble que l’on a chassé des églises et le mystère et la poésie. Le clergé a voulu être moderne. Et compréhensible. A croire que naguère les temples ne furent fréquentés que par le gratin des sots et des imbéciles ! A présent, tout est clair. L’officiant s’offre en spectacle avec une impudeur dont il n’a même pas conscience. (...) La solitude, le secret de la conversation, ce sont des fautes à présent. Toujours le groupe, le troupeau, l’équipe ! Et le texte ! Quelle indigence. Comment la plus belle des religions a-t-elle pu imposer un texte aussi plat ? (...) Je ne sais si la beauté se démode, mais si le grégorien devait être remplacé, il pouvait l’être par une parole et un rythme sortis du véritable génie du monde moderne. Pourquoi n’avoir pas fait appel aux grands musiciens et aux poètes du monde entier ? Evêques et prêtres ont préféré cuisiner cela entre eux, entre copains, entre frangins. Le résultat est déplorable. Et je déserte, navré, le jour des sanctuaires. »

Le silence dans la liturgie n’est pas affaire de cosmétique. Il n’est pas une matière ou un produit dont l’on farde les cérémonies pour les rendre acceptables. Le silence est bien plus fondamentalement une question de qualité d’âme et de survie spirituelle. Il est ontologiquement lié à notre relation à Dieu. L’antique liturgie, par ses voilements et son canon récité à voix basse par le célébrant, par l’orientation du ministre qui tourne le dos à la foule en faisant face au crucifix qui surmonte le tabernacle de l’autel, témoigne du lien intrinsèque qui existe entre une liturgie séculaire, au développement organique, avec le silence. Supprimer ou retourner tous ces signes et symboles dans le nouveau missel ne pouvait que faire entrer le bruit et le fracas du monde dans le sanctuaire. Alors qu’il saute tellement aux oreilles que la messe traditionnelle compte parmi les plus formidables pétitions antimodernes, la messe de Paul VI peine à offrir ce sacré aux orphelins de Dieu d’aujourd’hui. Aussi, dire que la réforme liturgique a revalorisé le silence dans la liturgie, c’est comme affirmer que le communisme soviétique a revalorisé la libre circulation du marché. Un peu de sérieux tout de même !

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