Notre lettre 1079 publiée le 6 août 2024

LA MESSE TRADITIONNELLE

COMME ENJEU DE CONCLAVE

UN OBSTACLE

POUR LE CARDINAL PAROLIN



NOS REFLEXIONS
A PARTIR DE L'ARTICLE
DE NICO SPUNTONI
PARUE DANS "IL GIORNALE"
DU 14 JUILLET 2024

Compte tenu de ce qu’est le concile Vatican II, à savoir une sorte de recommencement pour l’Église de toutes choses, l’opposition à ce concile, spécialement manifestée par l’opposition à la nouvelle liturgie, pèse d’un poids psychologique très lourd dans les conclaves successifs. Des indiscrétions cardinalices ont ainsi appris que, lors du conclave de 2013, Jorge Begoglio laissait entendre auprès des cardinaux conservateurs qu’il ferait des gestes en faveur de la FSSPX. L’intérêt que portent aujourd’hui des cardinaux comme Jean-Marc Aveline ou Matteo Zuppi à l’espace de liberté que peut avoir cette liturgie va dans le même sens. Pour l’ensemble des cardinaux conservateurs, la bienveillance pour l’usus antiquior sera un critère – un des critères, mais particulièrement significatif – de l’état d’esprit de celui sur lequel peuvent se porter leurs suffrages.

Et pas seulement pour les cardinaux conservateurs. C’est ce qui ressort d’un article de Nico Spuntoni, dans Il Giorgale du 14 juillet, que nous reproduisons ci-après, qui note que des cardinaux n’ayant jamais célébré dans traditionnel considèrent que la guerre qui est menée contre lui est insensée Nico Spuntoni relève le surcroît d’importance qu’a pris depuis la persécution lancée par Traditionis custodes et les documents subséquents la question de la liberté de la messe traditionnelle, et en outre le rôle qui est attribué dans cette persécution par les partisans de cette liturgie au cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État. Spuntoni tente de faire passer un message, comme aiment bien le faire les vaticanistes : Parolin est trop bon diplomate pour ne pas enterrer le nouveau document restrictif dont on parle depuis quelques mois.

Il faut préciser que cette accusation concernant Pietro Parolin se fonde sur un ensemble de données, et notamment sur deux : le rôle avéré qu’a eu le Secrétaire d’État en faveur de la restriction drastique de la célébration ancienne, lors des réunions qui se sont tenues à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi pour l’élaboration de Traditionis custodes ; et l’animosité que déploie, dans un pays particulièrement sensible, la France, un nonce apostolique de premier plan, désormais tout voué au cardinal Parolin, Mgr Celestino Migliore.

En toute hypothèse, il est tout à fait normal que la lex credendi d’avant le Concile soit une épine dans la chair d’une Église postconciliaire toute entière bâtie sur Vatican II. Il est donc tout à fait normal que, d’une manière ou d’une autre, lors de chacun des conclaves depuis la fin de ce concile, ceux de 1978, qui virent les élections successives de Jean-Paul Ier et de Jean-Paul II, celui de 2005 pour l’élection de Benoît XVI, celui de 2013 pour celle de François, et celui qui s’ouvrira pour donner un successeur à François, revienne toujours la question de la contestation des fondements de l’Église conciliaire symbolisée par la célébration de la liturgie d’avant Vatican II.


Le grain de sable de la messe en latin dans la campagne du papable Parolin

De Nico Spuntoni, Il Giornale, 14 juillet 2024 "La grana messa in latino sul "papabile" Parolin "


Le secrétaire d’État est favori pour la future succession de François. Son profil modéré est convaincant, mais l’interdiction du rite antique peut devenir un boomerang.Si, après le prochain conclave, le cardinal Pietro Parolin apparaissait vêtu de blanc à la loggia centrale de la basilique Saint-Pierre, personne ne serait surpris. Bien que la santé de François ne soit pas aussi préoccupante que l’année dernière, au Vatican, il est impossible d’arrêter les paris à propos de celui qui, un jour, deviendra pape après lui. Et le Secrétaire d’État est le grand favori, renforcé par le profil modéré qu’il a essayé par tous les moyens de se donner au cours de ces onze années passées au Palais apostolique.


La revanche de la diplomatie

L’arrivée de Parolin à la tête de la Secrétairerie d’État en 2013 avait été accueillie positivement par ceux qui rêvaient d’une revanche après le pontificat de Benoît XVI qui, rompant avec une solide tradition, avait nommé un non-diplomate, le salésien Tarcisio Bertone à ce poste. L’enfant de Schiavon [Parolin], en outre, avait été l’une des « victimes » - avec Mgr Gabriele Caccia [assesseur aux Affaires générales, expédié au Liban] - de cette relève de la garde au Palais apostolique. Renvoyé de la Curie en 2009 selon le plus classique des promoveatur ut amoveatur, il avait été consacré évêque et envoyé au Venezuela comme nonce apostolique. Le pontificat de Ratzinger, en raison de l’hostilité contre lui de Bertone, n’avait pas été une période heureuse pour Parolin, jusque-là jeune sous-secrétaire du Vatican pour les Relations avec les États, considéré comme le Mozart de la diplomatie vaticane. À ce titre, celui qui est aujourd’hui Secrétaire d’État avait été chargé de missions délicates : il avait mené le dialogue sur la guerre en Irak avec le sous-secrétaire russe aux Affaires étrangères, Alexei Meskov ; il avait été chef de la délégation du Saint-Siège dans la reprise de la commission bilatérale avec Israël ; il avait eu une mission en Chine. Des expériences et des relations nouées à ces occasions qui se sont avérées très utiles au cours des onze dernières années.

Lors de la conférence de presse de la douloureuse passation de pouvoir entre Sodano et Bertone en 2006, c’est Parolin lui-même qui avait exprimé, en langage curial, le désagrément de la diplomatie vaticane du fait de la nomination d’un non-diplomate à la tête de la Terza Loggia [le troisième étage du Palais apostolique où est logée la Secrétairerie d’État] : « Bien qu’il y ait des nouvelles selon lesquelles le Saint-Père et le nouveau secrétaire d’État, le cardinal Bertone, ne sont pas d’origine diplomatique directe, cela ne devrait pas entraîner de changements », avait observé le jeune prélat qui s’était fait connaître à la Curie à l’époque d’Angelo Sodano. Son retour à Rome, à la place de Bertone, était un signe de l’attention qu’avait François pour l’école diplomatique du Saint-Siège. Bien qu’il soit peu diplomate par tempérament, le pape argentin a montré qu’il avait cette composante importante de l’Église en considération et a récompensé plusieurs nonces par le cardinalat. Des choix qui pourraient être utiles à Parolin lors d’un prochain conclave.


Modéré ma non troppo

Il en est peu qui peuvent se vanter d’avoir survécu à des postes de haut niveau pendant les onze années du pontificat de Bergoglio. Parolin est l’exception qui confirme la règle. Bien qu’il ne soit pas considéré comme faisant partie du premier cercle de Sainte-Marthe, le prélat vénitien est resté inébranlable à son poste. Être le trait d’union de deux pontificats aussi différents que l’actuel et celui de Jean-Paul II, par-delà celui de Benoît XVI, a valu à l’actuel Secrétaire d’État de devenir le destinataire des doléances de l’ancien monde de la Curie, de plus en plus malmené dans les années de François. À cet égard, le cardinal vénitien a fait preuve d’une grande compréhension à l’égard d’interlocuteurs déçus, sans jamais laisser échapper un mot équivoque contre un pape au caractère notoirement explosif. Ses relations avec François ont été caractérisées par des hauts et des bas : avant la pandémie, par exemple, des rumeurs circulaient au Vatican selon lesquelles Bergoglio s’était plaint en privé du fait que son Secrétaire d’État aurait voulu être envoyé à la tête d’un important archidiocèse près de chez lui pour ajouter cette expérience pastorale qui manque à son CV de papable. Cependant, dans les années qui ont suivi, le pape n’a pas manqué d’exprimer publiquement son appréciation pour le travail de son numéro deux. D’ailleurs, un Pontife, si attentif au discours sur sa succession au point de plaisanter et de prédire l’élection d’un Jean XXIV, n’ignore pas que le nom de Parolin est sans doute l’un des noms qui reviennent les plus.

Cependant, malgré son profil modéré et plus rassurant par rapport aux nombreuses failles de ce pontificat, la candidature du cardinal italien est loin d’être appréciée de tous. Et pas seulement à cause de son rôle central dans l’accord avec Pékin pour la nomination des évêques qui lui a valu l’attaque sévère du cardinal Joseph Zen Ze-kiun, âgé de 92 ans, symbole vivant de la lutte pour la liberté. Depuis quelque temps, en effet, Parolin est dénoncé un comme un adversaire de la messe en latin.


La messe en latin et le conclave

Depuis quelques temps, les groupes de fidèles favorable à la forme extraordinaire du rite romain que Benoît XVI a libéralisée en 2007 sont sur la brèche, car les rumeurs sont multipliées (Messe en latin, la hache du Vatican tombe-t-elle ? - le journal (ilgiornale.it) à propos de la publication imminente d’un nouveau document qui interdirait complètement les célébrations de la messe antique. Le Dicastère pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements a d’ailleurs interdit la célébration du rite dit tridentin au pèlerinage de Covadonga et dans la cathédrale de Melbourne. Et il y a des signes d’un nouveau durcissement dans la ligne de Traditionis custodes et des autres documents qui ont suivi. Ce qui a conduit à une mobilisation lancée par le monde anglo-saxon et qui a également impliqué des non-catholiques. C’est ce qu’on a vu dans la lettre publiée dans le Times demandant au pape de ne pas annuler la messe en latin et signée par des personnalités telles que l’ancien ministre Michael Gove, l’ancien mannequin et ex-épouse du leader des Rolling Stones Bianca Jagger, la pianiste Mitsuko Uchida, l’entrepreneur Rocco Forte, divers grands noms de l’aristocratie et d’autres encore. Venant aussi d’Angleterre, une autre initiative promue par le compositeur James MacMillan a été celle d’une pétition pour demander au pape de ne pas interdire la messe en latin. En peu de temps, la pétition (Pétition · Stop the ban on the Traditional Latin Mass - Royaume-Uni · Change.org), qu’on peut signer dans le monde entier, a dépassé les 5000 signatures.

Ainsi, le dossier brûlant de l’ancienne messe risque de torpiller la candidature de Parolin : le secrétaire d’État, en effet, est dénoncé par diverses sources qui circulent comme le principal soutien dans la Curie de ce nouveau resserrement. Le chroniqueur britannique deThe Spectator Damian Thompson, s’est demandé dans un tweet (Damian Thompson sur X : "In Il Giornale today, Becciu points the finger at Parolin and Pope Francis: ‘Only by *them* could I be authorised to run the first section of the Secretariat of State.’ He’s ghastly but he has a point: the sinister and ambitious Parolin has never been held to account for crimes" / X) si les cardinaux électeurs avaient conscience des « blessures qui s’approfondiront en élisant un autre idéologue anti-TLM [messe traditionnelle] ».

Dans le collège des cardinaux, en effet, il n’y a pas une majorité de sympathisants de la célébration in vetus ordo, bien au contraire. Cependant, même des cardinaux qui n’ont jamais célébré dans le rite antique considèrent que la guerre que Rome mène contre les prêtres et les fidèles de sensibilité traditionnelle est insensée. Pour la première fois, cependant, la responsabilité n’est pas attribuée à François et à son « allergie » pour ceux qu’il appelle les « rétrogrades » : outre le mal aimé cardinal Arthur Roche, Préfet du Culte divin, c’est le Secrétaire d’État Parolin qui se retrouve dans la ligne de mire. Si l’interdiction absolue de célébrer selon le missel de 1962 du pape Roncalli devait être adoptée, il n’est pas exclu que les conséquences d’une probable polarisation supplémentaire dans l’Église à ce sujet puissent se retrouver lors du prochain conclave et compliquer le chemin de celui qui est le plus favorisé pour devenir Jean XXIV.

Une opinion répandue est que le bon sens et la diplomatie, caractéristiques qui ne manquent pas à Parolin, seront nécessaires pour désamorcer un incident considéré comme très évitable par beaucoup, en faisant tout pour que le document qui divise reste dans le tiroir.

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