Notre lettre 1000ter publiée le 6 février 2024
MAIS POUR QUI DONC « ROULE » PAIX LITURGIQUE ?
TROISIÈME VOLET DE NOTRE ENQUÊTE :
40 ANS DE COMBATS
TROISIÈME VOLET DE NOTRE ENQUÊTE :
40 ANS DE COMBATS
Lors des deux premiers entretiens Christian Marquant a évoqué dans un premier temps ( Paix Liturgique France ) l’importance du nombre des fidèles qui refusaient de vivre une autre foi dans une autre Église. Au cours du second entretien ( Paix Liturgique France ) il a cherché à saisir quelles avaient été les étapes de « L’esprit du Concile » qui avaient braqué les fidèles. Lors de ce troisième entretien Christian Marquant va tenter de présenter la situation actuelle et les possibles chemins pour revenir à la paix et à la foi catholique.
Louis Renaudin – Cher Christian, vous avez essayé de préciser les étapes de ce que fut la révolution postconciliaire et de nous montrer que c’est celle-ci qui vida nos églises et permit un énorme accroissement du nombre de ceux qui s’opposent à ce que vous appelez « le vent de folie » ou parfois « les dérives néo-modernistes ». Pouvez-vous nous dire où nous en sommes plus de 50 ans après le début du concile de Vatican II qui, je le rappelle, fut décidé par le pape Jean XXIII en 1959 et qui se tint de 1962 à 1965.
Christian Marquant – J’ai surtout, lors des deux précédents entretiens, évoqué les années 60 et 70. Il me faut, pour tâcher de vous exposer la situation actuelle, revenir quelques peu sur les années 80 et celles qui suivirent.
Louis Renaudin – Que s’est-il passé lors des années 80 ?
Christian Marquant – Les années 80 ont été marquées par deux courants non seulement opposés mais contraires. D’un côté celui de « L’esprit du Concile » qui semblait attendre son paroxysme et finissait par s’imposer presque partout, détruisant les dernières isolats pacifiques qui avaient subsisté dans l’Église notamment dans les milieux monastiques. Mais au même moment l’œuvre commencée par Mgr Lefebvre gagnait chaque année en puissance et se développait maintenant sur les cinq continents démontrant le caractère international, je pourrais presque dire universel, de la résistance aux dérives ecclésiales.
Louis Renaudin – Qu’est-ce que cela produisit ?
Christian Marquant – Mgr Lefebvre faisait œuvre de survie. Il paraissait donc à la fois de plus en plus isolé, mais aussi en charge d’une communauté catholique de plus en plus importante. Il fit donc tout ce qui était en son pouvoir pour rechercher une sortie honorable qui lui permettrait de poursuivre son œuvre de sauvegarde du sacerdoce catholique traditionnel dans l’Église, notamment lors de rencontres avec le Saint-Siège.
Louis Renaudin – Mais cela n’aboutit-pas ?
Christian Marquant – Ou plutôt peu et mal car il est évident qu’il existait autour du pape Jean-Paul II et avec le souverain-Pontife lui-même une sorte de gêne par rapport à ce qu’était devenu l’Église catholique en Occident. Ainsi, en 1984, le pape Jean-Paul II, qui avait auprès de lui le cardinal Ratzinger, homme très attentif à la crise liturgique, accorda-t-il un premier motu proprio Quattuor abhinc annos pour redonner un petit espace officiel aux fidèles attachés à la liturgie traditionnelle. Mais Mgr Marcel Lefebvre, qui était inquiet en raison de son grand âge (il eut 80 ans en 1985), demandait davantage de garanties et particulièrement qu’on lui accorde de sacrer quelques évêques pour garantir la pérennité de son œuvre. In fine cela ne lui fut pas accordé.
Louis Renaudin – Que se passa-t-il donc ?
Christian Marquant – Et bien, le 30 juin 1988, considérant qu’on ne lui donnait pas de garanties suffisantes, Mgr Lefebvre sacra, sans mandat pontifical, quatre évêques, assurant ainsi la pérennité de son œuvre.
Louis Renaudin – Quelle fut la réaction du Vatican ?
Christian Marquant – Une réaction canonique ordinaire (déclaration d’une excommunication latae sententiae et accusation de « schisme ») … mais qui ne dura pas.
Louis Renaudin – Pourquoi ?
Christian Marquant – Parce qu’il existait dans l’Église trop de fidèles et trop de prêtres qui, à minima, comprenaient Mgr Lefebvre ou même l’approuvaient. C’est ainsi que les excommunications furent levées en 2009, par Benoît XVI, et que plus tard encore le pape François accorda aux prêtres de la Fraternité Saint-Pie-X de pouvoir confesser et l’aptitude à recevoir le pouvoir de marier légalement, indiquant clairement le caractère non schismatique de ces communautés. Tout au plus, les prêtres de la FSSPX sont « irréguliers » canoniquement, et encore c’est discuté entre canonistes…
Louis Renaudin – Mais l’Église n’en était pas resté là ?
Christian Marquant – Non car au moment des sacres de l’été 1988 naquit ce que l’on appela le monde Ecclesia Dei.
Louis Renaudin – Comment naquit ce monde Ecclesia Dei ?
Christian Marquant – Le Saint-Siège avait compris qu’il était allé trop loin et qu’il fallait offrir des solutions légales à ceux qui, appartenant jusqu’alors au monde de la Fraternité Saint-Pie-X, pouvaient être tentés de retrouver un statut officiel au sein de l’Église si celle-ci leur en offrait la possibilité.
Louis Renaudin – Le fit elle ?
Christian Marquant – Elle le fit par la promulgation du motu proprio Ecclesia Dei, un texte peu sympathique par ailleurs, mais qui allait constituer un cadre juridique pleinement ecclésial à ceux qui, venant du monde saint Pie X, souhaitaient avoir un statut officiel dans le giron de l’Église mais aussi à ceux qui jusqu’alors avaient hésité à franchir le pas vers Saint Pie X mais qui rejoindraient volontiers le monde Ecclesia Dei qui leur apparaissait, à tort ou à raison, comme plus pleinement en union avec le Saint-Siège (on pourrait dire aussi que le Saint-Siège se mettait en accord avec eux, dans une sorte de flou artistique transactionnel qui a rendu de grands services à la survie de la liturgie et de ce qui y est attaché).
Louis Renaudin – Pourquoi dites-vous que le motu proprio Ecclesia dei n’était guère sympathique ?
Christian Marquant – En se présentant finalement comme une sorte de tolérance, qui par définition pouvait se terminer bientôt et non comme un authentique accord de paix reconnaissant en bonne et due forme le droit de la liturgie traditionnelle.
Louis Renaudin – Qui furent les bénéficiaires de cette mesure gracieuse ?
Christian Marquant – Il y en eu de deux sortes. Les plus nombreux furent ceux qui, profitant de l’occasion offerte, quittèrent le monde saint Pie X et constituèrent de nouvelles communautés dans l’orbite d’Ecclesia Dei. Ce fut bien sûr la création de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre constituée à l’origine de prêtres venus de la Fraternité Saint-Pie-X, mais aussi de communautés religieuses amis comme les bénédictins du Baroux, l’oratoire de Berlin, l’œuvre de Riaumont, ou encore les quasi-dominicains de Chémeré (religieux de Saint-Vincent-Ferrier). Tous avaient leur origine dans l’univers de Saint Pie X et avaient bénéficié des ordinations conférées par Mgr Lefebvre.
Louis Renaudin – Y eut il d’autres communautés qui rejoignirent le monde Ecclesia Dei ?
Christian Marquant – Quelques communautés, hors de l’univers Saint-Pie-X, mais qui désiraient bénéficier des libertés offertes par le nouveau motu proprio : l’abbaye de Fontgombault et ses abbaye-filles qui, restant agrégées à la congrégation de Solesmes, ont repris la messe traditionnelle et sont entrées dans l’aire morale Ecclesia Dei, l’Institut du Christ-Roi, qui était jusque-là de droit diocésain, les chanoines de la Mère de Dieu (bientôt à Lagrasse), passés de l’apesanteur canonique au droit diocésain puis au droit pontifical, et les religieuses de Pontcallec, de même, qui étaient toujours restés fidèles à la messe traditionnelle au prix de quelques aménagements de détail. J’oublie certainement quelques communautés Ecclesia Dei. (La dernière à avoir été agréée par la Commission est la Fraternité sacerdotale de Familia Christi, à Ferrare, dissoute brutalement par le pape François et qui a rejoint Mgr Vigano).
Louis Renaudin – Tout cela se passa-t-il bien ?
Christian Marquant – Pas du tout… la Fraternité Saint-Pie-X qualifiant les Ecclesia Dei d’être des « ralliés » et des traitres, et ceux-ci accusant les Saint-Pie-X d’être devenus des « schismatiques ». Querelle classique entre frères se croyant ennemis, les deux groupes œuvrant chacun selon son charisme – un charisme « de Londres » pour les « schismatiques » et un charisme « de Vichy » pour les « ralliés », selon une moquerie qui ne plaît ni aux uns ni aux autres… Pour ma part, je dis que tous, à leur manière, voulaient et veulent faire retrouver aux membres de l’Église du Christ la foi traditionnelle.
Louis Renaudin – Cette situation fut-elle heureuse ?
Christian Marquant – Le développement du monde Ecclesia Dei ne freina pas le développement du monde SPX et pareillement le monde Ecclesia Dei se développa considérablement, surtout là où les évêques agirent avec bienveillance.
Louis Renaudin – Mais les choses n’en restèrent pas là…
Christian Marquant – En effet car, devenu pape, le cardinal Ratzinger décida d’aller plus loin encore en publiant le 7 juillet 2007 son motu proprio Summorum Pontificum, qui considérait que les deux missels étaient deux formes légitimes du même missel romain, l’un sous sa « forme ordinaire » et l’autre sous sa « forme extraordinaire ».
Louis Renaudin – Quels en furent les fruits ?
Christian Marquant – Importantissimes car bientôt, à côté de la nébuleuse Saint-Pie-X et du monde Ecclesia Dei, se développa un monde Summorum Pontificum, c’est-à-dire des prêtres diocésains ou appartenant à des communautés non traditionnelles (dominicains, Bénédictins, carmes, franciscains, etc.) qui, d’après notre bilan de 2019 de la liturgie traditionnelle , constituaient à ce moment la partie la plus importante de ceux qui étaient attachés à la liturgie et à la foi traditionnelle.
Louis Renaudin – Et c’est dans cette période que survint la renonciation de Benoit XVI et l’élection du pape François ? Est-ce que cela changea quelque chose ?
Christian Marquant – Non, dans un premier temps, notamment parce que le pape François donna, comme je l’ai dit, sans contrepartie, des facultés importantes aux membres de la Fraternité Saint-Pie-X.
Louis Renaudin – Mais bientôt survint le motu proprio Traditionis custodes.
Christian Marquant – Traditionis custodes revenait sur les libertés offertes par les précédents papes (Jean-Paul II avec le motu proprio Ecclesia Dei et Benoit XVI avec le motu proprio Summorum Pontificum) au nom d’un risque pour l’unité de l’Église, en s’appuyant faussement sur une enquête menée par la Commission Ecclesia Dei auprès des évêques du monde latin.
Louis Renaudin – Faussement ?
Christian Marquant – Oui, faussement. Les résultats de l’enquête réalisée auprès de tous les évêques de l’Église latine qui ont filtré montrent que celle-ci ne correspond en rien aux conclusions fantaisistes sur lesquelles s’appuie le motu proprio Traditionis custodes pour supprimer les bienfaits produits d’abord par Ecclesia Dei et surtout par Summorum Pontificum.
Louis Renaudin – C’est pourquoi vous demandez depuis plus de dix ans que soient publiés les résultats réels de cette enquête menée auprès des évêques.
Christian Marquant – Afin que soient rejetées les fausses synthèses, comme celle publiée par quelques ennemis de la paix qui alors grenouillaient autour de la Conférence des Évêques de France et qui avaient essayé d’accréditer les propos, qu’il faut bien qualifiés de mensongers, de la lettre d’accompagnement de Traditionis custodes.
Louis Renaudin – Mais malgré cela Traditions custodes a été mis en place.
Christian Marquant – Certains évêques, jaloux du succès des messes traditionnelles qui rassemblent plus de monde que les messes des cathédrales, ont multiplié les persécutions. Mais beaucoup qui, en priorité, recherchent la paix dans leurs diocèses, ont considéré que ce texte belliqueux et inique, était de fait difficilement applicable Ils l’ont appliqué très faiblement et parfois pas du tout
Louis Renaudin – Le pape lui-même...
Christian Marquant – Vous avez raison. Signer un texte est une chose, l’appliquer personnellement en est une autre. Surtout quand on cultive le chaos comme moyen de gouvernement. On a vu, en effet, le pape affirmer à plusieurs occasions que ce texte ne concernait pas les communautés Ecclesia Dei.
Louis Renaudin – Était-ce une reculade ou une stratégie ?
Christian Marquant – Les deux cher Louis. Une reculade vis-à-vis des instituts Ecclesia Dei qu’il n’est point facile d’anéantir sans créer un scandale universel. Au fond il s’agissait surtout d’arrêter l’hémorragie, disons plutôt la contagion, et l’adhésion de jeunes prêtres non Ecclesia Dei vers la liturgie traditionnelle. Il est clair que, dans son esprit, ce texte visait prioritairement les prêtres diocésains.
Louis Renaudin – Et où en sommes-nous aujourd’hui ?
Christian Marquant – Au sein d’un statu quo fragile, où les diocésains qui se sont vu interdire le bénéfice de la liturgie traditionnelle n’en usent que beaucoup moins librement. Mais pourtant, les évêques qui veulent se débarrasser des communautés Ecclesia Dei font appel à eux. Les communautés Ecclesia Dei naviguent à vue. Quant aux évêques ou aux cardinaux récalcitrants, on les réduit à néant, comme NNSS. Rey et Strickland. Vient s’ajouter le fait que, non content d’avoir réactivé le front liturgique, le pape en a ouvert un nouveau, un front moral, avec Fiducia supplicans.
Louis Renaudin – Que faire ?
Christian Marquant – Ne pas oublier que l’espérance est une vertu théologale, ne pas avoir peur, et s’adapter à une situation nouvelle pour prévoir les actions de demain.
Louis Renaudin – Et que sont ces adaptations qui seront au cœur des actions de demain ?
Christian Marquant – Celles que nous évoquerons au cours de notre quatrième et dernier entretien.