Notre lettre 998 publiée le 16 janvier 2024

CONFÉRENCE DE JEAN-PIERRE MAUGENDRE

Pax Liturgica, Rome, 27 octobre 2023
LES NOUVEAUX MÉDIAS DE RADIO-TÉLÉVISION ET RÉSEAUX SOCIAUX AU SERVICE DE LA TRADITION.

Mon Père, Messieurs les Abbés, Mesdames, Messieurs, chers Amis, merci d’être présents et aussi d’avoir renoncé à la sieste romaine pour venir écouter quelques propos, peut-être plus austères que les précédents sur le sujet qu’il m’a été demandé de traiter : les nouveaux médias radio, télévision, réseaux sociaux, au service de la Tradition.

Certains de ces « nouveaux médias » ne sont pas si nouveaux que ça, comme la radio et la télévision. Et puis sont venus ces fameux réseaux sociaux. Je ne suis sans doute pas le laïc le plus compétent pour traiter de ce sujet n’étant qu’un modeste amateur* dans ces domaines mais j’essayerais de le faire en faisant un effort de méthode. Au fond, je vais vous proposer les paroles d’un laïc engagé ayant bien conscience qu’il n’est qu’un membre de l’Eglise enseignée et non pas l’Eglise enseignante comme l’était ce matin Mgr Schneider.


I - Qu’est-ce que la Tradition

Quelques réflexions de manière à cerner non pas de manière obligatoirement très théologique mais peut être plus sociologique, vu par un laïc, ce qu’est la Tradition. J’ai coutume de regrouper cette définition de la Tradition autour de trois idées fortes : pour moi la Tradition dans l’Église est une fidélité, une résistance et une œuvre d’Eglise.


A/ La Tradition comme Fidélité

Cette fidélité n’a de sens que si nous avons bien conscience que l’Eglise catholique est l’Eglise du Christ, avant de l’être du Pape, quel qu’il soit, Pierre, Paul, Jacques, Jean. Quelques citations pour vous conforter dans cette conviction :

- Bossuet nous dit, au XVIIe siècle : « L’Eglise, c’est Jésus-Christ répandu et communiqué ».

- Sainte Jeanne d’Arc nous dit au XVe siècle « M'est avis que Jésus Christ et l'Eglise, c'est tout un ».

- Et Pie XII enfin, le 29 juin 1943 dans Mystici corporis Christi : l’Eglise définie c’est le Corps mystique du Christ.

Cette notion de fidélité se rapporte donc au fait que la Tradition nous relie au Christ par la médiation des apôtres.

Le drame auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, c’est que d’une certaine manière et sous certains aspects, le Concile Vatican II a marqué une rupture dont il ne nous appartient pas ici de mesurer la gravité, l’ampleur, les modalités, mais enfin que beaucoup de gens ont observée. Rupture réelle ou apparente dans la transmission de ce que l’Eglise nous avait donné, venant du Christ lui-même et des apôtres depuis 2000 ans.

Voici quelques éléments pour conforter cette intuition, choisis parmi une grande quantité d’autres :

- Vient de paraître en France, aux éditions du Cerf – les éditions des dominicains de la province de France – un livre d’un historien français, assez connu, catholique engagé, Francois Huguenin, dont le titre est le suivant La grande conversion, l’Eglise et la liberté, de la révolution à nos jours, dans lequel il explique que de manière incontestable, la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse est en contraction avec une encyclique, comme Libertas de Léon XIII comme sur l’enseignement des papes depuis la Révolution depuis Pie VI et Pie VII.

- Et aussi, l’extrait d’un ouvrage qui a été très répandu en France, paru il y a 3 ans maintenant, écrit par un sociologue et historien, Guillaume Cuchet, dont le titre est le suivant : Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Il y analyse la manière dont depuis 1965 – c’est la date qu’il prend en considération, celle de la fin du Concile – la société française s’est déchristianisée. Je le cite : « Cette rupture au sein de la prédication catholique a créé une profonde discontinuité dans les contenus prêchés et vécus de la religion de part et d’autres des années 1960. Elle est si manifeste qu’un observateur extérieur pourrait légitimement se demander si, par-delà la continuité d’un nom et de l’appareil de la théorie des dogmes, il s’agit toujours bien de la même religion ».

Guillaume Cuchet n’est pas théologien, il ne décortique pas les textes. Il est sociologue. Il regarde ce qu’il se passe. Il va voir la manière dont les choses étaient vécues dans les années 60, la manière dont elles sont vécues aujourd’hui et en particulier il s’intéresse à la question de la liturgie. Le sociologue se demande par-delà la permanence de l’appareil, s’il s’agit bien de la même religion.

- Et enfin, nous avons tous en tête la déclaration du cardinal Roche,d préfet du dicastère pour le culte divin, qui dit en mars 2023, à propos de la messe : « La théologie de l’Eglise a changé ».

Monseigneur Schneider l’a cité ce matin dans son ouvrage sur le Credo, Compendium de la Foi catholique, notre fidélité s’est selon le Commonitorium de Lérins, c’est la fidélité à ce qui toujours, partout, et part tout le monde a été cru. Cette fidélité n’est pas une invention, une création, un libre examen protestant, c’est une fidélité à un héritage qui nous a été transmis.


B/ La Tradition comme Résistance

Mais la Tradition est aussi une résistance, en fonction de ce qu’on a évoqué tout à l’heure : un certain nombre de choses crues par tout le monde, aujourd’hui ne le sont plus. Résistance dont le point de cristallisation a été la réforme liturgique. Cette réforme est ce que le paroissien de base voit. Les grands débats théologiques sur le salut des infidèles etc, n’intéresse pas Mme Michu et ne la concerne pas. En revanche, ce qui se passe à la messe le dimanche, elle le voit, elle se sait, elle se sent concernée.

Cette résistance s’est donc cristallisée autour de la réforme liturgique. Elle a pris différentes formes, celle des protestations de laïcs ou de non laïcs, une résistance intellectuelle, comme celle de la très belle figure de Cristina Campo en participant de manière très active à la rédaction du Bref Examen Critique de la nouvelle messe qui sera ensuite signé par les cardinaux Ottaviani et Bacci. Et encore – et là vous me permettrez de faire un petit cocorico – avec ce je crois qu’un des pôles majeures de cette résistance intellectuelle a été la France. Lois Salleron citait Paul VI. Paul VI visitant Saint Louis des français le 31 mai 1964 et leur disant : « La France est le four ou se cuit le pain intellectuel de la Chrétienté toute entière ». C’est dur pour notre humilité mais ce sont les paroles d’un Souverain Pontife…

En fait, cette tradition intellectuelle française s’explique historiquement par le fait que, globalement, depuis la Révolution français les pouvoirs publics sont très opposés à la religion catholique. Les catholiques français ont une culture de résistance aux autorités publiques, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de persécutions anti catholiques dans d’autres pays, on peut penser au joséphisme, aux Kulturkampf, au marquis de Pombal au Portugal.

Je ne suis pas en train de dire qu’il n’y a qu’en France que les catholiques ont été persécutés, je dis qu’il y a une continuité depuis deux siècles qui a donné aux catholiques français une mentalité, un habitus de résister aux autorités, aux autorités politiques et puis aussi aux autorités religieuses.

En 1892, quand par son encyclique au milieu des sollicitudes, Léon XIII a demandé aux catholiques de se rallier à la République, un certain nombre d’entre eux ont refusé, et par là même, aux directives pressentes du Souverain Pontife.

Autre épisode, celui de la condamnation de l’Action Française de 1926 à 1939, où pendant treize années, un certain nombre de catholiques et pas les moins pieux et les moins fervents, ont été privé des sacrements, sur injonction du Souverain Pontife. Et donc, quand pour d’autres sujets et dans d’autres domaines 40 ans plus tard, un catholique, ou ses enfants, qui sont de nouveau appelés à s’opposer aux évêques et au Souverain Pontife, le font plus aisément.

Cette résistance est aussi une résistance pratique, celle des milliers de prêtres qui ont continué à célébrer la messe romaine traditionnelle.

Et puis se fut aussi la résistance de deux évêques - Monseigneur de Castro Mayer, évêque de Campos au Brésil, qui dès la promulgation de la réforme liturgique en 1970, (c’était obligatoire à partir de 1971), écrivit au Souverain Pontife en lui disant qu’il était responsable devant Dieu du troupeau qui lui avait été confié et que pour le bien des âmes, la réforme ne sera pas appliquée dans son diocèse. Je me permets de vous renvoyer à cet égard, puisque nous sommes en train de travailler sur la publication en France de l’ouvrage de Monseigneur Schneider Credo, tout à fait éclairant,, qui dit ainsi que l’évêque, ce n’est pas le directeur d’une succursale dont le directeur général est le Souverain Pontife. L’autre évêque fut Monseigneur Lefevre, fondateur de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X.

Mais on pourrait également citer la lettre adressée par 6000 prêtres de la Fraternité Saint Antoine-Marie Claret en Espagne au Souverain Pontife, lettre qui fut sans suite.


C/ La Tradition est aussi une œuvre d’Eglise.

Jean Madiran a bien insisté sur le fait que nos réclamations, nos désobéissances apparentes, n’étaient jamais une révolte. Elles sont une résistance à un abus de pouvoir. Elles ne sont pas une révolte, nous sommes fils de la sainte Eglise. Lorsque saint Athanase en 357, au moment de la crise arienne, est excommunié par le pape Philibert, il reste fils de l’Eglise : il fait part de son refus, mais ça n’est pas une révolte. Notre résistance n’est jamais une révolte.


II - Les éléments généraux dans lequel se positionne notre sujet autour des médias

Depuis ces dernières décennies, quelles sont les caractéristiques du climat général dans le monde et dans l’Eglise ? C’est aussi le titre d’un livre à venir pour l’instant qui n’existe qu’en polonais de Mgr Schneider, Le printemps annoncé n’est jamais arrivé, ce printemps qu’annonçait le discours d’ouverture du concile Gaudet Mater Ecclesia, du pape Jean XXIII, en fustigeant les « prophètes de malheur ».

Il s’est produit que l’immense majorité des cardinaux, des évêques, des prêtres et des laïcs, avec plus ou moins d’entrain, ont fait confiance à l’autorité légitime ou à ceux qui étaient présentés comme tel, c’est-à-dire le pape et le concile. Il y avait là un réflexe catholique. Ça a été l’état d’esprit de l’immense majorité de l’Eglise enseignante et de l’Eglise enseignée : les gens ont suivi leur curé.

Mais il est un point certain : nous pouvons ouvrir de vastes débats sur le Concile, l’après concile, l’esprit du Concile et tout ce que l’on veut, mais il y a un sujet sur lequel il n’y a pas de débats et qui nous réunit en particulier aujourd’hui, c’est la volonté qui a été celle du pape Paul VI de voir disparaître la célébration de la messe romaine traditionnelle. Il l’a dit dès le début : cette messe est appelée à disparaître. Soixante ans après, nous avons le droit, le devoir, de dresser un bilan. Il serait quand même tout à fait surprenant qu’il ne s’agisse que d’une simple concomitance entre deux événements : 1965, la fin du concile et le début de la désertification des églises. Il s’est produit une déchristianisation massive du peuple et des institutions, en particulier des peuples d’Europe occidentale. J’ai été très frappé, il est paru cette semaine en France une enquête sur la Hongrie. La Hongrie qui est représentée comme le bastion de la Chrétienté sur un certain nombre d’aspects, qui est dirigée par un protestant, Viktor Orbán, calviniste, qui a une législation favorable à la famille qui a fait inscrire la référence à la Hongrie chrétienne, à saint Etienne et tout dans sa Constitution, elle aussi voit un effondrement du nombre de gens qui se considèrent soit comme protestants soit comme catholiques.

En France, en 1965, le taux de pratique religieuse était de 25% de la population. Aujourd’hui on pense qu’il est à moins de 2%. Il y a une protestantisation des croyances. Dans un livre qui vient de paraitre, Mgr Ailliet, évêque de Bayonne, Le temps des saints, cite ce sondage : seulement 57% des pratiquants réguliers, c’est-à-dire les gens qui vont à la messe tous les dimanches, ou suivant la définition nouvelle, une fois par mois, croient à la résurrection des morts ; sous-entendu, 43% n’y croient pas. Ils vont à la messe tous les dimanches mais ne croient pas en la résurrection des morts. C’est un peu contrariant.

Et puis aussi, on n’insiste pas assez me semble t’il peut être, à l’heure des bilans, sur le non-respect de la loi morale naturelle par les catholiques. Il est quand même paradoxal que des pays ou reste un taux de pratique régulière très élevée, 25, 30, 35 % de la population (l’Espagne, l’Italie, le Portugal) soient des pays d’Europe ou le taux de natalité est le plus faible. On peut se poser la question de savoir si ces pratiquants réguliers vivent bien l’enseignement de l’Eglise sur le mariage et la transmission de la vie.

Et puis, il y a la banalisation et l’horizontalisme de la liturgie. Et puis, de nouvelles réformes sont en cours, le synode sur la synodalité, le chemin synodal en Allemagne. Et encore, et encore. Il y a 60 ans que tout s’effondre et on continue. Avec quelque chose de nouveau : aujourd’hui, les interrogations et les résistances sont publiques, ce qui n’était pas le cas il y a 50 ans, quasiment tout le monde obéissait. Vous avez comme moi suivi les questions, les dubia qui ont été présentés par les cardinaux Burke, Brandmuller, Zen, Sarah, pour l’ouverture du synode.

C’est quelque chose de profondément nouveau. Je vous renvoie à la conclusion d’un livre fondamental, qui vaut pour la France mais aussi pour les autres pays, Les crises du clergé français contemporain, de Paul Vigneron. Paul Vigneron conclut son livre par la question qu’on devrait se poser face à ce désastre constaté : « Oui, peut être avons nous fait longtemps fausse route ». Qui aujourd’hui, dans le personnel ecclésiastique, se posera la question, face au désastre que nous vivons, est ce que finalement depuis 50 ans, et bien nous n’avons pas fait fausse route ? Il faut de l’humilité, surtout quand on est responsable.

On a fait fausse route… Quand on interroge les jeunes pèlerins du pèlerinage de Pentecôte, les gens qui rejoignent les communautés traditionnelles, on trouve chez eux trois aspirations fortes :

- La première est une aspiration à la transcendance, à la beauté. Dans la messe romaine traditionnelle, il y a une solennité, une beauté, on voit bien qu’on sort de l’horizontalisme quotidien. C’est une aspiration de la nature humaine et surtout, quand on a tout essayé, des plaisirs de la vie, se fait peut être jour la fameuse phrase de saint Augustin : « Vous nous avez fait pour vous, ô mon Dieu, et notre cœur est inquiet quand il ne repose pas en Vous ».C’est ce que découvrent un certain nombre de jeunes après avoir tout essayé de la société de consommation et des libertés apportées par la révolution de mai 68.

- La deuxième est l’exigence. Nous nous rappelons la célèbre formule « les choses valent ce qu’elles coutent ». Une religion qui n’est pas exigeante ne répond pas à l’aspiration de la nature humaine, qui est de s’élever, de se tourner vers Dieu et de savoir au fond de chacun d’entre nous qu’il faut se donner les moyens de maitriser notre nature blessée.

- La troisième est un besoin de cohérence : le Christ, qui est-il vraiment la Voie, la Vérité et la Vie, celui qui donne un sens à nos vies et celui qui doit régner sur les sociétés pour qu’elles soient le moins invivables possible.

Or la liturgie romaine traditionnelle, me semble t’il, répond à ses aspirations.


III - Le nouvel environnement que sont les médias

Pour que des médias jouent un rôle dans une société, il faut trois choses :

• Un public

• Des moyens matériels

• Des acteurs et des talents


A - Un public

J’ai évoqué il y a quelques instants l’échec de l’aggiornamento post conciliaire. Nous savons le succès du pèlerinage de Chartres à la Pentecôte, 15 mille personnes à la moyenne d’âge de 21 ans, les inscriptions trop nombreuses ayant dû s’arrêter quelques journées avant le pèlerinage.

Le développement des écoles catholiques hors contrats est aussi un phénomène extrêmement important puisque l’enseignement public est dévoyé et l’enseignement catholique sous contrat ne transmet plus la foi.

Aux Etats-Unis également, un témoignage sur le diocèse de Tyler de Mgr Strickland parle semblablement du regroupement autour de paroisses traditionnelles, de familles catholiques.

Ce public est donc formé de ceux qui ont maintenu le flambeau de la Tradition. De plus en plus - nous en avons eu un témoignage ce matin - ce sont des convertis, ce sont des jeunes. Il me parait important de noter que ce public a toujours existé mais il était ostracisé, comme à Athènes dans l’Antiquité, où c’était la pire des punitions : on envoyait ceux dont on ne voulait plus vivre chez les barbares. Les catholiques fidèles à la Tradition ont toujours existé mais ils étaient jusqu’à maintenant ostracisés.

Dans un numéro d’Itinéraires, la revue fondée par Jean Madiran, en décembre 1980, est repris un sondage d’une publication britannique, sur la messe, enquête faite par Michael Davies. À la question « à quelle messe préféreriez-vous assister, à supposer qu’elles soient toutes permises ? », 15 000 personnes répondent :

- A/ messe en anglais dans la traduction actuelle = 1635 soit 12% des réponses

- B/ messe en anglais dans une meilleure traduction = 1045 soit 7%

- C/ messe en latin dans le nouveau rite = 847 soit 6%

- D/messe en latin dans le rite traditionnel = 10622 soit 75%

On était en 1980. Et ces 75%, en 1980, n’ont pas voix au chapitre. Ils ne sont représentés par personne ou quasiment. Ils ont disparu des écrans radars, personne ne s’intéresse à eux. Plus près de nous, je vous renvoie aux nombreux sondages faits par Paix Liturgique, où partout, dans tous les pays, quand on demande aux gens sur les 15 années qui viennent de passer : « est ce que vous assisteriez à la messe traditionnelle si elle était célébrée dans votre paroisse ? », dans tous les pays du monde, 40 à 50% des personnes interrogées pratiquantes disent qu’elles y assisteraient.

En fait, ce que Pierre Debray en France, a appelé les silencieux de l’Eglise, ont toujours existé : les 75% évoqués ou les 40 ou 50% évoqués ont continué à exister depuis le Concile, mais ils étaient ostracisés. Mais il y a moment et nous y sommes où, pour différentes raisons sur lesquelles nous allons revenir, la réalité rejoint la représentation qui en est faite. C’est-à-dire que lorsque 50% des gens disent : « j’irai à la messe traditionnelle si elle était célébrée dans ma paroisse mais personne ne m’en parle jamais », des gens vont finir, soit par conviction soit pour des raisons commerciales, comprendre le fait qu’il y a un public et qu’il y a des gens que ça intéresserait si on leur parlait de ça.


B - Les moyens matériels

Il y a essentiellement deux approches.

- Il y a le poids écrasant des pouvoirs publics. Dans un pays comme la France, la majorité des chaines de télévision sont détenues par l’Etat (France 2, 3, 4, 5, France Info). Vous êtes d’accord ou pas d’accord, ce sont les impôts qui payent les gens dont une partie vous crache dessus toute la journée.

- Et puis la deuxième approche médiatique : les groupes privés dont la finalité est de faire de l’argent. Ainsi, Patrick Le Lay, PDG de TF1 en 2004. À la base le métier de TFI est d’aider par exemple Coca Cola à vendre son produit. Patrick Le Lay dit en quelque sorte : « Ce que vous vendons à Coca Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. Je fais une émission pour que les gens viennent la regarder, et puis au milieu de l’émission, je mets un truc pour Coca Cola, et puis comme il y avait beaucoup de monde à regarder l’émission, et bien Coca Cola me paye beaucoup. Je ne suis pas là pour aider les gens, je ne suis pas là pour les édifier, je suis là pour faire en sorte qu’il y ait le maximum de gens qui regardent l’émission pour que Coca Cola me paie le maximum. » est la reprise d’une vieille idée, Emile Girardin quand il fonde la presse en 1836, qui est un quotidien c’est la même chose, il dit on va faire de la pub comme ça les journaux couteront moins cher.

Mais il y a Internet : l’arrivée d’internet a fait considérablement baisser l’écoute de la création d’une part et de la diffusion d’autre part de l’intervention.


C - Les talents

Et puis, il faut des talents. Pour cela, j’aimerais faire une distinction entre deux types de médias : les médias de masse et les médias alternatifs.

Concernant les talents, l’Eglise a eu des talents pour communiquer depuis toujours, nous pensons à saint François de Sales qui est le patron des journalistes dont les libellees et les imprimés ont été diffusés par lui pour re-catholiciser le Chablais. Saint Maximilien Kolbe ; dans l’entre-deux guerres, le chevalier de l’Immaculée, était tiré à 800 mille exemplaires.

En France, les Assomptionnistes fondèrent La Croix en 1883.

Les médias de masse s’adressent au grand public. Historiquement, un certain nombre de traditionalistes, au sens large du terme, avaient un accès aux grands médias. On peut penser à Gustave Corsao au Brésil qui écrivait dans O Globo qui est un média de masse important. Voyez aussi sont les chroniques que tenait le Père Bruckberger en France dans L’Aurore, celles de Louis Salleron dans Carrefour, qui avait également des portes ouvertes au Monde, où il pouvait faire passer des articles.

Peu à peu, ces gens ont disparu. C’est-à-dire que le système les a écartés et il n’a plus été possible qu’ils aient accès à la grande presse. Néanmoins, il y a un retour au réel, que je voudrais caractériser par une phrase de Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit, surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ».

Et peu à peu, ces dernières décennies, il s’est opéré une forme de retour au réel. Une prise en compte de la réalité. Voyez comment le combat mené par exemple par un hebdomadaire comme Valeurs Actuelles s’est élargi. Valeurs Actuelles, qui depuis quelques semaines a un nouveau chroniqueur hebdomadaire sur internet en la personne du Père Danziec. Dans un hebdomadaire comme Valeurs Actuelles, fondé par un franc mâcon notoire, il y a une rubrique religieuse sur internet toutes les semaines tenue par un prêtre qui est un défenseur de la tradition catholique.

C’est également une certaine forme de ce que l’on pourrait appeler une droitarisation du Figaro avec le Figaro Vox et les auteurs qui y sont invités : des tribunes de Rémi Branet, de Pierre Manent et également les chroniques religieuses de Jean-Marie Guénois et sans compter bien sûr le travail effectué par Michel De Jaeger au Figaro Histoire et Figaro Hors-Série.

Il y a eu aussi l’entrée en scène d’un nouvel acteur qu’est le groupe Bolloré avec sa chaine de télévision Cnews, son hebdomadaire Paris Match, son quotidien Le Journal du Dimanche, sa radio Europe 1. Ce qui a permis à des positions qui, sans être traditionalistes au sens strict du terme étaient néanmoins favorables à l’Eglise et au patrimoine culturel et civilisationnel. On peut penser à l’émission « En quête d’Esprit » d’Aymeric Pourbaix, aux belles figures de l'histoire qui sont animées par le Père Thomas, à l’émission toute récente qui est animée par Philippe de Villiers.

Concernant Paris Match, la couverture que Paris Match a faite le 7 juillet avec une belle photo de son Eminence le Cardinal Sarah, qui était avec nous ce matin, a provoqué un scandale. D’où grève des journalistes sur le thème « À bas la calotte ». Et… une des meilleures ventes de l’année : 110 mille ventes. Ce qui rejoint ce que je disais tout à l’heure : ce marché existe et un certain nombre de gens, soit par conviction, soit pour des raisons financières, s’adressent ce marché. Un marché ne reste jamais négligé : il y a toujours des gens qui s’intéressent à lui à un moment ou à un autre.

On peut classer dans les médias de masse la chaine EWTN fondée par Mère Angelica aux Etats-Unis, avec 230 millions de téléspectateurs, qui fonctionne 24h/24 et a été fondée en 1981.

Quant aux médias alternatifs, ils se fondent économiquement sur des sites payants mais leurs couts sont beaucoup moins élevés que ceux des médias traditionnels. En outre, dans les sociétés de liberté comme le sont les Etats-Unis, on peut avoir des fondations ou des donateurs qui permettent la viabilité économique de ces sites. Je pense à The Remnant de Michael Matt, The Pilard, Mass of the Ages, Life site news. Les organisateurs de Life site news, à l’origine, sont des défenseurs de la vie humaine innocente, qui peu à peu ont cheminé et puis qui disent que finalement, il n’y a que les tradis que ça intéresse. Du coup, ils se sont fait tradis.

Rorate caeli, OnePeterFive, et en Italie Correspondance européenne, Missa in latino, et tous les sites d’Una Voce, sans compter tous les sites de vaticanistes, ceux de Sandro Magister, Edouard Pentin, Aldo Maria Valli. En France, ce courant traditionnel est représenté par Radio Courtoisie, radio libre fondée en 1987 par Jean Ferré. Pensez aussi au Club des Hommes en noir de L’Homme Nouveau, au site et aux lettres d’information Paix Liturgique de Christian Marquant, au Salon Belge tenu par Guillaume de Thieulloy, Riposte Catholique, le site que tient notre association Renaissance Catholique, TV Liberté, avec l’émission d’information religieuse que j’anime, « Terre de Mission », TV Liberté qui a 800 mille abonnés. Il y a aussi le site d’actualité de la Fraternité Saint Pie X tenu par l’abbé Lorans, site de grande qualité, toujours très bien fait.

En conclusion je voudrais partager avec vous la conviction, avec mes cheveux blancs – mais il me reste des cheveux, c’est déjà positif ! –, que la situation est bien meilleure qu’il y a 50 ans. Car il y a 50 ans, la question était posée : est-ce que le fil de notre tradition nationale et religieuse ne sera pas rompu ? Aujourd’hui, nous savons qu’il ne sera pas rompu. Nous savons que les combats qui sont menés contre nous ne sont des combats que d’arrière-garde. Le désir de bien, d’exigence, de transcendance, de vérité, de beauté, qui est celui de la jeunesse face à l’effondrement des mirages de la société de consommation fait que l’avenir nous appartient.

Il y a un développement inexorable également, dont nous assure l’analyse une peu sociologique que je viens de faire, mais surtout la confiance en la Providence. Nous défendons la réalité et la vérité, laquelle finit toujours pas sortir du puits. Elle est parfois un peu mouillée, mais elle sort.

Internet nous permet de toucher des gens qui ne mettraient jamais les pieds dans une église. Ce qui nous permet de dire d’Internet ce que disait déjà Esope, à propos de la langue, que c’est la pire et la meilleure des choses. Internet c’est les sites porno, c’est vrai, mais c’est aussi l’intervenante de ce matin qui y découvre la messe romaine traditionnelle.

Alors, en conclusion de la conclusion, je crois que sur ces médias il nous faut partager un ardent amour de la vraie liberté. C’est la vérité qui nous libérera et nous avons vocation à être des hommes libres. Et puis un ardent amour des âmes nous fera, avec la grâce de Dieu, trouver les moyens de les toucher.

Je voudrais placer cette conférence et toute notre journée sous la protection de Saint François de Sales, patron des journalistes, lui qui, d’une manière surnaturelle, a su allier la défense de la vérité avec un véritable amour et une véritable douceur pour les âmes.


DEBAT

Q – Est ce que vous croyez que la difficulté avec la messe traditionnelle a quelque relation avec l’abandon de la notion d’Eglise comme Corps Mystique au profit de l’Eglise comme peuple de Dieu ?

R – Bien sûr, c’est quelque chose de très frappant : aujourd’hui on va dénigrer la célébration de la messe privée, dont nous savons pourtant qu’elle est une messe pour toute l’Eglise, et on va rendre quasiment obligatoire en particulier dans les congrégations religieuses la concélébration. Je crois tout à fait qu'un certain nombre d’erreurs sur la messe proviennent d’erreurs sur la nature de l’Eglise.


Q – Les blogs sont certainement l’un des médias contemporains les plus influents dans le monde traditionnel. Or, certains considèrent que les blogs servent à assumer un rôle d’enseignement qui n’appartient pas aux laïcs.

R – Alors j’ai deux réflexions sur le sujet. La première, c’est que sur un blog il est relativement difficile de pouvoir suivre des études de fond. Un document qui fait 30, 40, 100, 200, 300 pages, n’a pas sa place sur un blog. Et je crois qu’il y a un certain nombre de sujets qui méritent un long développement. Si notre culture n’est qu’une culture de zapping, il y a des sujets que nous n’approfondirons pas car le blog n’est pas fait pour ça. Il est fait pour susciter l’intérêt mais il doit toujours renvoyer vers un livre.

Et la deuxième est que j’observe que dans un pays comme la France, mais je pense que c’est le cas aussi dans d’autres pays, les laïcs ont une beaucoup plus grande liberté d’expression que les prêtres puisque les prêtres diocésains, de communautés ne peuvent pas exprimer tout exprimer, alors que le laïc ne craint rien de l’évêque. Il est bien aussi que des prêtres puissent s’exprimer, peut-être pas en leur nom, mais en collaboration avec les laïcs. Par exemple, je fais un certain nombre de textes sur des questions religieuses, mais je me fais toujours relire par un prêtre. Le prêtre ne signe pas, c’est moi qui signe. C’est aussi un bon mode collaboration sur cette crise entre les laïcs et le clergé.


Q – Vous avez dit que les blogs ou les nouvelles formes de médias ne permettent pas une étude de fond. Est-ce que il n’est pas important aujourd’hui, surtout pour la jeunesse, que l’on tente grâce à ces médias de leur dire qu’ils ont besoin de lire. Je parle de mon expérience en tant qu’enseignante : même les élèves dans des établissements d’élite ne lisent plus guère. N’est pas peut être une bonne œuvre pour ceux qui tiennent ces médias, de dire à cette jeunesse de lire, car même les meilleurs de ces blogs ne permet pas un approfondissent et il y a une baisse considérable de la culture religieuse ?

R – Vous avez tout à fait raison, il faut renvoyer les gens vers les livres. Deux petites anecdotes :

- Je vous ai parlé de Jean Madiran. Madiran, quand il a 16 ou 17 ans, dit dans un de ses livres qu'une ou deux fois par semaine il allait à la bibliothèque de son village. La première fois, il revenant avec six livres. La deuxième fois de la semaine il rendait les six livres et il en reprenait six autres.

- Et puis je fais la guerre à mes enfants pour qu’il ne passe pas trois heures par jour sur les réseaux sociaux. Je me souviens de mon premier cours à la Sorbonne : « Le savoir est un fruit donc la racine est amère ». Il y a là une responsabilité des parents. Les parents doivent lire. D’expérience nous savons que ce n’est pas parce que les parents lisent que les enfants lisent, mais le fait que les parents lisent augmente la probabilité que les enfants le fassent aussi.

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