Notre lettre 894 publiée le 26 octobre 2022

CRISE DE LEGITIMITE
POUR LES EVEQUES DE FRANCE

Après s’être laissés bousculer assez lamentablement par l’offensive du rapport de la Ciase, à genoux sous l’œil des caméras devant la basilique de Lourdes, les évêques de France sont secoués par des affaires de mœurs internes à leur propre corps épiscopal, affaires sordides en elles-mêmes, aggravées par ce qu’il est convenu d’appeler le « traitement médiatique », qui combine l’étalage de tout et dans le détail sur les médias traditionnels et les réseaux sociaux, avec l’accusation d’avoir caché hier et de ne pas tout dire aujourd’hui.

Recrutés dans un personnel « conforme » qui va s’amenuisant, peu armés pour le gouvernement administratif auquel se réduit désormais largement leur rôle, lequel s’applique en outre à une société ecclésiastique en déliquescence, soumis aux obligations d’une société de communication qu’ils ne maîtrisent pas, ils apparaissent comme de plus en plus impuissants. Quant à sortir par le haut, et à réinvestir leur rôle de prédicateurs de la vérité, de prophètes de la conversion et de la pénitence pour les hommes de ce temps, de catéchiseurs, de pasteurs paternels, d’éveilleurs de vocations sacerdotales et religieuses, il semble qu’on ne puisse plus le demander à ces hommes pétris d’esprit du Concile.

Ainsi leur est « tombée dessus » l’affaire Santier, évêque aux tendances contre-nature. Rendue publique, par les efforts conjoints de Golias et de Famille Chrétienne, on voit une tentative malhabile et désastreuse quant aux effets, de garder le secret sur une affaire mise au jour dès 2019, voilà trois ans. Du coup, les fidèles se sentent floués et trahis.

Il faut dire que l’affaire est particulièrement lourde, d’autant que Mgr Santier est passé par trois diocèses (Coutances son diocèse d’origine, Luçon, où il est devenu évêque, et Créteil, où il a été promu). L’affaire qui le fait tomber a été « sortie » par l’archevêque de Paris Mgr Aupetit, métropolitain de Créteil, lui-même mis en cause deux ans plus tard pour une liaison bizarre avec une femme (et surtout lâché, pour ne pas dire trahi par le cardinal Ouellet et par le pape).

Pour remplacer Mgr Santier, a été nommé le vice-président de la CEF, Mgr Blanchet, ex-évêque de Belfort, non dépourvu d’ambition, qui jurait, le cœur sur la main lors de la sortie du rapport de la Ciase, que l’institution n’avait jamais couvert les auteurs d’abus, et qu’aucun évêque n’avait été mis en cause pour abus sexuels.


Les faits

Michel Santier, anciennement prêtre du diocèse de Coutances, puis évêque de Luçon et enfin de Créteil, parti à la retraite en 2021, à 72 ans, trois ans à l’avance, en raison, disait-il à l’époque, des suites du Covid et d’apnées du sommeil, et « autres difficultés », a été sanctionné par Rome pour « voyeurisme sur deux hommes majeurs ».

Né le 20 mai 1947, il a été ordonné prêtre le 7 juillet 1973 à l’église Saint-Nicolas de Granville, il a été formé au grand séminaire de Coutances – depuis fermé et en partie à l’abandon, puis au séminaire interdiocésain de Bayeux. Vicaire et aumônier d’action catholique ouvrière à Coutances (1976-78), il crée une communauté nouvelle, « Réjouis-Toi », en 1977, enseigne l’écriture sainte au grand séminaire de Caen (1978-2001) lui aussi fermé depuis, dirige l’Ecole de la Foi entre 1989 et 2001, et est enfin nommé évêque de Luçon (2001-2007) et de Créteil de 2007 à sa retraite.

Les faits se sont produits à l’origine de sa carrière, lorsque Mgr Santier était prêtre à Coutances dans le diocèse d’Avranches-Coutances et directeur de l’Ecole de la Foi, qui est une année de formation pour les jeunes de 18 à 30 ans désireux d’approfondir leur cheminement spirituel ou tentés par le sacerdoce.

C’est alors qu’il avait poussé deux (au moins, car l’archevêque de Rouen, Mgr Dominique Lebrun, ayant annoncé le 20 octobre que d’autres personnes venaient de « se faire connaître pour des « faits impensables » commis par Michel Santier alors qu’elles étaient jeunes adultes et qu’il était prêtre du diocèse de Coutances) des jeunes qui suivaient cet accompagnement spirituel à se dénuder au cours de confessions devant le Saint-Sacrement, tout en les regardant. Ce qui constitue, précise Famille Chrétienne, une manipulation sacrilège des sacrements. On est dans la catégorie des delicta graviora, dont le jugement est réservé au Saint-Siège, a fortiori s’agissant d’un évêque, dont les peines vont jusqu’à la réduction à l’état laïque.

Avec une affaire dans l’affaire, celle d’autres faits au sein de la communauté Réjouis Toi et de l’école de la Foi. La communauté Réjouis Toi avait été créée par Michel Santier, alors qu’il était jeune prêtre à Coutances, en 1977. Un de ses prêtres, condamné à deux reprises pour des agressions sexuelles, avait été accueilli par Mgr Santier quand il était évêque de Créteil.

« Le père Richard Lucas avait été condamné deux fois dans la Manche pour agressions sexuelles sur mineurs: en 2003 à du sursis, en 2013 à quatre mois de prison ferme assortis d'un aménagement de peine. Entre-temps, après une mise à l'épreuve avec obligation de soins, le prêtre avait été renommé curé en 2007, 2010 et 2011 », rappelait alors l’Express ; son dernier poste était la cure de Barneville-Carteret, jusqu’en 2012 – le diocèse s’est finalement résigné à nommer un nouveau curé en 2015 seulement. A l’époque, l’évêque de Coutances était Mgr Lalanne, qui était aussi responsable en charge de la lutte contre la pédophilie à la CEF, jusqu’en 2016.


Mgr Aupetit dénonce l’affaire

L’une des deux victimes de Mgr Santier est devenue prêtre, dans le diocèse de Tours. Il se confie à son archevêque Mgr Aubertin (2005-2019) qui le désavoue, puis à Mgr Aupetit, archevêque de Paris, qui le croit et saisit Rome.

Rome est avertie en décembre 2019 et opère très vite. En juin 2020, Mgr Santier adresse sa démission au Pape, qui ne l’accepte que six mois plus tard. Dans la foulée, Mgr Blanchet, évêque de Belfort, est nommé pour prendre sa place à Créteil.

Golias sort l’affaire dans son trombinoscope (page 297) : « [Mgr Blanchet] ne réfléchit pas trop longtemps pour succéder au suave Mgr Santier, démissionnaire du diocèse de Créteil pour raisons de santé.  Mais Dominique Blanchet récupère là un dossier bien plus sombre que prévu […] officiellement, Mgr Santier s’en va car il souffre  d’apnée du sommeil et a été affaibli par le Covid 19. Mais il se trouve aussi que l’ancien évêque de Créteil a invité deux jeunes hommes à se dénuder, devant le saint Sacrement, dans les années 1990. L’un d’eux, devenu prêtre dans le diocèse de Tours, se confie à son archevêque qui le désavoue. Mais l’abbé décide d’en parler à Mgr Michel Aupetit qui prend l’affaire très au sérieux. Les faits reprochés s’avèrent authentiques. On invite alors l’évêque de Créteil à quitter ses fonctions avant ses 75 ans […] Voilà Dominique Blanchet nommé après un prédécesseur bien opaque et une affaire jugée en cachette ».

Puis comme on sait, l’archevêque de Paris, Michel Aupetit, fait la Une du Point fin novembre 2021, notamment à cause de révélations en lien avec une liaison amoureuse. Le cardinal Ouellet lui suggère de démissionner, l’assurant que le pape refusera sa démission, comme il l’a fait pour le cardinal Marx, ce qui rétablira sa situation tant dans le diocèse que dans l’épiscopat. Mais le pape au contraire accepte très vite la démission dès le début du mois de décembre, assassinant par ailleurs l’archevêque de Paris par des « confidences » lors d’un voyage en avion. Au passage – fait sans précédent – il est descendu en flammes dans les colonnes de France Info, le service public de l’information, par Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef de La Croix.

La violence de ce lâchage de toute part, épiscopat, Rome, diocèse, s’explique par sa gestion du diocèse de Paris, où il a eu la capacité inégalée à se fâcher avec tout le monde (deux vicaires généraux qui lui ont présenté leur démission).

Il semble que Mgr Ulrich, nouvel archevêque de Paris, préfère régler sans bruit quelques affaires d’homosexualité – non pénalement répréhensibles, à la différence des affaires de pédophilie…


Mgr Blanchet, l’un des vice-présidents de la CEF, fragilisé

En avril 2021, Ouest-France communiquait sur la retraite de Mgr Santier, au sein du Carmel de Saint-Pair sur Mer – une retraite qu’il a été forcé de quitter depuis pour une autre communauté, à Saint-Sauveur sur Vicomte.

Mgr le Boulc’h, évêque de Coutances a sobrement communiqué sur le sujet : « En 2021, Rome a pris des mesures disciplinaires à l’encontre de Mgr Michel Santier pour des faits commis contre deux jeunes adultes dans les années 1990 à l’École de la foi de Coutances et qui ont été révélés en 2019. À la suite de ces mesures disciplinaires, j’ai demandé à Mgr Santier de quitter Saint-Pair-sur-Mer pour rejoindre une communauté de sœurs. Mgr Santier y mène une vie de retrait et de prière, il y assure un ministère restreint.

J’ai conscience que cette nouvelle, parue dans la presse, est la cause d’un grand choc pour beaucoup d’entre nous tant la figure de Mgr Santier est marquante dans notre diocèse. J’exprime ma profonde compassion pour les personnes victimes et pour tous ceux et celles qui sont blessés par ces révélations. J’invite les catholiques du diocèse à porter ces intentions dans leur prière ».

Cependant, Mgr le Boulc’h, au contraire de ses fidèles, n’a pas été pris au dépourvu. « Le diocèse a confirmé ces révélations dans un communiqué publié ce vendredi 14 octobre, dans lequel l'évêque Mgr Laurent Le Boulc'h a exprimé sa "profonde compassion pour les personnes victimes et pour tous ceux et celles qui sont blessés par ces révélations". Des faits que le diocèse connaîtrait depuis un an », indique France Bleu. 

"La sanction romaine est tombée en octobre 2021 et a immédiatement été communiquée au diocèse. Mgr Le Boulc'h a tout de suite pris la décision de mettre à l'écart Mgr Santier et de l'installer dans une communauté de sœurs de Saint-Sauveur-le-Vicomte", explique Bénédicte Palluat de Besset, responsable communication du diocèse. L'ancien prêtre y exerce un "ministère restreint, qui se limite à la communauté. Il n'a pas de ministère public", précise-t-elle. 

Pourquoi le diocèse n'en a-t-il pas publiquement parlé auparavant ? Nous n'aurons pas de réponse. "Le sujet de fond est de se dire que les décisions ont été prises pour que des faits similaires ne se reproduisent pas sur d'autres victimes. Toutes les mesures nécessaires ont été prises pour que Mgr Santier soit mis à l'écart, et c'est bien le cas aujourd'hui. Il n'y a pas d'impunité", assure la communication du diocèse.

L’actuel évêque de Créteil, envoyé dans l’urgence prendre la place de Mgr Santier démissionnaire, Mgr Blanchet, est vice-président de la CEF depuis octobre 2019 – alors qu’il qu’il était évêque de Belfort (90) et a fait partie du triumvirat qui a dû s’occuper du rapport de la Ciase, en octobre 2021.

Mgr Blanchet a communiqué sur le site de son diocèse, sans s’attarder sur la nature des faits : « Des mesures disciplinaires ont été prises pour Michel Santier en octobre 2021. Pour leur mise en œuvre il a dû déménager de son lieu de retraite an de résider désormais au sein d’une communauté religieuse, avec un ministère restreint à la vie de cette communauté ».

Envisageant « la possibilité que Mgr Santier ait pu commettre de tels abus dans le cadre de son épiscopat à Créteil » Mgr Blanchet a appelé « les personnes victimes qui le voudraient de se manifester auprès de la cellule d’écoute diocésaine ».

Mais avant cette volonté de transparence, il y eut tentative manifeste d’occultation : malgré la sanction canonique qui le frappait, Mgr Santier a été admis par son successeur, Mgr Blanchet à venir concélébrer – en connaissance de cause – la messe chrismale à Créteil, le 14 avril 2022, le Jeudi saint.


*** 


Et puis après l’affaire Santier, réapparaît pour l’occasion l’affaire Sankalé, déjà bien connue dans le monde clérical,  mais pas par les fidèles. Un affaire plus naturelle, quoiqu’infiniment triste et scandaleuse : évêque de Nice, ce prélat d’esprit classique, était tombé en « crise » et parti avec une dame pour se reconvertir dans une profession civile.

Sans doute bientôt quelques autres plaies épiscopales pourraient être mises à jour. Jusqu’à la nausée…

Mais les pieds dans la vase, les évêques de France resteront tout de même pleins de zèle à pourchasser ce chancre, ce mal absolu, que constitue… la liturgie traditionnelle.

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