Notre lettre 878 publiée le 9 août 2022

DE QUOI LA "PLEINE COMMUNION"
EST-ELLE LE NOM?

L’œcuménisme de Vatican II est fondé sur l’affirmation que nos frères séparés sont « en communion imparfaite » avec l’Église et avec le Christ (Unitatis redintegratio, n 3). Colossale nouveauté, car on est ou on n’est pas en communion avec le Christ par la foi, de la même manière qu’on est ou qu’on n’est pas en état de grâce par la charité. Par ce subterfuge les séparés deviennent des semi-catholiques, ce qui est très gentil pour eux : à 10%, 20%, 50% ? Mais voilà que ceux qui restent attachés à la liturgie traditionnelle sont également dits n’être pas – ne pas vouloir être – « en pleine communion », ce qui est carrément injurieux. Paul Grondin donne son ressenti sur cette monstruosité.


La communion sacramentelle, signe par excellence de la communion-appartenance à l’Église, tout baptisé ayant atteint l’âge de raison sait de quoi il s’agit : c’est le fait de recevoir, pieusement et licitement, le Corps du Christ venu se substituer à la substance de l’hostie par les pouvoirs du prêtre qui a célébré l’Eucharistie pour la Gloire de Dieu et le salut des fidèles.

Communier est licite si le baptisé catholique se perçoit loyalement comme en état de grâce. Dans le cas contraire, l’Église requiert la confession du fidèle qui, par l’effet de cet autre sacrement, retrouve la grâce sanctifiante, laquelle rend la communion licite, et profitable à l’âme du « réconcilié ».

Concrètement, le fidèle va communier, ou pas. C’est factuel, et même binaire en langage logico-mathématique. On communie, ou on ne communie pas à la Messe à laquelle on assiste. C’est oui ou c’est non. Il n’y a pas de position tierce.

Il est vrai que l’Église conçoit qu’une communion spirituelle peut être concédée lorsque le fidèle renonce à communier pour de bonnes raisons, c’est-à-dire celles que la discipline ecclésiale a fixées.


Refuser le rit bugninien, c’est refuser la « pleine communion »…


La crispation majeure dont l’Église est le théâtre et la victime, notamment depuis le motu proprio papal de l’été 2021 Traditionis custodes, tient au diagnostic formulé par l’épiscopat français quant à la situation ecclésiale française, lequel diagnostic, relayé par la Curie, est devenu un mantra bergoglien.  Ce diagnostic, le voici : le milieu traditionnel qui, dans les diocèses français, avec l’accord des évêques, bénéficient de l’accès à la célébration du Missel de 1962, dénommée par eux Messe de Saint Pie V, abuse de l’hospitalité généreuse qui lui est concédée, en refusant la « pleine communion » qui était attendue de cette concession.

La déception des Ordinaires est si profonde que le moyen le plus radical proposé pour restaurer la « pleine communion » est d’interdire toute célébration du rit qui sème la division, moyen finalement adopté par Rome. Ceux qui croyaient que le motu proprio de Benoit XVI, le 07/07/07, restaurait la Messe de toujours (15 siècles, excusez du peu), avaient tout simplement oublié de lire le texte du pape qui n’était pas encore émérite. Ce n’est pas sans argument que le pape argentin parlait de trahison des tradis quant à la « générosité » du pape allemand. En effet, les libertés recouvrées ne l’étaient qu’ad experimentum pour enterrer la hache de guerre, en vue d’une évaluation différée du caractère prudentiel de la mesure retenue, au regard des objectifs romains.

Résumons ces derniers : qu’enfin tous s’accordent à contempler les richesses du rit Bugnini, dénommé messe de Paul VI après aval de ce dernier. La nouvelle messe, concoctée pour attirer le monde à elle, n’a eu pour effet tangible que celui de vider les paroisses qu’elle devait remplir de chalands issus de toutes les nations. Ce cruel échec aurait dû conduire à une évaluation sérieuse, celle que toute institution soucieuse de survivre s’impose de diligenter, tant pour le bien de ses usagers que pour celui de ses actionnaires. Ce qu’il faut se résoudre à qualifier de négationnisme opiniâtre quant au désastre créé par le concile Vatican II et sa messe protéiforme dès sa conception, poursuit la chimère d’une « pleine communion » avec l’intensité d’une inspiration céleste pour les uns, et la sthénie d’une paranoïa pour les autres. Si tous les fidèles de toutes les confessions chrétiennes avaient adopté en 1970 le rit inventé par Bugnini, l’Église de Jésus Christ aurait fait salle comble, effaçant ainsi glorieusement les ruptures de l’Histoire.  La « pleine communion » ainsi rêvée a été brutalement soustraite au monde réel, celui où l’espace-temps pondère les imaginaires de ses chiffres rigoureux. Bref, le fiasco fut total.


De quoi seuls les mitrés peuvent juger…


Mais le concept hors d’atteinte a gardé sa vertu, qui est d’être irréfutable par le vulgaire. Il faut être mitré pour s’en servir à bon escient. Là où un mitré dit qu’elle est absente, Gros Jean n’a pas à répliquer. La dysmétrie dans l’accès au sacré sépare ici le clerc du laïc bien au-delà des pouvoirs sacramentels. La « pleine communion » n’a pas d’unité de mesure déposée au su de tous dans les locaux du pavillon de Breteuil à Sèvres. La seule intuition ne saurait en jaillir que sous une mitre. Non-mitrés, veuillez-vous abstenir.  Mais quitte à changer d’échelle, en ramenant le monde hors de portée à la dimension d’un diocèse, ne pourrait-on concevoir qu’au niveau d’un presbyterium ayant adopté la nouvelle messe, la « pleine communion » fût, toutes choses égales par ailleurs, de droit. Là où le rit nouveau est généralisé, quel mitré serait-il fondé à douter que « Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté », dans cette invitation au voyage mystique ?

Las, aucun diocèse français ne revendique cette béatitude, car chacun d’entre eux a son « village » d’irréductibles. Le sectarisme de ces derniers est établi par leur langage, celui par lequel ils se reconnaissent entre eux. De la nouvelle messe, ils contestent l’unité, et dénonce la multiplicité délibérée : chacun a droit à celle qu’il agrée, et à celle-là seule. Cette infinie diversité potentielle a été pondérée, il est vrai, par les défections en masse des fidèles, les défrocages innombrables, l’indifférence des masses vis-à-vis d’une église reniant son passé, et se sabordant elle-même. Soit, mais sachons raison garder. Comment un presbyterium en « pleine communion » autour de son rit 2.0 pourrait-il ne pas jouir des retombées bienfaisantes de sa béatitude, sous la forme d’une Pentecôte d’amour qui attirerait tout un chacun aussi surement que le Christ élevé de terre ?  Comment un parvulus grex, aussi modeste soit-il dans le diocèse, mais uni autour de l’unique lex orandi bergoglienne, pourrait-il être privé de la « pleine communion » qu’il suffirait à son Ordinaire de décréter pour que la joie du diocèse soit parfaite, et son attractivité assurée ?

Bon, ouvrons les yeux ! Les diocèses sont des paniers de crabes, les bons prêtres sont ciblés par une oligarchie de gérontes ayant largué l’habitus (et l’habit) sacerdotal de longue date.  Exciper de la persistance des irréductibles du rit historique pour s’exonérer de son propre fiasco, et maudire la transhumance des jeunes foyers vers une liturgie périmée, voilà bien la lamentation d’un clergé paranoïaque. Il a tout perdu, sauf la raison, comme disait Chesterton. La communion n’est pas chez eux, mais en face, là où la lex orandi et la lex credendi sont enracinées dans une liturgie polie par l’Histoire des Dons Divins à Son Église. Cette communion est-elle pleine ? A-t-elle besoin d’être pleine pour exister ? Un mitré peut-il indéfiniment accuser des baptisés, catholiques et soucieux de le rester, de nuire à la pleine communion dont il se réserve d’être le seul juge ?


Du clair (Pie XII) au flou (Lumen Gentium), le progrès dogmatique…


Dans le numéro 172 de Renaissance catholique (mai/juillet 2022), l’ami Maugendre nous met sur la voie, en rapprochant deux textes du Magistère, dont la différence mérite un développement attentif. Voyons cela.

- Citation du Pape Pie XII (Mystici Corporis, 29/06/1943) : Seuls sont réellement à compter comme membres de l’Église ceux qui ont reçu le baptême de régénération et professent la vraie foi qui d’autre part ne se sont pas, pour leur malheur, séparés de l’ensemble du Corps, ou n’en ont pas été retranchés pour des fautes très graves par l’autorité légitime.

En clair, pour les non-juristes : Tous les disciples non exclus sont membres de l’Église

- Extrait de la constitution dogmatique Lumen Gentium (Vatican II) (21/11/1964) : « Ceux-là sont pleinement incorporés à cette société qu’est l’Église qui, ayant l’esprit du Christ, acceptent intégralement sa structure et tous les moyens de salut qui ont été institués en elle, et, en son organisme visible, sont unis avec le Christ qui la dirige par le Souverain Pontife et les évêques unis par les liens de la profession de foi, des sacrements, du gouvernement ecclésiastique et de la communion » (LG 14).

Que dit ce texte conciliaire, au langage d’initié : seuls sont incorporés à l’Église ceux qui le sont pleinement, intégralement, unis au Christ lui-même, selon le jugement du haut-clergé !  Une lecture trop rapide donne l’illusion d’un même énoncé rédigé sous deux formes équivalentes. Il n’en est rien.

Pie XII s’exprime de façon normative : tous les baptisés croyants non exclus sont membres de l’Église. Analogiquement : tous les français non déchus de la nationalité française relèvent du Code Civil tel qu’il dispose des droits attachés à la citoyenneté française. Varions sur le thème, et tant pis pour Knock : Toute personne non malade est réputée bien portante jusqu’à preuve du contraire. Tout majeur est réputé jouir de son libre-arbitre, jusqu’à preuve du contraire (expertise), etc… L’Église, en somme, est inclusive de tous les baptisés ayant gardé la foi, sauf sanction pour faute très grave par le tribunal compétent ayant statué es qualité. Le catholique « normal » est dans l’Église.

Lumen Gentium s’exprime de façon axiologique : seuls les saints sont dans l’Église. L’incorporation est un bâton de Maréchal. Et qui le décerne, s’il vous plait ? Les plus saints de tous, à savoir les hiérarques. Et selon quels critères ? Etre « pleinement », « intégralement » unis…à nous, c’est-à-dire au Christ ! Ben voyons ! Seul le saint est dans l’Église. Qui est saint ? Celui que nous disons tel, et décernons l’auréole de la « pleine communion ». CQFD ! On peut illustrer le propos par la figure asymptotique, pour les matheux : la courbe n’atteindra le graphe qu’à l’infini. La « pleine communion » n’est discernable que par nous les mitrés, qui sommes saints parmi les saints. Tout bien pesé, seul le saint a droit à la parole, et le saint, naturellement séparé de la plèbe, a toujours le dernier mot. La psychanalyse aussi raisonne de façon axiologique : seul est « pleinement » normal celui qui vit un équilibre parfait, une gestion optimale des relations avec autrui, une autonomie totale, un bien être sans nuage. Ce sujet-là existe-t-il ? Quant au catholique « normal », il sera dans l’Église quand les saints qui la dirigent (avec l’aval du Christ) l’auront décidé. Fermez le ban.


***


Les citations suggérées par Jean Pierre Maugendre et la mise en perspective que nous proposons mesure à quel point l’Église fondée il y a deux mille ans est occupée par les tenants d’une autre religion, celle qui prétend permettre la « pleine communion » dès ici-bas par la seule rupture avec la prière d’hier, par l’abolition du rit qui sanctifie tout ce qu’il ordonne au Christ Sauveur. En tentant, par tous les coups de menton disponibles, de nous détacher de ce qui nous fait vivre, ils ciblent avec justesse le rit et la foi à abattre. Rendez-vous compte du deal ! En échange de notre ralliement, nous deviendront tous des saints. A ceux qui seraient tentés, regardez leurs têtes de saints auto-proclamés. Ne regardez pas les suicides de prêtres, ça ne compte pas. Les absents de la « pleine communion » auront fait leur propre malheur ! Chers mitrés, ne nous gavez pas avec la plénitude de votre sacerdoce, avec votre sainteté immanente ! Votre stérilité est votre drame, soit, mais votre mythomanie est démasquée. De quoi la « pleine communion » est-elle le nom ? Celui de votre hybris, celui du piège dont vous n’êtes pas près de sortir, et dans lequel nous ne tomberons pas, Dieu merci !

A la une

S'abonner à notre lettre hebdomadaire

Si vous désirez recevoir régulièrement et gratuitement la lettre de Paix Liturgique, inscrivez-vous.
S'ABONNER

Paix Liturgique
dans le monde

Parce que la réconciliation liturgique est un enjeu pour toute l'Église universelle, nous publions tous les mois des lettres dans les principales langues du monde catholique. Découvrez et faites connaître nos éditions étrangères.

Télécharger notre application

Soutenir Paix Liturgique