Notre lettre 851 publiée le 28 février 2022

TRADITIONIS CUSTODES
UNE GUERRE PERDUE D'AVANCE
POUR CEUX QUI L'ONT DECLENCHEE
UNE ANALYSE DE L'HISTORIEN HENRY SIRE

Il nous a paru intéressant de donner la traduction, avec leur aimable autorisation, d’un entretien très percutant donné par Henry Sire à Gloria TV le 6 décembre 2021 

Henry J. A. Sire est un historien anglais, qui fut un temps chevalier de l’Ordre souverain militaire de Malte. Il y était entré en 2001 et on lui a demandé d’en écrire l’histoire, qui a été publiée en 2016 : The Knights of Malta: A Modern Resurrection, « Les Chevaliers de Malte : Une résurrection moderne », éditions Profile Books.

En 2015, il a publié un ouvrage très critique sur Vatican II, Phoenix from the Ashes: The Making, Unmaking, and Restoration of Catholic Tradition, «  Le phénix renaît toujours de ses cendres. La fabrication, la destruction et la restauration de la tradition catholique » (Angelico Press). Il concluait : « Il faut le dire clairement : le Concile Vatican II a été une trahison de la foi de l’Église. Ses conséquences ne pourront être corrigées que lorsque cette trahison aura été reconnue et inversée. »

En 2017, d’abord sous le pseudonyme de Marcantonio Colonna, ensuite en révélant son identité, il a publié un livre qui a fait grand bruit dans le monde ecclésiastique, intitulé The Dictator Pope, « Le pape dictateur », qui est une critique très documentée de l’action de Jorge Bergoglio en Argentine et du pontificat du pape François. Il y parlait abondamment de la manière dont était traité l’Ordre de Malte, alors dirigé par Fra’ Matthew Festing, et qui avait pour Patron le cardinal Burke : l’attaque de la Curie bergoglienne visait en fait à faire de cet Ordre souverain extrêmement riche, une sorte d’ONG, pas très regardante au reste sur les questions morales (des agences dépendant de l’association allemande distribuaient des préservatifs, spécialement en Asie et en Afrique, sous la responsabilité du Grand Hospitalier, le baron Albrecht von Boeselager). Cela lui a valu son expulsion de l’Ordre en 2018. Dans l’entretien qui suit, il revient largement sur cette affaire, qui connaît actuellement de nouveaux rebondissements, avec une ultime épreuve de force entre l’Ordre et le pape.

Le titre donné par Gloria TV à l’entretien – « Y a-t-il de bons candidats pour le prochain conclave ? » – est un peu accrocheur, ne concernant en fait que la conclusion de l’entretien sur le thème assez pessimiste : « Je ne connais aucun cardinal qui ait la capacité de restaurer l’Église et de la conduire sur la voie d’une véritable réforme ».

Pour notre part, compte tenu de nos centres d’intérêt, nous avons préféré souligner une autre partie de l’entretien d’Henry Sire, qui porte sur Traditionis custodes. L’historien estime qu’il s’agit, avec cette déclaration de guerre, de « l’ultime tentative de la génération Vatican II pour bloquer le rétablissement de la tradition qu’on voit aujourd’hui chez les jeunes catholiques. » Et il souligne la prise de distance vis-à-vis de cette tentative du pape de nombreux évêques qui « préféreront ne pas tenir compte de ses directives, alors même qu’ils n’ont aucune sympathie particulière envers l’ancienne liturgie. »



« Y a-t-il de bons candidats pour le prochain conclave ? »


Gloria TV - L’ancien Grand Maître de l’Ordre Souverain de Malte, Fra’ Matthew Festing, est décédé le 12 novembre 2021. Quel souvenir gardez-vous de lui ?

Henry Sire : Fra’ Matthew et moi étions exactement contemporains ; c’était en fait un parent éloigné, mais je n’ai fait sa connaissance qu’en 1999, alors qu’il était Grand Prieur d’Angleterre. Il était d’une grande bonhomie : tout le monde l’appréciait, et naturellement, c’était un catholique traditionnel fidèle.


Gloria TV - Pour quelle raison Fra’ Matthew avait-il été élu Grand Maître ?

Henry Sire : Son élection comme Grand Maître en 2008 s’est faite à une large majorité, tant on lui reconnaissait des qualités prééminentes par rapport à celles de tous les autres candidats. Son travail au service des œuvres de charité de l’Ordre depuis de nombreuses années avait été exemplaire, comme en témoignent notamment ses missions en Bosnie pendant la guerre, au cours desquelles il avait apporté de l’aide aux personnes qui souffraient, au prix de dangers physiques considérables et parfois sous le feu direct de l’armée serbe.


Gloria TV - Quels étaient les objectifs de Fra’ Matthew en tant que Grand Maître ?

Henry Sire : Il avait pour premier objectif de renforcer le caractère religieux de l’Ordre, en résistant à la dynamique de sécularisation mise en œuvre tout spécialement par les Allemands, qui étaient et qui sont toujours opposés à l’idée que les chevaliers profès constituent la classe dirigeante de l’Ordre.


Gloria TV - Comment Fra’ Matthew a-t-il su faire face aux intrigues et aux luttes intestines typiques de l’Église conciliaire ?

Henry Sire : Fra’ Matthew était peu préparé, tant par l’expérience que par le tempérament, à prendre à bras le corps les intrigues politiques propres à une organisation comme l’Ordre de Malte. Il était encore moins à même d’affronter les manœuvres du Vatican, d’autant plus sous un pape retors et avide de pouvoir comme l’est François. Vous devez garder à l’esprit que le renvoi de Fra’ Matthew par François visait principalement à frapper le cardinal Burke et à le priver de sa base de pouvoir, et que Fra’ Matthew s’est en pratique retrouvé pris entre les deux.


Gloria TV - Fra’ Matthew, qui était un vrai gentleman, a-t-il souffert du traitement déshonorant que François lui a réservé ?

Henry Sire : Bien sûr, Fra’ Matthew en a souffert, mais il considérait qu’il fallait chercher le fer de lance de l’attaque du côté du baron Boeselager et des chevaliers allemands plutôt que chez le pape.


Gloria TV - A juste titre ?

Henry Sire : Pas vraiment, mais il faut savoir que Fra’ Matthew était un catholique bon et fidèle, et qu’il évitait de considérer le pape comme son ennemi, même s’il était conscient des aspects discutables de son caractère.


Gloria TV - Comment les autres membres de l’Ordre ont-ils réagi à l’injustice dont Fra’ Matthew était victime ?

Henry Sire : Les réactions au sein de l’Ordre ont été extrêmement diverses. Ses ennemis se sont bien sûr réjouis de sa chute. Pour les traditionalistes de l’Ordre, cette chute, comme celle du cardinal Burke, fut un désastre.


Gloria TV - Les « catholiques » de l’Ordre ont-ils pris de quelconques mesures ?

Henry Sire : Ceux qui souhaitent préserver le caractère traditionnel de l’Ordre ont mené, ces quatre dernières années, une lutte acharnée contre le projet allemand. Mais ces derniers mois, il semble qu’on ait fait le travail à leur place, et que les Allemands se soient vaincus eux-mêmes à cause de leur propre soif de domination.


Gloria TV - Pour quelle raison François a-t-il destitué le cardinal Burke de sa fonction de cardinal patron de l’Ordre de Malte ?

Henry Sire : La charge de « Patronus » est en général attribuée à un vieux cardinal parvenu à l’heure de la retraite ; la nomination du Cardinal Burke en 2014 était donc le signe que le Pape François avait l’intention de le mettre sur la touche. Mais le cardinal Burke a rapidement commencé à se servir de ce poste pour acquérir une grande influence, ce qui a été favorisé par le fait que l’Ordre comprend des membres du monde entier. Vous devez également avoir présent à l’esprit qu’en décembre 2016, le cardinal Burke venait de présenter les Dubia, à la grande fureur du pape François et de ses partisans ; sa première réaction fut de donner ordre à la Congrégation pour la Doctrine de la foi de ne pas y répondre. Mais en réalité, l’éviction du cardinal Burke en tant que cardinal patron a été la réponse de François aux Dubia, au moyen d’un geste politique et retors tout à fait caractéristique.


Gloria TV - Qui est aujourd’hui aux commandes de l’Ordre ?

Henry Sire : La réponse ne fait aucun doute : le dictateur de l’Ordre est le cardinal Tomasi, le Délégué spécial du Pape, qui dirigera le prochain Chapitre Général en mars selon son bon vouloir. Il y a quelques mois, j’aurais répondu que l’homme aux commandes était le baron Boeselager, mais il s’est attiré l’inimitié du cardinal Tomasi et se trouve désormais totalement mis sur la touche. Il ne peut s’en prendre qu’à lui-même pour avoir mis l’Ordre sous la coupe du Vatican en orchestrant la déposition de Fra’ Matthew.


Gloria TV - Et Fra’ Marco Luzzago ?

Henry Sire : Le lieutenant Fra’ Marco Luzzago est une simple marionnette, tout comme l’était son prédécesseur Fra’ Giacomo dalla Torre ; tous deux ont été placés à leur poste par Boeselager précisément pour être ses marionnettes.


Gloria TV - Comment le baron Boeselager s’est-il attiré l’inimitié du cardinal Tomasi ?

Henry Sire : Le baron Boeselager est un homme persuadé d’avoir toujours raison et il impose sa ligne de conduite à tous. Il semble tout bonnement que le cardinal Tomasi a constaté que Boeselager a acquis trop de pouvoir et qu’il conviendrait de le faire partir en douceur. En outre, Becciu et Tomasi se sont tous deux disputés avec Boeselager au sujet de son projet de réduire à rien le statut des chevaliers profès dans l’Ordre de Malte. C’est en partie (je l’espère) pour des raisons religieuses, mais aussi parce que seul le fait que les chevaliers prononcent des vœux religieux confère au Saint-Siège son autorité sur leurs personnes en tant qu’ordre religieux.


Gloria TV - Le blog MarcoTosatti.com a qualifié le cardinal Tomasi de manipulateur et de magouilleur. Le connaissez-vous ?

Henry Sire : Je n’ai jamais rencontré le cardinal Tomasi. Lorsque j’étais à Rome, il était l’observateur permanent auprès de l’Office des Nations unies et des institutions spécialisées à Genève, et son nom n’a jamais été évoqué avant que l’intrigue du fonds Jehan du Tour (qui était la véritable raison de la réintégration du baron Boeselager) ne soit mise au jour à la fin de 2016. Sur le plan personnel, la nomination du cardinal Tomasi est tout aussi fâcheuse que pratiquement toutes celles décidées par François, mais pour ce qui est de l’Ordre de Malte, il semble avoir l’intention d’en préserver le caractère religieux.


Gloria TV - Quel est la situation actuelle de l’Ordre de Malte ? Conserve-t-il encore sa « souveraineté » ?

Henry Sire : L’Ordre a entièrement perdu sa souveraineté. Comme je l’ai indiqué précédemment, il est désormais dirigé par le cardinal Tomasi, qui obéit aux ordres du pape François. C’est la conséquence du coup d’État que le baron Boeselager a mené à bien en 2017.


Gloria TV - L’ordre a-t-il encore une branche « catholique » ? Que sont devenus les membres profès ?

Henry Sire : Dans la pratique, le sort de l’Ordre n’a pas été aussi désastreux qu’on pouvait le craindre en 2017. Nous supposions alors que le parti allemand réussirait à réaliser ses projets de sécularisation, en marginalisant l’élément religieux de l’Ordre.


Gloria TV - Et en fait ?

Henry Sire : Tant le cardinal Becciu que le cardinal Tomasi, en tant que délégués spéciaux du pape, se sont disputés avec Boeselager sur cette question. Tomasi a en fait l’intention de renforcer la position des chevaliers profès et, par la même occasion, de déloger Boeselager de sa position dominante.


Gloria TV - Qu’est-ce qui vous fait croire que François et Boeselager ne recommenceront pas à éliminer quiconque leur fait obstacle, y compris le cardinal Tomasi ?

Henry Sire : Boeselager n’était pas l’homme que François avait l’intention de soutenir au départ en 2017. Il a été réintégré par la volonté du cardinal Parolin. Pourtant, Parolin aussi semble avoir depuis lors pris ses distances avec Boeselager. N’oubliez pas que cette intervention au sein de l’Ordre de Malte a valu au Saint-Siège et à Parolin de nombreuses critiques, et qu’il y a une limite à ce que Parolin est prêt à faire en faveur de Boeselager.


Gloria TV - Vous avez été vous-même exclu de l’Ordre de Malte. Pourquoi ?

Henry Sire : J’ai été exclu à cause de mon livre qui démasquait le pape François. La position de Boeselager en tant que chef de l’Ordre dépendait de son statut d’agent de contrôle au service du Vatican, et il ne pouvait pas accepter qu’un individu aussi critique en restât membre. On avait initialement pensé m’expulser par voie judiciaire, mais cela s’est avéré plus long que prévu et le Vatican a donné la consigne de couper court. J’ai donc été expulsé, prétendument en vertu d’un décret approuvé « à l’unanimité » par le Souverain Conseil (ce qui aurait été illégal même si cela avait été vrai). En réalité, je sais que le décret n’a jamais été soumis au vote du Conseil, mais qu’il lui a simplement été présenté comme un fait accompli. J’avais des amis au Souverain Conseil, et je leur avais dit à l’avance que je ne leur demandais pas de prendre ma défense, mais en fait ils n’en ont même pas eu l’occasion.


Gloria TV - Autant pour la parrhesia de François ! Êtes-vous coupable de lèse-majesté ?

Henry Sire : Certainement, tout comme tant d’autres victimes bien plus distinguées de la dictature de François.


Gloria TV - Comment Fra’ Matthew a-t-il réagi lorsque vous avez eu des ennuis liés à la publication de votre livre très documenté, Le Pape Dictateur ?

Henry Sire : Je n’ai pas vraiment eu de réaction de sa part à propos de mon livre – n’oubliez pas que j’étais à Barcelone, et lui dans le Northumberland. Cependant, j’ai écrit mon livre sous ma responsabilité et je ne m’attendais pas à ce que quiconque prenne le risque de subir des représailles en m’apportant son soutien.


Gloria TV - Êtes-vous toujours en lien avec l’Ordre ?

Henry Sire : Je conserve de nombreuses amitiés datant d’avant mon expulsion. Il y a certes des personnes occupant des postes officiels avec lesquelles j’ai dû rompre le contact, mais j’espère rétablir de bonnes relations avec elles une fois que le régime actuel aura pris fin.


Gloria TV - Où en est votre appel ?

Henry Sire : Je n’ai pas donné suite à mon recours. Celui-ci a rapidement rencontré des difficultés (trouver des avocats suffisamment qualifiés, etc.) et, de toute façon, je ne l’envisageais qu’en tant que riposte immédiate dans la perspective d’un départ prochain du pape François et d’un changement de régime. Je ne suis vraiment pas intéressé par le fait d’être membre de l’Ordre dans sa situation actuelle. J’espère pouvoir être réintégré lorsque l’Église et l’Ordre de Malte seront sortis de la captivité babylonienne qui est aujourd’hui la leur.


Gloria TV - Le Pape dictateur est sorti dans sa version anglaise en 2017, provoquant une onde de choc. Quel est l’apport spécifique de ce livre ?

Henry Sire : Pour l’essentiel, Le Pape dictateur ne représentait guère plus qu’une synthèse du travail que de nombreux journalistes avaient déjà effectué pour analyser les abus et les bévues du règne du pape François. Ma principale contribution a été de pouvoir utiliser les points de vue d’Argentins qui savaient exactement comment était Bergoglio, des points de vue qui, en raison de la barrière de la langue, n’avaient pas été diffusés dans le monde anglophone.


Gloria TV -  Avec le recul, qu’auriez-vous écrit différemment ?

Henry Sire : En fait, des recherches plus approfondies m’ont montré que j’avais sous-estimé le marécage de corruption dont Bergoglio faisait partie au cours de sa carrière argentine. Je pense par exemple à son rôle de protecteur de clercs auteurs d’abus sexuels. Je regrette vivement de n’avoir pas disposé alors d’éléments plus complets afin de présenter une image fidèle de l’homme que les cardinaux ont élu pape en 2013.


Gloria TV - Par exemple ?

Henry Sire : Lorsque j’ai écrit mon livre, je n’étais pas pleinement au courant de la culture de corruption morale et financière dans laquelle baignait l’archidiocèse de Buenos Aires ; Bergoglio n’en était pas lui-même responsable, mais il n’a rien fait pour la réformer, et il l’a soutenue par sa politique de dissimulation. Il y a aussi des aspects du début de la carrière de Bergoglio que seul un chercheur argentin pourrait explorer pleinement, en particulier la question controversée de son comportement pendant la dictature militaire.


Gloria TV - Vous écrivez dans Le Pape dictateur que Bergoglio doit son élection à une relatio qu’il a présentée au Synode des évêques en 2001, et que ce discours avait été rédigé par un monsignore de curie, Daniel Estivill. Est-ce une coïncidence qu’Estivill soit lui aussi argentin ?

Henry Sire : Pour autant que je sache, c’était une coïncidence, et je ne n’ai pas connaissance d’un quelconque lien existant entre Bergoglio et Mgr Estivill. Ce dernier a été chargé de rédiger le discours simplement en tant que secrétaire du synode des évêques. Il a supposé que Bergoglio le prendrait seulement comme une ligne directrice et a été surpris de voir que celui-ci n’avait apporté aucune modification, prononçant le discours exactement tel qu’il avait été rédigé.


Gloria TV - Votre livre contient un chapitre sur la mafia de Saint-Gall. Cependant, même si ce groupe n’avait pas existé, n’était-ce pas simplement une question de temps avant qu’un « François » ne soit élu pape, étant donné qu’au cours des décennies qui ont précédé l’élection de François, la plupart des évêques et des cardinaux ont été sélectionnés dans le groupe des conformistes-libéraux ?

Henry Sire : Il est vrai, assurément, que ni Jean-Paul II ni Benoît XVI n’ont fait grand-chose pour écarter les modernistes du Collège des cardinaux. Étant donné le mauvais niveau de la hiérarchie moderne, le risque de voir élire un mauvais pape était réel.


Gloria TV - Et donc ?

Henry Sire : Rappelons tout de même qu’en 2013, l’Église semblait aller dans le sens d’un recouvrement de l’orthodoxie et de la tradition. Il est faux de dire qu’une personne comme Bergoglio aurait été élue sans le concours de la mafia de Saint-Gall. En fait, lorsque Benoît XVI a abdiqué, il attendait de son secrétaire d’État, le cardinal Bertone, que celui-ci organise l’élection du cardinal Scola comme pape ; mais Bertone était personnellement opposé à Scola et a complètement trahi la volonté de Benoît XVI. De ce fait, le Conclave a été plongé dans le trouble et la porte a été ouverte aux intrigues de Saint-Gall.


Gloria TV - Scola ne cesse de prendre la défense de François et d’attaquer ceux qui critiquent ce pontificat. C’est Benoît XVI qui a créé des cardinaux tels O’Malley, Sandri, Scherer, Koch, Ravasi, Wuerl, Marx, Coccopalmerio, Bráz de Aviz, Versaldi – tous en position dominante. Comment la « réforme bénédictine » pouvait-elle se concrétiser avec de tels personnages ?

Henry Sire : Benoît XVI a appliqué une politique de nominations qu’il aurait lui-même qualifiée d’impartiale ; il en résulte qu’un grand nombre des pires représentants de l’Église moderne sont arrivés au sommet. Mais en particulier, son choix du cardinal Scola comme successeur a illustré son piètre jugement des hommes. Scola semblait être un conservateur solide, mais en fait il était carriériste, comme son comportement ultérieur l’a bien démontré, et Bertone et les cardinaux italiens l’ont rejeté précisément pour cette raison.


Gloria TV - L’existence de la mafia de Saint-Gall n’était pas un secret. De toute évidence, Benoît XVI ne s’est pas alarmé au sujet de ce groupe, et il n’a pris aucune contre-mesure.

Henry Sire : Rappelez-vous que le groupe de Saint-Gall a échoué au Conclave de 2005, lorsque Benoît XVI a été lui-même élu. Qui aurait pu prévoir que ce groupe ressusciterait subitement en 2013 ?


Gloria TV - Les milieux ecclésiastiques ne sont pas connus pour savoir garder les secrets. Croyez-vous vraiment que Benoît XVI, que tout le monde considère comme très intelligent, n’ait pas eu la moindre idée du danger ?

Henry Sire : Le pape Benoît est certainement très intelligent, mais il est avant tout un érudit, et il s’est montré défaillant en matière de calcul politique et de jugement des hommes. Mais le fait déterminant est que Benoît XVI avait en réalité un plan pour le Conclave de 2013 : il s’agissait de l’élection du cardinal Scola ; Benoît XVI a manifestement considéré comme acquise la réussite de son projet. Le fait que celui-ci n’ait même pas eu un début de commencement a balayé tous les calculs ; mais même un observateur beaucoup plus astucieux aurait bien pu ne pas prévoir que la mafia de Saint-Gall, qui avait cessé de se réunir depuis 2005, serait soudainement ressuscitée, et avec exactement le même candidat.


Gloria TV - Et pour ce qui est du moment choisi par Benoît XVI pour abdiquer ?

Henry Sire : Là où Benoît XVI a commis une erreur, c’est dans le choix du moment de son abdication. S’il avait retardé celle-ci ne serait-ce que de six ou douze mois, plusieurs des acteurs clefs, parmi lesquels Bergoglio lui-même, auraient déjà été mis à la retraite. Comme pour l’affaire Bertone-Scola, Benoît XVI a fait montre d’une piètre capacité pour le calcul politique, et il en a résulté une tragédie grecque : l’élection du pire pape possible, au moment même où l’Eglise semblait sur la voie du redressement. C’était le pire aboutissement possible des dommages causés par le Concile Vatican II.


Gloria TV - Vous avez fait des études chez les Jésuites. Cela vous aide-t-il à comprendre François ?

Henry Sire : Seulement dans le sens où j’ai été témoin de l’effondrement et de la corruption de la Compagnie depuis le Concile Vatican II, et Bergoglio en est un exemple parfait. Le fait que je sois à moitié espagnol et que je comprenne donc une culture hispanique comme celle de l’Argentine m’a davantage aidé.


Gloria TV - Une culture hispanique ?

Henry Sire : Bergoglio est un produit typique de la société argentine, qui est une caricature de la société espagnole à laquelle on a ajouté des éléments particuliers comme le péronisme. Essentiellement, ceux qui essaient de comprendre Bergoglio à partir des normes anglo-saxonnes ou germaniques de correction et de bonne conduite ont du mal à saisir la culture de l’égoïsme sans principes qui, pour un Argentin, fait simplement partie du climat.


Gloria TV - Chez les Jésuites d’Argentine, Bergoglio était considéré comme un « conservateur ». Il doit sa carrière aux « conservateurs ». Il n’avait aucun soutien de son ordre. Que s’est-il passé ?

Henry Sire : Vous abordez le grand mystère de la carrière de Bergoglio, son passage du statut de bras droit du cardinal « réactionnaire » Quarracino à Buenos Aires à celui de favori du groupe de Saint-Gall. La seule explication que je puisse trouver est que, pendant les années de déclin du pape Jean-Paul II, on s’attendait à ce qu’un pape plus libéral lui succède, et Bergoglio voulait être du côté des gagnants. Je ne pense pas qu’il s’attendait sérieusement à être lui-même candidat au souverain pontificat avant 2005. Mais le problème essentiel est que Bergoglio, en bon péroniste, n’a pas de principes véritables.


Gloria TV - Comment décririez-vous François en termes psychologiques ? Il a suivi une thérapie avec l’émigrée juive autrichienne Maria Langer, qui tenait davantage de l’idéologue marxiste que d’une psychologue. Maria Langer avait à peu près le même âge que la mère de Bergoglio. François parle de sa famille, surtout de sa grand-mère, mais jamais de sa mère. Pourquoi ?

Henry Sire : Vous avez raison de souligner que Bergoglio vient d’un milieu familial difficile et qu’il a toujours évité de parler de ses parents. Son passé de videur de boîte de nuit (avant de rejoindre les Jésuites) n’est pas exactement ce à quoi nous sommes habitués chez les Vicaires du Christ modernes. Mais je n’en sais pas assez sur ses débuts pour pouvoir répondre à votre question.


Gloria TV - Vous avez récemment indiqué sur Twitter qu’une comparaison entre François et Staline pourrait être judicieuse. En quel sens ?

Henry Sire : Je répondais à un commentaire sur Twitter, et l’essentiel de ma réponse était de dire qu’il est plus pertinent de comparer Bergoglio à Perón.


Gloria TV - Péroniste ou simplement opportuniste ? Au cours de l’histoire récente, combien de prêtres ont-ils été nommés évêques en raison de leur fidélité indéfectible à la Foi ? L’opportunisme n’est-il pas la qualité première de ceux qui veulent gravir les échelons au sein de l’Eglise ?

Henry Sire : Il y a quelques exceptions : les cardinaux Sarah et Burke, par exemple. Mais ce qui fait la particularité de Bergoglio, c’est que l’opportunisme est un élément constitutif d’une culture politique complexe au sein de laquelle il a grandi, et que cet opportunisme a servi de socle à une carrière faite de ruse et de manipulation, domaine où la plupart des évêques ne lui arrivent pas à la cheville.


Gloria TV - François est un Italo-Argentin qui dirige le Vatican à la manière d’un Italo-Argentin, avec de nombreux larbins et béni-oui-oui qui gravitent autour de lui. L’Eglise devrait-elle devenir plus anglo-saxonne ?

Henry Sire : Je ne suis pas très anglo-saxon moi-même et je ne voudrais pas aborder cette question en termes nationaux. Cela est certainement catastrophique pour l’Eglise que d’avoir pour pape le représentant d’une culture politique aussi déficiente que celle de l’Argentine. Le premier pas vers la réforme consistera à échapper à cet héritage.


Gloria TV - Quelle est donc cette culture politique ?

Henry Sire : Celle des méthodes dictatoriales, évidemment. Parmi les autres éléments de cette culture figure un populisme tapageur par lequel un responsable politique peut prétendre soutenir le peuple alors qu’en réalité il ne fait rien pour lui, et une opposition héréditaire aux Yankees qui a été le motif de la désastreuse capitulation de François devant le gouvernement communiste chinois.


Gloria TV - François aime à se cacher derrière des contradictions, par exemple lorsqu’il qualifie l’avortement de « crime de tueur à gages », tout en affirmant par ailleurs qu’il considère l’avorteuse Emma Bonino comme faisant partie des « grands Italiens ». Quelle est la « tactique » derrière tout cela ?

Henry Sire : C’est encore une fois du péronisme typique, qui lance des signaux contradictoires aux parties opposées. Un Argentin le comprendrait parfaitement, mais pour le reste du monde, cela paraît incompréhensible.


Gloria TV - Perón mis à part, François ne connaît-il pas le « que ton oui soit oui, que ton non soit non » de saint Paul ?

Henry Sire : Tout au long de sa vie, le oui de Bergoglio a été non, et son non a été oui.


Gloria TV - Lors de l’Angélus du 7 novembre, François a qualifié « l’hypocrisie » de « dangereuse maladie de l’âme », et il a parlé contre la « duplicité », le fait d’« apparaître d’une manière et “hypo”, en-dessous, avoir une autre pensée », et de « profiter de son rôle pour écraser les autres ». Ne dirait-on pas qu’il se décrivait lui-même ?

Henry Sire : Comme beaucoup, François a un vrai talent pour condamner les vices qui lui sont propres. Il semble s’agir d’un type très particulier de connaissance de soi, où le sujet reconnaît instinctivement le vice mais n’est pas capable de reconnaître celui qui s’en rend coupable. Cela nous aide à comprendre comment le père Kolvenbach, le général des Jésuites, en se fondant sur les rapports de ceux qui connaissaient Bergoglio, l’a accusé en 1991 de duplicité et de manque d’équilibre psychologique.


Gloria TV - En tant qu’historien, avez-vous une idée de ce qu’est devenue la lettre que le Père Kolvenbach a écrite au sujet de Bergoglio ? A-t-elle disparu ? Quel était son contenu ?

Henry Sire : De nombreux exemplaires du rapport Kolvenbach ont été distribués en 1991 aux membres de la Congrégation pour les évêques. Comme c’est généralement le cas la plupart de ces exemplaires ont dû être détruits, mais sans aucun doute l'original a été conservé dans les archives de la Compagnie de Jésus à Rome, mais il a disparu une fois Bergoglio devenu pape. Il est évident que celui-ci n’a pas voulu perdre de temps pour le faire disparaître. Je sais avec certitude qu’au moins un des exemplaires restants est en possession d’une certaine personne qui, pour des raisons de prudence, le garde secret. Je n’ai pas vu cette lettre moi-même. J’ai été informé de son contenu par un prêtre qui l’avait lue, et j’ai rapporté exactement ce qu’il m’en a dit dans Le Pape Dictateur. Je ne sais rien de plus.


Gloria TV - Où François fait-il le plus de dégâts ?

Henry Sire : Je pense que les pires dégâts dont le pape François est responsable sont dus au flux continu de nominations qu’il a faites de mauvais évêques et de mauvais cardinaux. Cela aboutira probablement à un mauvais pontificat de plus. Même si par miracle nous y échappons, cela laissera un héritage épouvantable, qui pèsera sur l’Eglise pendant des années.


Gloria TV - Avez-vous le souvenir d’une bonne décision prise par François ?

Henry Sire : Inévitablement, oui. Sa nomination du cardinal Burke comme « Patronus » de l’Ordre de Malte était une bonne chose, et François a semblé au début vouloir aider le cardinal à promouvoir une politique traditionnelle au sein de l’Ordre ; mais le problème est que de tels gestes ne sont absolument pas fiables, et François est capable de les annuler d’un coup de plume.


Gloria TV - François est un opportuniste, mais seulement jusqu’à un certain point. Avec Traditionis Custodes, il s’est lancé dans une guerre qu’il ne pourra pas gagner. Il semble nourrir une véritable haine contre les « bons ». Avez-vous ne serait-ce qu’une petite idée de la raison de cette haine ?

Henry Sire : Il ne fait que suivre le programme de Saint-Gall en essayant d’éradiquer la tradition. Il est vrai aussi, comme vous le dites, qu’il a un parti pris contre les bonnes personnes au sein de l’Eglise. Tout au long de sa carrière, il s’est entouré de personnes peu recommandables et moralement faibles, précisément parce que cela lui permet de les contrôler.


Gloria TV - Quel a été selon vous l’impact de Traditionis Custodes ?

Henry Sire : Traditiones Custodes a été traduit à juste titre par « les geôliers de la tradition ». Il s’agit de l’ultime tentative de la génération Vatican II pour bloquer le rétablissement de la tradition qu’on voit aujourd’hui chez les jeunes catholiques. Mais ce qui est significatif, c’est la réticence que manifestent la plupart des évêques à mener à bien la politique répressive qu’institue le Motu proprio. Le fait est que le Pape François est à ce point impopulaire que beaucoup d’évêques préféreront ne pas tenir compte de ses directives, alors même qu’ils n’ont aucune sympathie particulière envers l’ancienne liturgie.


Gloria TV - Traditionis Custodes empêchera-t-il la liturgie romaine de se répandre ?

Henry Sire : Nous pouvons être certains d’une chose : la nouvelle génération de catholiques continuera à redécouvrir les richesses spirituelles de l’Église et à remettre en question les innovations conciliaires, qui ne sont que des politiques dépassées dont la raison d’être n’a guère de sens pour eux.


Gloria TV - François se fait passer pour le « pape des pauvres » tout en jouissant d’une grande popularité auprès des riches et de leurs journalistes. Il prêche la « miséricorde » mais il est applaudi par ceux qui se moquent de la miséricorde divine parce qu’ils ne pensent pas être pécheurs. De qui François est-il le pape ?

Henry Sire : Huit ans après le début de son pontificat, nous pouvons répondre clairement à cette question : François est le pape de la mafia de Saint-Gall et des médias du monde profane dont l’approbation est son unique objectif.


Gloria TV - Que cela signifie-t-il ?

Henry Sire : François n’a d’autre ligne de conduite que de s’attirer les applaudissements des élites modernes en épousant toutes leurs lubies : l’alarmisme climatique, l’immigration incontrôlée, une imitation du marxisme qui est en fait au service du capitalisme moderne « woke ». A regarder le bilan de Bergolio avant qu’il ne devienne pape, on constate qu’il a fait montre de certaines sympathies « populaires », en ce sens où il s’est allié avec les syndicats etc., mais il n’a rien fait pour les vrais pauvres en Argentine ; comme pape, il est resté le même. Sa politique consiste simplement à appuyer sur certains boutons linguistiques, et les médias réagissent de manière servile, le dépeignant comme le défenseur des pauvres pour lesquels, concrètement, il ne fait rien.


Gloria TV - Comment tout cela finira-t-il ?

Henry Sire : Divers commentateurs ont pu dire que Rome se trouve dans l’état caractéristique des dernières années d’un pontificat, les yeux de tous étant braqués sur le prochain conclave. L’issue de ce conclave est particulièrement difficile à prédire en cette occasion, car Bergoglio a nommé un grand nombre de cardinaux provenant de régions obscures du monde et, qui plus est, les a délibérément empêchés de se rencontrer pour apprendre à se connaître.


Gloria TV - Qu’attendez-vous du prochain conclave ?

Henry Sire : Une chose que nous pouvons affirmer avec assurance, c’est que le prochain conclave sera chaotique, et qu’il pourrait bien provoquer un schisme en son propre sein. Même si on parvient à l’éviter, je pense que le résultat le plus probable est que les cardinaux essaieront d’élire un pape neutre, afin de dissiper les ressentiments qui ont été fabriqués à foison au cours de ce pontificat.


Gloria TV - Un pape neutre ?

Henry Sire : Elu demain, un tel pape ne saura alors que faire, il ne donnera pas de direction claire, et la confusion créée par les ambiguïtés de François s’accentuera encore. Cependant, l’avenir pourrait être bien plus surprenant que cela. Par la grâce de Dieu, le conclave pourrait même élire un bon pape.


Gloria TV - Qui sont les « bons candidats » parmi les cardinaux actuels, et lesquels pourraient avoir une chance d’être élus ?

Henry Sire : Dans un article publié il y a quelques mois, Sandro Magister citait le cardinal Erdö, que j’ai rencontré lors de mon séjour à Rome, comme l’un des principaux papabili – ce qui est plutôt surprenant compte tenu de la façon dont François a noyauté le Sacré Collège en nommant « ses » cardinaux. Erdö est certainement tout à fait orthodoxe, mais franchement, je ne connais aucun cardinal qui ait la capacité de restaurer l’Église et de la conduire sur la voie d’une véritable réforme, c’est-à-dire à l’opposé des gestes publicitaires par lesquels le pape François a embobiné les médias séculiers. Il y a cinq ans, j’aurais dit le cardinal Sarah, mais il a maintenant 76 ans, et je ne sais pas s’il a encore la vigueur nécessaire pour faire ce qu’il faut, s’il devait être élu pape.


Entretien publié avec l'aimable autorisation de Gloria.Tv 

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