Notre lettre 728 publiée le 8 janvier 2020

L'AVENIR DE LA LITURGIE TRADITIONNELLE EN ANGLETERRE

Nous achevons dans cette lettre un cycle consacré à l’Angleterre de la messe traditionnelle par des entretiens avec notre ami Alexander Joseph Ranald Shaw, président de la Latin Mass Society of England and Wales, l’Association pour la Messe en latin d’Angleterre et du Pays de Galles (voir notre Lettre n. 725 : « La Latin Mass Society, un "syndicat" historique au service de messe traditionnelle » et notre Lettre n. 726 : « En Angleterre, la messe traditionnelle, messe des martyrs). Joseph Shaw analyse ici l’évolution de la situation, cinquante ans après la réforme liturgique.


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João Silveira - Comment voyez-vous l’avenir de la liturgie traditionnelle en Angleterre ?

Joseph Shaw – La grande nouveauté de ces dix dernières années a été l’arrivée des instituts traditionnels. Ils ont été relativement lents à venir en Angleterre, mais ils sont maintenant bien établis. Ils célèbrent la messe dans cinq diocèses différents en Angleterre (Sur un total de 22 diocèses). Nous avons essayé d’encourager les instituts traditionnels à célébrer la messe traditionnelle dans des paroisses ordinaires, mais cela n’a pas fonctionné car on est en présence de deux stratégies différentes : celle des instituts, qui consiste à avoir une église traditionnelle desservie par un prêtre célébrant exclusivement la messe traditionnelle, capable d’offrir tous les sacrements sous les formes traditionnelles et une vie pleinement catholique, avec le catéchisme et la préparation aux sacrements ; et d’autre part, celle qui cherche à insérer la messe traditionnelle dans le programme de la paroisse, où sont célébrées peut-être quatre messes dominicales dont l’une sera la messe traditionnelle. En fait, les deux stratégies sont intéressantes et peuvent toutes les deux bénéficier du soutien de la LMS, de ses experts et de sa formation. Remarquez que le deuxième cas de figure – la messe traditionnelle célébrée dans une paroisse ordinaire – peut avoir un effet sur la paroisse dans son ensemble, où un certain nombre de fidèles habituels vont pouvoir accéder à des dévotions supplémentaires, vont découvrir la réception de la communion à genoux et sur les lèvres – laquelle va même s’étendant aux messes non traditionnelles –, et vont expérimenter la musique traditionnelle d’église.


João Silveira – Il y a donc un climat favorable à la messe traditionnelle ?

Joseph Shaw – C’est selon. Au cours des dernières années, la pénurie de prêtres diocésains est devenue de plus en plus préoccupante. Les diocèses sont en difficulté, certains plus que d’autres, mais tous ont des problèmes parce que le nombre des séminaristes est partout insuffisant. Et le nombre des fidèles pratiquants lui aussi diminue. Même s’il n’y avait pas une pénurie de prêtres, nous assisterions de toute façon à des fermetures de paroisses et à des ventes d’églises, car il n’y a plus suffisamment de fidèles pour remplir des lieux devenus trop nombreux (Notamment dans les zones rurales). Alors, si on demande à des prêtres qui célèbrent trois, quatre ou cinq messes le dimanche, en passant d’une église à une autre, ils n’ont pas le temps de célébrer en plus une messe traditionnelle. De même que, du fait que la messe traditionnelle demandée, n’intéresse au début qu’un petit nombre de fidèles, l’évêque est enclin à concentrer ses forces sur le Novus Ordo

Mais d’autre part, le mouvement de la baisse de la pratique et du manque de prêtres ouvre des opportunités qui sont liées à la question des églises inutilisées. Ce sont des églises désormais non desservies – certaines d’entre elles ayant une grande valeur historique – qui ont été attribuées aux instituts traditionnels, ou qui ont aussi été affectées à des Oratoires (1). Jusqu’à ce jour, il n’y avait que deux Oratoires en Angleterre, un à Londres et l’autre à Birmingham. Puis un autre a été fondé à Oxford, et aujourd’hui de nouveaux Oratoires sont en gestation à York, à Cardiff (dans le Pays de Galles), à Bournemouth et à Manchester. C’est une croissance extraordinaire, dont l’une des raisons est que les évêques ont à leur disposition de belles et importantes églises historiques dont ils ne savent que faire. Ils ne peuvent pas les fermer et les vendre pour les voir transformer par exemple en casinos, car tout le monde les critiqueraient, y compris les défenseurs du patrimoine et les autorités locales.

C’est ce qui s’est produit en faveur de l’Institut du Christ-Roi, auquel, dans le nord-ouest de l’Angleterre, une belle église a finalement été attribuée, la première qui ait été affectée à un institut. L’évêque avait d’abord voulu fermer l’église, car elle avait besoin de réparations qu’il ne pouvait prendre en charge, car la région est dépeuplée et le nombre de catholiques s’effondre. Mais cette décision a provoqué une levée de boucliers : il a été poursuivi devant les tribunaux ecclésiastiques, mis au pilori dans le journal local, convoqué par le député local. Il ne savait que faire et est arrivé sans rien décider à l’âge de la retraite. Le nouvel évêque a trouvé ce dossier brûlant sur son bureau : l’église était pratiquement en train de s’effondrer, et la population locale désespérée. Il a alors décidé de la confier à l’Institut du Christ-Roi et le problème a été résolu. L’Institut a été absolument fantastique avec ce qu’il a réalisé avec cette église, comme il le fait dans le monde entier, collectant des fonds et remettant l’édifice en état.

Cela s’est également produit avec une église située dans la partie de l’Angleterre la plus proche de la France, à Ramsgate dans le Kent, où saint Augustin était arrivé jadis pour évangéliser les Saxons, église où est célébrée aujourd’hui la messe traditionnelle.


João Silveira – Outre cela, n’y a-t-il pas un changement dans l’état d’esprit des responsables ecclésiaux ?

Joseph Shaw – Oui, d’abord parce que la crise des vocations a obligé les évêques à être plus ouverts à l’égard de la messe traditionnelle. A vrai dire, ils sont devenus plus ouverts parce qu’ils appartiennent à une nouvelle génération. Les nouveaux évêques, qui sont consacrés aujourd’hui, n’ont pas d’engagement particulier en faveur de la réforme liturgique, comme l’avaient ceux consacrés il y a 10, 20 ou 30 ans. Les nouveaux n’ont célébré que la nouvelle messe, et ils ne comprennent généralement pas la messe traditionnelle dont ils estiment qu’elle est une chose un peu étrange, mais ils n’ont pas les réactions émotionnelles et viscérales que manifestent des prêtres et d’évêques de 60 ans ou plus. Ces derniers sont ceux qui, quand avaient 20 et 30 ans, ont détruit les anciens autels, mis au rebut les vieilles statues et engagé leur carrière ecclésiastique dans cette voie de réforme. Il est toujours difficile psychologiquement d’admettre qu’on a commis une erreur ou au moins une grande exagération de cet ordre. Alors que, lorsqu’on demande la messe traditionnelle à la jeune génération de prêtres, d’administrateurs de sanctuaires, d’évêques, les problèmes qu’ils soulèvent sont uniquement des problèmes pratiques : manque de prêtres.

Voyez-vous, il y a 10 ou 20 ans, certains prélats ou curés disaient que nous n’étions pas autorisés à faire de la publicité pour nos célébrations, que ceux qui ne feraient pas partie du groupe des demandeurs ne pourraient y assister, qu’il ne pouvait y avoir de messe selon l’usus antiquior dans les deux heures suivant une messe du Novus Ordo dans la même église, car cela pourrait provoquer une sorte de contamination croisée. Eh bien, je constate avec plaisir que cette attitude est en train de disparaître. L’ancienne attitude était terrible, destructrice et n’avait aucun sens. Comment peut-on être catholique et penser que la messe célébrée jusqu’à avant-hier, était un peu diabolique ? C’est insensé.


João Silveira – De quoi alors demain sera-t-il fait ?

Joseph Shaw – Les restrictions artificielles d’hier ne sont plus un problème, mais en revanche, d’autres difficultés se présentent. Par exemple : les prêtres d’aujourd’hui ne connaissent plus le latin ; ils sont surchargés de messes le dimanche. Et cela ne changera pas de sitôt.

Au total, certaines opportunités se ferment, certaines s’ouvrent. Nous devons faire preuve de souplesse, pousser les portes qui s’ouvrent et laisser tomber celles qui se ferment. Il y a certes des difficultés et des choses que nous ne pouvons pas faire, mais en même temps bien des circonstances sont favorables. De fait, partout les portes s’ouvrent de plus en plus.


 (1) Congrégations de prêtres très proches des prêtres séculiers, desservant des églises qualifiées d’« Oratoires », comme l’Oratoire fondé par le cardinal De Bérulle ou celui fondé par saint Philippe Néri.

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