Notre lettre 723 publiée le 5 décembre 2019

LA LITURGIE TRADITIONNELLE A TOLÈDE
« Rien ne pourra s’opposer dans le futur au retour d’une liturgie pleinement catholique »

Depuis 2009 deux prêtres espagnols, les Pères José Manuel González et Carlos Vecino Carou, développent un apostolat de l’usus antiquior dans la ville de Tolède et aussi vers le monde hispanophone en utilisant les réseaux sociaux. Ils sont depuis plusieurs années présents au pèlerinage de Chartres où ils animent un chapitre castillan très dynamique. Notre envoyé spécial Diego de Caleruega, séduit par leur enthousiasme, les a rencontrés pour qu’ils nous fassent part de leurs expériences, dont beaucoup de nos lecteurs clercs et laïcs sauront tirer leur miel.




Q – Diego de Caleruéga – Mes chers Pères, vous formez aujourd’hui une communauté mais comment vous êtes-vous rencontrés ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Cela remonte à bien longtemps, car nous nous sommes rencontrés pour la première fois il y a environ 21 ans, c’est-à-dire en 1998, au petit séminaire de l’Assomption à Saint-Jacques-de-Compostelle. Nous étions alors deux jeunes hommes réfléchissant à une vocation sacerdotale.

C’est bien après qu’est né notre projet de vie en communauté, qui nous a fait nous installer à Tolède en 2009, quand le Cardinal Antonio Cañizares nous a invités à venir célébrer la liturgie traditionnelle dans l’église du Saint-Sauveur. A ce moment-là le Cardinal avait essayé de faire venir sans succès d’autres instituts traditionnels dans son diocèse et son désir était de répondre au vœu de Benoît XVI, qui venait de promulguer en 2007 le Motu proprio Summorum Pontificum.


Q – Diego de Caleruéga – Comment vous-même avez-vous connu la messe traditionnelle ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Nous avons chacun notre propre expérience dans la découverte de la liturgie traditionnelle. Mais on pourrait dire que notre découverte fut absolument providentielle et s’est produite à l’occasion d’un pèlerinage en France et en Italie où nous étions venus visiter les principaux sanctuaires. Au cours de ce voyage, en rentrant de La Salette, nous sommes passés à l’abbaye sainte Madeleine du Barroux, où nous sommes arrivés au moment des Vêpres. Ce fut pour nous un choc de découvrir la liturgie traditionnelle vivante qui s’y déroulait avec une telle beauté et une telle perfection. Ce moment a marqué un avant et un après dans nos vies de catholiques et de futurs prêtres.


Q – Diego de Caleruéga – Votre vie de prêtres a-t-elle changé d’une manière ou d’une autre ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Ce n’est pas un changement dans nos vies de prêtres, car notre découverte fut antérieure à notre ordination. Ce que nous pouvons affirmer c’est que notre sacerdoce a toujours été lié à la forme extraordinaire de la liturgie. Cependant, de même que nous avons expérimenté la richesse et la beauté de ce rite et ce qu’elle peut procurer pour nous et pour nos frères, elle nous a fait ressentir également les malentendus et les appréhensions causés par notre amour du rite traditionnel avec beaucoup de fidèles et de prêtres qui pour de nombreuses raisons ne souhaitent pas intégrer ce trésor dans leur vie chrétienne.


Q – Diego de Caleruéga - Comment se déroule votre apostolat à Tolède aujourd’hui ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Depuis notre arrivée il y a dix ans et jusqu’à aujourd’hui notre apostolat a été d’abord de célébrer quotidiennement pour nous et les fidèles qui le souhaitent la sainte messe, l’office de prime, le chant des vêpres, la récitation du chapelet et l’adoration eucharistique. De plus, les dimanches et jours fériés nous célébrons la messe chantée et parfois solennelle si nous avons la chance d’accueillir d’autres ministres ces jours-là.




Q – Diego de Caleruéga – Avez-vous un charisme ou une spiritualité propre ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Notre apostolat dans l’église du Saint-Sauveur de Tolède présente un aspect marial marqué, conformément à la spiritualité de l’esclavage marial que Saint Louis Marie Grignon de Montfort a expliqué dans son Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, à la suite de notre bien-aimé Saint Ildefonse de Tolède qui fut son précurseur : «Je viens maintenant à vous, seule Vierge et Mère de Dieu ; je tombe à genoux devant vous, je m’humilie devant vous ; je vous prie d’effacer mes péchés, de me faire aimer la gloire de votre virginité, de m’accorder aussi de me consacrer à Dieu et à vous : être l’esclave de votre fils et de votre serviteur et servir votre Seigneur et vous ». La Vierge Marie accorde chaque mois une grande importance à la célébration du premier samedi en réparation auprès de son Cœur Immaculé.

Il est important de souligner dans notre apostolat l’aide exceptionnelle de saint Padre Pio de Pietrelcina en l’honneur duquel nous célébrons une messe le 23 de chaque mois. Ce qui a réussi à attirer plus de fidèles à la messe traditionnelle que notre humble apostolat pendant des années : un vrai miracle !

Enfin, l’attention personnelle aux fidèles dans le sacrement de la confession et la direction spirituelle, l’organisation de retraites et d’exercices spirituels ainsi que de pèlerinages occupent également une grande partie de notre quotidien.


Q – Diego de Caleruéga – C’est dans ce cadre que vous participez chaque année au pèlerinage Notre-Dame de Chrétienté ?

R – Pères José Manuel et Carlos – Tout à fait. Plusieurs d’entre nous connaissaient ce magnifique pèlerinage international depuis longtemps, désormais notre participation à cet événement constitue un temps fort pour notre communauté


Q – Diego de Caleruéga – Pouvez-vous nous présenter la communauté des fidèles de l’église du Saint-Sauveur ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Bien qu’un an avant notre arrivée la messe traditionnelle fût déjà célébrée à Tolède, il n’y avait alors qu’un petit troupeau de fidèles ayant cette préoccupation. Cependant, durant 10 ans, la croissance a été très importante, en particulier ces deux dernières années, et nous pouvons désormais dire qu’à Tolède s’est constitué un groupe stable de près d’une centaine de fidèles avec en particulier la présence de jeunes familles.


Q – Diego de Caleruéga – Pensez-vous que les Espagnols s’intéressent à la liturgie traditionnelle ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Il n’est pas facile de vous répondre car chaque région du monde a des caractéristiques spécifiques. Mais on pourrait parler, plus qu’ailleurs, d’une situation généralisée de crainte, voire de peur, de la part de ceux qui sont attirés par l’usus antiquior. Ainsi les prêtres les plus intéressés par la liturgie traditionnelle craignent-ils d’attirer l’attention sur eux des autorités ou de leurs confrères. Ils craignent que l’on prenne contre eux des mesures qui ressembleraient à une punition…. En conséquence, cela crée un climat désagréable qui fait que bien des fidèles qui le souhaiteraient ont peur eux aussi de s’approcher de trop près de la liturgie extraordinaire.


Q – Diego de Caleruéga – Cette liturgie peut-elle être utilisée pour lutter contre la laïcisation et renforcer l’Église espagnole ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Il n’est pas bon de parler de l’utilisation de la liturgie comme d’une ressource ou d’un outil que l’on pourrait manipuler à sa guise. En revanche je pense qu’elle est une réalité efficace sur le plan spirituel pour lutter contre les maux de notre temps tels que le relativisme ou le subjectivisme, par le simple fait que cette liturgie, qui est essentiellement un culte d’amour et de reconnaissance offert à Dieu, fait retomber sur nous et sur l’Eglise une vrai pluie de grâces qui engendre une irruption du sacré au milieu de la société. N’oublions pas également que toutes les paroles, les gestes et les silences de cette liturgie constituent une extraordinaire catéchèse de la foi catholique qui aide les âmes égarées à retrouver le bon chemin et fortifie dans leur foi les fidèles qui y participent Cela peut provoquer l’adhésion ou le rejet, mais jamais l’indifférence. En cela, elle est non seulement nécessaire mais indispensable à une future nouvelle évangélisation.


Q – Diego de Caleruéga – Quelles sont vos principales difficultés pour célébrer et défendre la messe traditionnelle ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Notre position a toujours été de nous trouver en communion avec les instances et paroisses de notre diocèse, et nous avons toujours cela en mémoire avant de commencer un nouvel apostolat. En dépit de cette bonne disposition de notre part, dans la plupart des cas, l’accueil qui a été fait à nos démarches n’a pas été positif, ni d’ailleurs franchement négatif, afin de ne pas enfreindre la loi étable par le Motu Proprio et afin de conserver une apparente charité fraternelle. Cependant les réponses que nous attendons pour commencer nos projets sont toujours différées, on nous impose des procédures inconnues et très longues, en nous donnant des explications qui sont autant de restrictions, dans le but de freiner, de démotiver, voire de stopper l’initiative, même quand un grand nombre de fidèles désirent y adhérer.


Q – Diego de Caleruéga – Quel conseil donneriez-vous aux prêtres qui traversent les mêmes difficultés ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Par expérience, s’engager dans cette entreprise signifie une bonne dose d’inconscience si vous avez des ambitions ecclésiastiques. Si vous voulez néanmoins vous y lancer, vous devez être convaincu de ce que cela signifie réellement de biens et de grâces pour l’avenir de l’Église et le bien des âmes. Vous devez aussi accepter que cela ne vous procurera ni succès ni même compréhension, ne vous attirera pas des amis ou vous rendra pas la vie facile. Sauf que, les exigences du ministère sacerdotal de notre époque impliquant d’aller à contre-courant au sein de la société et de la pensée actuelle, le fait d’adhérer au nouveau mouvement liturgique et à la promotion de la liturgie traditionnelle apporte un avantage, non seulement devant le monde, mais aussi au sein de l’Église. Je dirais donc à ces prêtres : résistez, ou de manière plus évangélique, persévérez. Nous sommes protégés par la loi de l’Église exprimée dans le Motu proprio, et c’est dans la loi de l’Église que nous devons vivre pour accomplir la volonté de Dieu, et non selon ses phobies personnelles.

Dans l’Instruction Universæ Ecclesiæ, l’intention de l’Église est très claire : "d’offrir à tous les fidèles la liturgie romaine l’usus antiquior, comme un trésor à conserver précieusement."


Q – Diego de Caleruéga – Et pour les laïcs ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Les laïcs qui veulent assister et participer à la liturgie traditionnelle ont pour principale difficulté de trouver un prêtre qui accepte, sache et ait le courage de célébrer selon cette forme du rite extraordinaire romain. Pour rester dans la paix, en communion et dans le respect de la hiérarchie, les laïcs doivent acquérir une bonne formation et des arguments solides. Ils doivent s’organiser afin de n’être pas seuls à solliciter la reconnaissance par leur curé ou leur évêque de leur droit légitime, reconnu dans le motu proprio, de vivre leur foi catholique au rythme de l’usus antiquior. Ils doivent comprendre qu’ils devront avoir une bonne dose de patience et de charité si ils ne veulent pas jeter l’éponge avant d’avoir obtenu l’instauration d’une authentique situation apaisée dans le respect de leurs demande.


Q – Diego de Caleruéga – Vos projets et vos regards sur l’avenir ?

R – Pères José Manuel et Carlos - Nos projets sont ceux vers lesquels le Bon Dieu nous guidera. Si les ouvriers sont peu nombreux la moisson, nous le savons, est abondante car de toute part s’adressent à nous des fidèles qui ont faim d’enseignement et de liturgie riche. Quant à notre regard vers l’avenir il est paisible car nous savons que rien ne pourra s’opposer dans le futur au retour d’une liturgie pleinement catholique qui a nourri spirituellement autant de saints et de martyrs au cours des siècles qui nous ont précédés.

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