Notre lettre 699 publiée le 18 juin 2019

SONDAGE DU PROGRÈS DE LYON DU 13 AOÛT 1976 TROISIÈME PARTIE - LES RÉACTIONS

Le sondage de l’été 1976 a permis de révéler une réalité ecclésiale qui semble avoir été jusque-là insoupçonnée pour nombre de nos pasteurs. Évoquons donc aujourd’hui le suc des réactions publiées par Le Progrès, principal quotidien de Lyon.


1 – LES CHIFFRES SONT LES CHIFFRES...

« Devant Jean-Marie Lech, directeur de L’IFOP et en direct sur les ondes de RTL, Mgr Badré, évêque de Bayeux, président de la commission épiscopale pour l’opinion publique s’exprime : « IL NOUS FAUT ACCEPTER LES CHIFFRES TELS QU’ILS SONT ».


Réflexion de Paix Liturgique

L’intérêt de ce sondage, commandité par un organe de presse indépendant, oblige le président de la commission épiscopale pour l’opinion publique à le reconnaître en direct sur les ondes de RTL devant le directeur de l’IFOP : « Il nous faut accepter les chiffres tels qu’ils sont ».

Nous savons qu’au cours des décennies qui suivront l’épiscopat, prudemment, ne voudra plus jamais se mettre publiquement dans la situation d’accepter des chiffres « inacceptables pour lui ». Paix liturgique en sait quelque chose…

Voilà pourquoi, 20 ans après ce sondage, Mgr Moutel alors évêque de Moulins et en charge des « traditionalistes » n’hésitait pas à déclarer devant nous : « Au grand maximum vous êtes 50 000 en France ». Le temps était loin alors où Mgr Badré était contraint d’admettre qu’il fallait accepter les chiffres « tels qu’ils étaient », chiffres qui révélaient qu’une immense partie des catholiques français n’adhéraient pas aux orientations de l’après-concile. 50 ans après, les faits le démontrent encore chaque jour…


2 – L’ETONNEMENT DE Mgr BADRE, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L'OPINION PUBLIQUE

« Pour ce qui est de ceux qui suivent Mgr Lefebvre, j’avoue que je suis un peu étonné du chiffre de 28 %, mais enfin, c’est un chiffre qui est donné, donc je n’ai pas à le contester. Ce qui est pour nous, évêques, à mon sens, une leçon à tirer. Il faut accepter les chiffres tels qu’ils sont. Il faut certainement que nous fassions un effort d’explication, un effort de communication, avec tous les chrétiens pour qu’ils comprennent mieux ce que nous cherchons à faire ».


Réflexion de Paix Liturgique

L’étonnement de Mgr Badré étonne : le prélat en charge de l’opinion publique est donc si déconnecté de la réalité…

Comme il le déclare sur les ondes de RTL, « Ce n’est pas les chiffres que je retrouve lorsque je suis dans nos communautés. » Bien sûr, lorsque l’on reste entre soi, hier comme aujourd’hui, l’on évite de se confronter à la réalité et l’on peut finir par croire que tous sont d’accord avec eux-mêmes… ce qui bien sûr est inexact, car si jusqu’en 1965/1966 les paroisses de France étaient « plurielles », c’est-à-dire réunissaient en leur sein toutes les composantes du peuple chrétien avec leurs sensibilités propres et mêmes leurs divergences, le vent d’exclusion qui souffla sur nos paroisses de 1967 à 1969 en a chassé ceux qui n’étaient pas en phase avec l’esprit du temps, transformant la plupart de nos paroisses en clans plutôt qu’en paroisses et parfois en sectes, en tout cas pour ce qui concerne les clercs et laïcs dirigeants. Cet enfermement, commencé il y a 50 ans, dure encore aujourd’hui…


3 – LES GLISSEMENTS SEMANTIQUES

Mgr Badré : « Quoi qu’il en soit, le fait que 28 % des catholiques interrogés aient estimé que le pape était allé trop loin dans ses sanctions contre Mgr Lefebvre prouve qu’une partie de l’opinion publique, et pas seulement au sein des catholiques, désapprouve la décision de Paul VI ».

Dans le courrier des lecteurs… De M.H.V. (Paris) : « Je ne saurais trop vous féliciter d’avoir pris l’initiative du sondage IFOP publié dans Le Progrès du 13 août. Voilà du très bon journalisme, car le sujet est d’une actualité brûlante et vous apportez un renseignement original, inattendu, disent certains, et fort important. Pourquoi faut-il que le titre de votre article trahisse quelque peu le sondage ? » Un français sur quatre sensible aux idées de Mgr Lefebvre ». La question était : « Approuvez-vous ou désapprouvez-vous ou êtes-vous indiffèrent ? » Et le titre exact aurait dû être « Un français sur quatre approuve » et non est « sensible ». Il y a plus qu’une nuance…


Réflexion de Paix Liturgique

C’est effectivement une « nuance » affaiblissante, qui sera usitée – elle ou d’autres semblables – par beaucoup de commentateurs, lesquels pour minimiser les positions de ceux qui répondent n’être pas en harmonie avec les évolutions, supposent qu’ils ne comprennent pas bien les problèmes, qu’ils seraient un peu ignorants, qu’ils  auraient des positions « superficielles ».

Un procédé plusieurs fois utilisé dans les commentaires du sondage, insiste sur le fait que les opposants ne seraient attachés « qu’au latin » ce qui est en parfaite contradiction avec le fait que 45 % des personnes sondées pensent que le mouvement de réformes touche à l’essentiel de la foi.

Et Le Progrès de citer des réactions bien choisies qu’il estime caricaturales : « Un traditionaliste qui a tenu à garder l’anonymat [existait-il ? ndlr] répond « Pour moi la messe en français c’est un peu du music-hall ». Et l’on fait dire à un autre tout aussi anonyme « la messe en latin ça prenait au ventre, la nouvelle liturgie me parait étrangère ». Une vielle dame aurait renchéri « Sans latin, Monsieur, comment peut-on dire la messe ? » 

Dans cette veine, nos journalistes auraient mieux fait de citer Georges Brassens chantant « Sans le latin, sans le latin, la messe m’emmerde ».


4 – LA CONDESCENDANCE , MACRONIENNE AVANT L'HEURE, DE Mgr. BADRE

« Quand on est sûr des idées, ils ont [les fidèles ndlr] beaucoup plus de mal à les comprendre et à les accepter, ce qui est pour nous évêques, à mon sens, une leçon à tirer. Il faut certainement que nous fassions un effort, d’explication, un effort de communication avec tous les chrétiens pour qu’ils comprennent mieux ce que nous cherchons à faire ».


Réflexion de Paix Liturgique

Mgr. Badré parle comme aujourd’hui les ministres ou députés de LREM à propos du bon peuple qui ne suit pas. Pour Mgr Badré, comme pour la plupart de ses confrères dans l’épiscopat, les fidèles qui ne les suivent pas sont en fait des chrétiens de seconde zone, des vieux, des nostalgiques, auxquels « on n’a pas suffisamment expliqué ». Ce contre quoi l’historien Luc Perrin s’inscrivait en faux : « Il y a des légendes qu’il faut faire voler en éclat […] Un énorme effort d’explication a été réalisé, avec beaucoup d’inventivité sur le plan pédagogique. Les bulletins paroissiaux ont été mobilisés. Le prône a été utilisé. Des répétitions ont été faites pour préparer telle prière qui était introduite, tel passage qui était modifié » (« Les paroisses parisiennes à l’époque du Concile », dans Reconstruire la liturgie, sous la direction de Claude Barthe, François-Xavier de Guibert, 1997, p. 181). Sans succès.

En 1976, croire encore, lorsque 48 % des fidèles estiment que l’on est allé trop loin dans les réformes, que l’on pourra redresser la barre par « de la pédagogie » comme on dit aujourd’hui est tout à fait stupéfiant. D’autant plus que loin de se lancer dans une démarche d’adhésion à son évolution l’Eglise de France continuera à partir de 1976 à marteler son point de vue sans jamais écouter des autres » qui ont conservé le mauvais gout de ne pas être comme l’on voudrait qu’ils soient…

D’ailleurs, les fidèles, dans ce sondage, donnent clairement des indices d’une bonne connaissance du dossier, car pour eux la question n’est pas « le latin » comme voudrait le faire croire les journalistes, mais bien une grande inquiétude que les évolutions modernes de l’Eglise mettent en cause l’enseignement constant de cette même l’Eglise, ce qui sera reprit par une affirmation populaire souvent entendue : « On nous a changé la religion ! »


5 - LES RESPONSABILITÉS DU CLERGÉ

Toujours, dans le courrier des lecteurs, M. Ch.W. (de Lyon) : « Je pense que si les évêques depuis plus de 10 ans avaient réagi sainement devant les outrances des « nouveaux prêtres » et étaient restés à l’écoute du peuple chrétien, Mgr Lefebvre n’aurait sans doute pas eu à réagir… »


Réflexion de Paix Liturgique

C’est une réaction qui sera souvent reprise – spécialement par les évêques, qui avouaient par le fait leur incurie – et qui consistait à mettre la crise de la foi et de la liturgie sur le compte des « abus » d’un certain clergé. On n’entrera pas ici dans le débat, sauf pour dire qu’elle suppose qu’une révolution peut-elle être modérée. Quant aux sondés de 1976, ils ne répondent pas sur les « outrances », mais sur ce qu’ils vivaient dans la majorité des paroisses de France.


6 – LA RÉACTION D’ANDRÉ PASTRE DU PROGRÈS DE LYON


« Un sondage c’est le début d’un dialogue ».


Réflexion de Paix Liturgique

Bien que, comme nous l’avons vu, tous les commentaires réunis dans les éditions du Progrès aient étés biaisés, au moins quant à leur choix, André Pastre apparaît par cette déclaration comme une réaction de bon sens. Pour lui, « un sondage c’est le début d’un dialogue », dans la mesure où les chiffres sont indiscutables et indiscutés par Mgr Badré lui-même : il lui paraît évident que la suite sera naturellement au dialogue et au rapprochement des points de vue. Comment en effet un évêque en charge de l’opinion des catholiques français pourrait être autiste au point d’ignorer un cri d’alarme de millions de catholiques français qui refusent, contestent ou sont inquiets des évolutions en marche au sein de l’Eglise ?

Mais peut-être André Pastre était-il volontairement naïf pour faire gentiment la leçon aux évêques. En tout cas, loin de se mettre à dialoguer, l’Eglise de France va s’enfermer dans un autisme mortifère en refusant de voir les choses comme elles sont au risque de s’éloigner toujours plus de la réalité et de se retrouver 43 ans après au bout de l’impasse.


7 - EN GUISE DE CONCLUSION ET POUR COMPRENDRE LA SUITE … les commentaires de C. Escapitt (qui n’est pas Robert Escarpit)

« Pourquoi en faire tout un plat ? Tout cela leur fait de la publicité… » (C. Escapitt).


Réflexion de Paix Liturgique

C. Escapitt tire la leçon que s’est empressé, en effet, de tirer de l’affaire l’Eglise de France : nos pasteurs ont compris qu’avec ce sondage, émanant d’un organe de presse qui n’avait rien d’ecclésiastique, ni surtout d’« intégriste », avait été ouverte une boite de Pandore qu’il fallait de toute urgence refermer.

La leçon a bien été comprise et respectée. Certes, nos pasteurs ont eu à avaler quelques couleuvres, comme celles des « prises » d’églises de Saint-Nicolas du Chardonnet, à Paris, ou de Port-Marly, près de Versailles. Certes, poussés à cela par la politique romaine réaliste, qui a pris acte de l’existence incompressible d’un refus de la réforme liturgique, ils ont dû lâcher du lest et des lieux de culte à la messe traditionnelle. Mais les pasteurs ont toujours soigneusement évité d’ouvrir le débat sur la place publique et de prendre en compte les souffrances de leur troupeau.

L’Eglise n’est pas une démocratie, quoi qu’en disent certains d’entre vous, mais on regrette parfois, Messeigneurs, que l’on ne puisse organiser dans les diocèses de France un référendum d’initiative populaire à propos de votre réforme liturgique…

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