Notre lettre 669 publiée le 20 novembre 2018
AU PORTUGAL " SENZA PAGARE " AU SERVICE DE LA TRADITION
Nous ne connaissons pas assez en France ce que font nos amis du monde en faveur de la messe traditionnelle. Pour pallier cette méconnaissance, nous entreprenons aujourd’hui la publication d’une série d’enquêtes pour le découvrir et y trouver certainement de bonnes idées en vue d'améliorer et amplifier nos propres actions. Nous publions cette semaine un entretien avec João Silveira*, un militant catholique portugais de Lisbonne qui depuis 2005 anime le groupe Senza Pagare **, une entité dont le rayonnement s’étend aujourd’hui sur l’ensemble du monde lusophone et bien au-delà.
Q - João, pour commencer, pouvez-vous nous présenter Senza Pagare ? Est-ce une association ? Un mouvement ? Autre chose ?
João - A ses origines, Senza Pagare fut un blog car, lorsque nous avons débuté notre aventure, le concept de blog
était à la mode. C’était une chose facile à créer et à développer sans
investissement ni grands moyens. Ensuite, tout en restant d’abord un blog, nous avons créé une lettre
électronique et, profitant de l’émergence des réseaux sociaux, nous nous sommes
positionnés
sur Facebook qui assure, aujourd’hui, une grande part de notre rayonnement.
Q - Par qui et dans quel
contexte Senza Pagare a t-il été créé ?
João - A l’origine nous étions un groupe de 14 amis qui s’était
constitué spontanément dans l’esprit « génération JP2 »,
enthousiasmés par l’idée de participer à la « Nouvelle
Evangélisation » préconisée par ce saint pontife. L’une
de nos premières activités fut de nous rendre à Rome pour ses funérailles et d’organiser
une sorte de pèlerinage à l’occasion de l’élection de son successeur. Une fois
qu’il fut élu, nous fûmes enthousiasmés par
Benoit XVI et désireux de faire mieux connaitre, d’abord au profit de notre petit groupe, ses paroles, mais aussi des textes de
spiritualité ou des paroles de saints… C’est ainsi que Senza
Pagare est apparu en 2005 dans le paysage portugais. Mais à
l’origine nous ne pensions pas donner à ce blog une autre dimension que celle d’être une moyen
de communiquer entre nous … c’est la Providence qui nous entraîna vers
d’autres rivages.
Q - Mais que signifie Senza Pagare ?
João - Stricto sensu Senza Pagare, en
italien, signifie « sans payer »,"
gratuit ", en référence à tout ce que Dieu nous offre
gratuitement comme la vie et sa grâce. Il faut y voir aussi comme une blague
car à ce moment nous étions des étudiants, sans argent
et il nous fallait faire très attention à nos dépenses. Faire l’analogie entre
le don gratuit de Dieu et notre soucis de ne pas trop dépenser fut, en quelques sorte, à l’origine de ce qui
est devenu le nom de notre groupe.
Q - Comment expliquer-vous votre évolution ?
João - Au Portugal il n’y avait alors pratiquement rien de
comparable à ce que nous venions de lancer, c’est à dire pas de blog pour réfléchir et donner de la matière dans
le domaine de la foi catholique, de la morale
catholique, sur les principes moraux
naturels et sur les questions sociétales. Aussi, sans que nous ne
nous en apercevions, les quelques
amis du début qui échangeaient sur notre
blog devinrent bientôt nombreux, beaucoup plus nombreux… Et tous ceux qui
faisaient connaissance avec notre blog étaient demandeurs de doctrine et d’une spiritualité
catholique forte. Cela nous fit comprendre qu’il se trouvait au Portugal une extraordinaire attente
de vérité forte, de spiritualité catholique de toujours. C’est ainsi que nous
avons petit à petit étoffé nos propositions pour répondre à une demande
croissante qui n’émanait pas toujours de personnes déjà formées ou convaincues mais qui toujours avaient soif de Vérité.
Q - Aujourd’hui Senza Pagare est un site qui fait la promotion de la liturgie traditionnelle, était-ce le cas depuis l'origine ?
João - Non pas du
tout car à ce moment-là nous ignorions tout de la liturgie traditionnelle. Bien sûr nous étions des catholiques attachés à la Tradition doctrinale et morale de l’Eglise
mais la Tradition liturgique nous était
inconnue. Nous avions entendu parler du motu proprio Summorum Pontificum mais c'est un sujet dont nous ne mesurions
pas encore l’importance et cela
nous semblait d'autant plus lointain que jusqu'à un passé très récent ce sujet n'était jamais
évoqué au Portugal.
Q - Comment avez-vous découvert la messe
traditionnelle ?
João - Ce fut à Rome en 2013 lorsque
j’étudiais la théologie à l’Université Pontificale
de Santa Croce, que j’ai découvert la Messe traditionnelle
grâce à un prêtre espagnol. Nous vivions dans le même collège et ce prêtre
célébrait chaque jour les messes selon
l’Usus antiquior à 7 heures du matin. Pour
moi, ce fut la découverte d’un trésor qui
m’avait été caché et qui a beaucoup aidé ma
vie spirituelle et qui semblait non
seulement en pleine harmonie avec ma Foi catholique mais son complément liturgique naturel et indispensable. A cette époque, je vivais à Rome avec un ami Portugais, qui étudiaient les sciences physiques. Lui
aussi fut bouleversé par la découverte de la
liturgie Traditionnelle. Comme j’avais besoin
d’aide pour animer Senza Pagare, je l’ai
invité à coopérer avec moi ce qu’il fit à son retour
au Portugal en 2014 et dès ce moment Senza
Pagare devint un promoteur militant de la liturgie traditionnelle. C'est
pourquoi il entrepris aussitôt de demander au curé de l’église
de São Nicolau de Lisbonne de commencer à
célébrer la messe traditionnelle. Pour y parvenir nous avons sollicité
ceux de nos amis qui partageaient notre enthousiasme et grâce à Dieu il nous
fut accordé une célébration mensuelle le samedi à
10 heures. Puis assez vite cette messe
devint dominicale et hebdomadaire. Maintenant elle est célébrée
quotidiennement. De nombreux jeunes y assistent
chaque jour et le dimanche de nombreuses familles s’y rendent.
Q - Avez-vous une idée de l’audience de Senza Pagare ?
João - Nous sommes parfois un peu débordé par le développement de Senza Pagare et
nous n’avons pas les moyens techniques de suivre parfaitement l’amplification
de Senza Pagare mais nous avons cependant quelques chiffres :
- Nous avons en moyenne 3000 visites par
jour sur notre blog,
- Nous diffusons notre lettre à plus de 10 000 abonnés,
- Nous avons davantage d’informations au
sujet de notre page Facebook qui est suivie par plus de 80 000 personnes. D’après Facebook ce
sont en grande majorité des
femmes et des hommes de 18 à 35 ans.
Q - Que
proposez-vous à ceux qui vous suivent ?
João - Chaque jour nous mettons en ligne 2 nouveaux textes ou vidéo que nous réalisons nous-mêmes ou que nous traduisons de sites étrangers amis. C’est un travail très lourd !
Q - Et combien êtes-vous pour mener à bien cette
entreprise
João - Nous sommes quatre : Nuno mon ami romain,
qui est aujourd’hui doctorant en histoire des Sciences aux États-Unis, Pedro, qui
étudie les Sciences Politiques à Lisbonne,
Margarida, notre graphiste et moi-même.
Q - Et vos moyens ?
João - Nous n’en avons pas ! Ce qui limite notre action, nos contacts et
interdit des déplacements qui seraient forts utiles pour
enraciner et amplifier notre rayonnement.
Q - Avez-vous des relations avec l’Eglise du Portugal ?
João - Senza Pagare en tant que blog n’a aucun rapport avec la
hiérarchie catholique au Portugal mais nous avons-nous-mêmes
des relations personnelles, juridiques,
sacramentelles et morales avec le clergé comme c’est le cas de tous les
catholiques .…Cependant l’on peut dire que Senza Pagare est au service de l’Église en ceci qu’il participe
à la diffusion de la Bonne Nouvelle chaque fois que l’occasion se présente. Il est aussi comme un lanceur d’alerte lorsque dans nos églises des abus sont constatés qui, sans la publicité que permet notre blog, pourraient continuer d’exister, provoquant
de nombreux scandales pour les fidèles.
Q - Pensez-vous concourir à faire évoluer la situation
au Portugal en faveur de la liturgie traditionnelle ?
João - Sur ce sujet le Portugal était encore il y a très peu de
temps un véritable désert ou seule la Fraternité Saint Pie X célébrait la messe traditionnelle. Le Motu proprio Summorum Pontificum n’eut pas d’effet au Portugal et malgré les
résultats des sondages effectués par Paix Liturgique au Portugal en 2010
- qui révèle que 30 % des pratiquants portugais iraient
volontiers à la messe ancienne chaque semaine - jusqu’en 2015 le Portugal
présenta sur ce sujet une sorte « d’électro-encéphalogramme plat ».
Depuis 2016 -
et nos remercions Dieu si nous y sommes un peu pour
quelques choses - la situation évolue, peu encore sur le terrain ou il n’y a aujourd’hui encore
qu’une messe Summorum
Pontificum à Lisbonne pour tout le Portugal, mais parce
que se produisent actuellement beaucoup de
mouvements très prometteurs pour l’avenir. Ainsi, plusieurs groupes de
demandeurs se sont constitués dans des diocèses du pays. Un autre
signe très encourageant pour l’avenir du clergé
: à l’heure où je réponds à vos questions 10
jeunes portugais se trouvent en formation dans des séminaires traditionnels alors
qu’il y a 10 ans il n’y en avait aucun. Donc remercions le Seigneur car les choses changent en bien. Nous espérons
qu’elles vont changer encore plus dans l’avenir pour rendre au Portugal sa vocation
catholique et missionnaire.
Q - Votre rayonnement se fait-il en dehors du Portugal ?
João - Bien sûr ! Il se fait d’abord vers les iles des Açores
et de Madère ou des groupes solides ont entrepris de demander
l’application du Motu proprio Summorum Pontificum. Grâce à Senza Pagare
nous avons en outre établi de bonnes relations avec des amis espagnols mais
aussi avec les autres pays lusophones : les iles du Cap-Vert, l’Angola et surtout le
Brésil ou Senza Pagare est très populaire.
Q - Quelles sont vos espérances pour Senza
Pagare ?
João - Nous
aimerions transformer notre structure informelle en association ce qui nous
aiderait à envisager un rayonnement plus proche des réalités de
terrain en organisant par exemple des conférences et des rencontres dans
les différentes villes du pays de
sorte que nos amis puissent se connaître davantage et
puissent par la suite arriver à mettre en place dans leurs diocèses et dans leurs paroisses des actions
concertées, puisque les problèmes rencontrés par les uns et les autres par
rapport à l’avancement de leurs demandes de Tradition sont à peu près les
mêmes.
Q - Comment peut-on vous aider ?
João - D’abord en
priant pour nous car sans la Providence divine et la protection des Saints Anges nous ne pourrons rien. Pour les questions
matérielles, qui sont bien réelles, il est
certain que quelques milliers d'Euros nous permettraient de continuer cet apostolat et si Dieu veut d’en faire encore plus***.
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*João Silveira est né à Lisbonne. Il a fait des études d’ingénieur chimiste avant de s’intéresser intensément à la Philosophie, à la théologie et au droit canon qu’il a étudiés à Rome à l’Université Pontificale Santa Croce. Aujourd’hui, il consacre bénévolement la plus grande part de sa vie à Senza Pagare.
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*** Senza Pagare n’ayant pas encore de compte
bancaire, les personnes qui voudront les aider pourront effectuer leur don en
passant par Paix Liturgique qui reversera bien sur l’intégralité de
celui-ci à nos amis de Senza Pagare.
LES REFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 - Lorsque Paix liturgique fit réaliser en 2010 un sondage au Portugal, dont les résultats révélaient que plus
de 30 % des catholiques pratiquants de ce pays iraient volontiers TOUS LES
DIMANCHES à la messe traditionnelle,
beaucoup furent surpris et restèrent perplexes devant l’ampleur de cette
révélation. Senza Pagare révèle une nouvelle fois l’importance de l’univers de
ceux que nous appelons les « silencieux de l’Eglise » et qui, même s’ils ne disent rien, n’en attendent
pas moins la fin des turbulences. Lorsque
les occasions se présentent, ces fidèles sont
prêts « à sortir du bois » pour aller dans la direction vers laquelle
il faut retourner au plus vite : celle de la prédication des vérités fondamentales
de la foi catholique et de la piété
populaire traditionnelle.
2- Quel réconfort pour tous ceux qui essayent de défendre la foi
catholique et la messe traditionnelle , qui est comme son magnifique écrin, de
constater une nouvelle fois que même lorsque l’on se croit seul, la
désespérance ne doit jamais être de mise, car toujours il existe autour de nous
de nombreux « silencieux » qui n’attendent que notre exemple, que nos paroles,
pour nous rejoindre et pouvoir vivre leur foi catholique au rythme du vrai
Catéchisme et de la forme extraordinaire du rite romain.
3 – L’exemple portugais – un pays de plus en plus touché par la crise de
la foi, mais où il n’existait jusqu’à présent pratiquement pas de présence de
la liturgie traditionnelle et où se manifeste désormais clairement un désir de
cette liturgie – devrait pousser les
pasteurs de l’Eglise à des réflexions intégrant cet élément. Il est clair que,
partout où existe un bassin de population significatif – c’est-à-dire au moins
50 000 habitants à majorité catholique – ils devraient tenter honnêtement
l’expérience de la liturgie traditionnelle pour qu’elle les aide à lutter
contre une sécularisation croissante et, puisque cela paraît encore possible, à
revivifier leurs diocèses et leurs paroisses au sein d’une certaine diversité.
4 – Et dans les pays, comme la France, où la décomposition du tissu
chrétien est beaucoup plus avancée, ne devraient-ils pas « jouer la
carte » de la présence de la liturgie traditionnelle et d’autres
« forces vives » pour reconstituer ces ilots de vie chrétienne, qui
seront bientôt tout ce qui restera du
catholicisme au milieu d’un désert post-religieux ?
5 – Les œuvres de Dieu demandent patience et persévérance. Le petit
groupe mais très actif et très motivé du point de vue doctrinal et spirituel,
qu’est Senza Pagare est une illustration – une de plus – que, dans le cadre des
efforts pour la reviviscence de la vie traditionnelle de l’Eglise, une petite
mesure de levain peut faire lever la pâte, de la manière que Dieu veut. Nous
pensons spécialement aux vocations portugaises qui désormais se présentent aux
portes des maisons qui vont les former pour la liturgie traditionnelle.