Notre lettre 657 publiée le 21 août 2018

MGR SAMPLE : COMMENT SE FAIT-IL QUE LES JEUNES SOIENT ATTIRES PAR LA MESSE TRADITIONNELLE ?

Une vaste foule garnissait la basilique de l'Immaculée Conception de Washington samedi 28 avril 2018 pour la messe pontificale solennelle qu'y célébrait Mgr Alexander Sample, archevêque de Portland, Oregon, selon les livres liturgiques de 1962. Organisée par le Paulus Institute, en présence de près de 2500 fidèles dont un clergé nombreux, cette messe en action de grâces pour le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI a été retransmise en direct sur EWTN, première chaîne de télévision catholique au monde.

Au cours de cette splendide cérémonie, Mgr Sample a donné un sermon vigoureux, insistant sur le dynamisme de la liturgie traditionnelle, qui attire aujourd'hui tant de jeunes et dont, selon le vœu de Benoît XVI, la diffusion permettra demain à la liturgie habituellement offerte dans nos paroisses de renouer avec la pleine tradition catholique.



Photos Steve Skojec pour One Peter Five.

I – L'HOMÉLIE DE MGR SAMPLE

Washington, 28 avril 2018

Bien chers frères,

Nous voici rassemblés pour célébrer le dixième anniversaire du grand don fait à l'Église universelle par notre bien-aimé pape émérite, Benoît XVI, avec le motu proprio, Summorum Pontificum. Cher Saint-Père, de la part de tous ceux rassemblés ici, de ceux qui nous regardent sur EWTN et de tant d'autres, merci de la sagesse, de la prévoyance et de la générosité pastorale que vous avez démontrées en permettant à l'usus antiquior du rite romain de refleurir dans l'Église.

Alors que nous sommes réunis aujourd'hui en cette superbe basilique, il est difficile de ne pas remarquer la présence des si nombreux jeunes venus participer à cette Sainte Messe. J'ai rencontré beaucoup de vous en personne : vous êtes un signe, un grand signe, d'encouragement et d'espérance pour l'Église actuellement troublée par la sécularisation et le relativisme. Comme on le dit familièrement : « Vous avez tout pigé ! ». Vous vivez votre place dans le monde et dans l'Église comme une occasion de participer à la reconstruction de la culture de la vie dans la société et au renouveau de la culture catholique au sein même de l'Église.

Depuis la promulgation de Summorum Pontificum, j'ai souvent entendu s'exprimer dans l'Église, y compris de la part de prêtres et d'évêques, de la stupeur et de la consternation vis-à-vis de cette attirance que ressentent tant de jeunes envers la forme la plus vénérable de la liturgie romaine. Cela donne, par exemple : « Je ne comprends pas. Comment peut-on être attaché à une liturgie avec laquelle on n'a pas grandi ? » Quand le commentaire m'était directement adressé, j'ai souvent répondu : « C'est la bonne question. Pourquoi sont-ils attirés par cette liturgie ? Ou, plus exactement : qu'est-ce que cette forme du rite romain leur procure qu'ils ne trouvent pas dans la forme ordinaire avec laquelle ils ont grandi ? Répondre à cette question nous donnerait un aperçu de ce que pourrait être le futur de la liturgie. »

Que je ne sois pas mal compris : je ne remets pas en cause la réforme liturgique telle qu'elle a été réellement demandée par le concile Vatican II. Pas plus que je ne m'interroge sur la légitimité ou la bonté du missel de Paul VI. Toutefois, ne se pourrait-il pas que dans la mise en œuvre concrète des directives conciliaires tout n'ait pas donné de bons fruits ? Les abus et autres aberrations liturgiques, voire simplement la pauvreté de l'ars celebrandi, n'ont-ils pas trop souvent défiguré la forme ordinaire au point qu'elle ait été vécue comme une rupture avec notre passé ?

De nombreux jeunes ont découvert que cette forme de la sainte liturgie faisait pleinement part de leur héritage catholique. Je l'ai moi-même découverte quand j'étais étudiant. Par hasard. À l'époque, ce n'était qu'une relique du passé et je n'imaginais pas la célébrer un jour.

Se peut-il que l'expérience de ces jeunes qui grandissent avec la forme ordinaire ne leur ait pas apporté la beauté, la révérence, la prière, la plénitude du sens du mystère, la transcendance, l'émerveillement et la sainte frayeur que la messe traditionnelle leur procure ? N'est-ce pas là qu'il faut chercher la réponse à la question posée précédemment sur ce qui attire tant de jeunes vers la liturgie Sainte Messe célébrée selon le missel de 1962 ?

Dans sa lettre aux évêques accompagnant la publication de Summorum Pontificum, le pape Benoît XVI a évoqué cette question. Faisant référence aux efforts de saint Jean-Paul II pour répondre aux demandes des fidèles attachés à la luturgie traditionnelle – ce que le saint pape fit avec son motu proprio Ecclesia Dei en 1988 – le pape Benoît écrivait : « Aussitôt après le Concile Vatican II, on pouvait supposer que la demande de l’usage du Missel de 1962 aurait été limitée à la génération plus âgée, celle qui avait grandi avec lui, mais entre-temps il est apparu clairement que des personnes jeunes découvraient également cette forme liturgique, se sentaient attirées par elle et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement. C’est ainsi qu’est né le besoin d’un règlement juridique plus clair, que l’on ne pouvait pas prévoir à l’époque du Motu Proprio de 1988. »

En disant cela, je ne veux pas oublier cette autre génération, celle des catholiques demeurés fidèles à l'ancienne liturgie. Vous aussi avez votre importance. Cette messe [que nous célébrons aujourd'hui, NdT] est la messe de toujours qui a nourri la foi de générations de catholiques, y compris celle de mes parents. J'y pense souvent. C'est la messe à laquelle participaient mes grands-parents. C'est la messe qui a nourri la foi et la dévotion de ma maman dans sa jeunesse. Qu'elle repose dans la paix du Seigneur [la maman de Mgr Sample a été rappelée à Dieu en décembre 2017, NdT]. C'est la messe qui a attiré mon père vers l'Église et a soutenu sa conversion. C'est la messe qui a produit tant de saints.

Je crois que l'une plus importantes phrases de la lettre de Benoît XVI aux évêques que je citais à l'instant est celle-ci : « Il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale Romanum. L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Église, et de leur donner leur juste place. »

Avant de poursuivre notre célébration du dixième anniversaire de Summorum Pontificum, je voudrais aborder un dernier point. Il s'agit de la raison positive qui a poussé le pape émérite à promulguer le motu proprio : parvenir à la réconciliation au cœur de l'Église.

Lors de ma visite ad limina à Rome en 2012, à l'occasion de notre rencontre avec le pape Benoît XVI, j'ai pu le remercier du don du motu proprio Summorum Pontificum. Il répondit longuement à mon intervention en expliquant qu'il avait publié ce texte pour réconcilier l'Église avec son passé. Cette réconciliation dont le pape émérite parlait implique d'apprendre de l'expérience de la sainte liturgie célébrée selon l'usus antiquior afin de mieux nourrir et ordonner notre compréhension du nouveau rite romain. En vivant côte à côte, les deux formes liturgiques de l'unique rite romain peuvent s'enrichir mutuellement et conduire peut-être à d'ultérieurs développements liturgiques. Après avoir mentionné quelques pistes pour l'enrichissement du missel ancien par le nouveau, le pape nous dit ceci à propos de l'enrichissement de la nouvelle liturgie par l'ancienne : « La célébration de la messe selon le missel de Paul VI sera en mesure de manifester plus puissamment que cela n'a été le cas jusqu'à présent la sacralité qui attire de si nombreuses personnes vers l'usus antiquior. La garantie la plus sûre que le missel de Paul VI puisse unir les communautés paroissiales et être aimé par elles consiste à le célébrer avec un grand respect, en harmonie avec les directives liturgiques : cela fera ressortir la richesse spirituelle et la profondeur théologique de ce missel. »

Je crois qu'il y a là une clé pour interpréter le désir du pape Benoît XVI : à savoir que l'essor de la forme plus ancienne de la liturgie produira, avec sa beauté, sa révérence et sa dimension sacrée, un développement naturel et un enrichissement de la façon dont est célébrée la nouvelle messe. Comme il le dit bien, il ne saurait et ne devrait y avoir de rupture entre les deux formes et chacun devrait pouvoir reconnaître l'ancienne forme dans la nouvelle.

J'ai souvent l'impression que beaucoup de monde dans l'Église vit sa vie comme si l'Église avait remis les compteurs à zéro lors de Vatican II et comme si son passé n'avait plus aucune pertinence, surtout en matière liturgique. Or, il est nécessaire qu'il y ait une croissance et un développement liturgiques ultérieurs, en ligne avec l'herméneutique de la continuité avec le passé, de même que toute expérience de rupture doit prendre fin. Qu'il en soit ainsi.

Rendons grâces à Dieu, chers frères et sœurs, pour la vie, le ministère pastoral et le courage du pape émérite Benoît XVI. Remercions le Seigneur pour le don qu'il nous a fait, celui d'une meilleure disponibilité et d'une plus grande célébration de l'usus antiquior, notre héritage commun dans le rite romain. Prions pour le pape Benoît XVI afin que le Seigneur lui accorde la paix et la joie pendant qu'il lui est permis de demeurer sur la Terre, à prier et à se sacrifier pour nous. Prions maintenant en remerciement du plus grand des actes d'action de grâce – la célébration de la Très Sainte Eucharistie – et avançons-nous jusqu'à l'autel de Dieu.




II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) « Réconcilier l'Église avec son passé » : voici, selon les paroles mêmes de Benoît XVI, rapportées par Mgr Sample, la « raison positive » du motu proprio Summorum Pontificum. Il est toujours bon de le rappeler surtout quand, comme dans un récent article de l'édition internationale de La Croix, Benoît XVI est accusé d'avoir divisé l'Église avec Summorum Pontificum ! L'accusation, en l'espèce, est des plus spécieuses car l'auteur (le théologien Massimo Faggioli) écrit lui-même, fort justement, qu' « il ne peut y avoir de réconciliation entre catholiques sans réconciliation liturgique, étant donné la position principale de la liturgie dans la vie de l’Église ». Que cet auteur défende l'unicité de la célébration eucharistique soit, mais comment peut-il le faire sans s'interroger sur la brutale rupture représentée par la réforme liturgique de 1969 ??? Sans doute parce que, comme le dit bien Mgr Sample, cet auteur appartient à ce monde qui « vit sa vie comme si l'Église avait remis les compteurs à zéro lors de Vatican II et comme si son passé n'avait plus aucune pertinence, surtout en matière liturgique »...

2) Paradoxalement, ce rapport étroit entre unité de l'Église et foi en la Sainte Eucharistie est parfaitement explicité par Paul VI lui-même dans l'encyclique Mysterium Fidei que nous vous avons proposée la semaine dernière. Dans ce texte magistériel, Paul VI cite neuf fois le Concile de Trente, rappelant qu' « on ne saurait tolérer qu'un particulier touche de sa propre autorité aux formules dont le Concile de Trente s'est servi pour proposer à la foi le mystère eucharistique » et que celui-ci a résumé la doctrine eucharistique en enseignant « que notre Sauveur a laissé à son Église l'Eucharistie "comme symbole de son unité et de la charité par laquelle Lui-même veut voir tous les chrétiens intimement unis entre eux" ».

3) Tout en rendant hommage à la génération « des catholiques demeurés fidèles à l'ancienne liturgie », Mgr Sample insiste sur l'attrait des jeunes pour la forme extraordinaire du rite romain. Une attirance qui surprend et consterne bon nombre de ses confrères, explique-t-il. Alors que l'immense majorité des évêques actuels ont connu les abus liturgiques post-conciliaires, bien peu semblent en effet établir un lien entre ceux-ci et le désir de beauté, de révérence, de prière, de transcendance, d'émerveillement, de piété, exprimé par les jeunes qui se tournent vers la messe traditionnelle. Mgr Sample, lui, n'hésite pas à faire ce lien, précisément parce qu'il a lui-même été marqué par les abus auxquels il a assisté voire participé, notamment lors de ses années universitaires comme il le racontait lors des rencontres liturgiques de Cologne en 2017 (voir notre lettre 592).

4) « De nombreux jeunes ont découvert que cette forme de la sainte liturgie faisait pleinement part de leur héritage catholique. Je l'ai moi-même découverte quand j'étais étudiant. Par hasard. À l'époque, ce n'était qu'une relique du passé et je n'imaginais pas la célébrer un jour. » Rendons donc une nouvelle fois grâces à Dieu pour le motu proprio de Benoît XVI qui a officiellement légitimé une liturgie que les persécutions officielles prétendaient enfermer dans un placard au point qu'un évêque exemplaire comme Mgr Sample ait pu un jour la considérer comme « une relique du passé ». Et prions pour que Sa Providence nous donne toujours plus de pasteurs emplis de zèle eucharistique, de clarté doctrinale et de courage pastoral, à l'image de Mgr Sample.

5) On pourrait ajouter que la diffusion de la messe nouvelle est concomitante de l’abandon massif de la pratique religieuse. L’effondrement de la pratique dominicale se résumant très précisément à ceci : alors que l’assistance à la messe « fonctionnait » jusque-là de génération en génération, les pratiquants engendrant des pratiquants, les jeunes des familles messalisantes ont brusquement cessé d’aller à la messe dominicale après le Concile ; devenus adultes, ils ont engendré tout naturellement des enfants non-pratiquants ; et ainsi de suite. À l’inverse, les fidèles qui sont restés attachés à la messe traditionnelle ont transmis leur manière de vivre leur foi catholique à leurs enfants, qui à leur tour ont fait de même. Ces populations jeunes qui peuplent les messes traditionnelles se gonflant en outre de nouveaux venus attirés par la qualité intrinsèque de ce rite. En résumé, la messe traditionnelle a été, conformément à sa nature, le vecteur d’une transmission, tandis que la messe nouvelle a porté les fruits de rupture de transmission qu’elle représentait.

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