Notre lettre 629 publiée le 23 janvier 2018

DÉSORDRE LITURGIQUE ORDINAIRE À ARCACHON

« Merci pour votre lettre du 10 janvier 2018, dans laquelle vous formulez le vœu que nous ayons toujours plus de pasteurs soucieux d’aimer sans exception, de réfléchir librement, de répondre à nos attentes et d’unir nos communautés sans toutefois les uniformiser. Hélas, comme vous le comprendrez à la lecture du document ci-joint, il est difficile pour nous, paroissiens d’Arcachon, de partager votre optimisme. » (Un lecteur du Bassin d'Arcachon) 

I –« DEPUIS QUELQUES MOIS, LE SACRÉ A DISPARU » 
EXTRAITS DE LA LETTRE DE DÉMISSION DE L’ORGANISTE DE LA BASILIQUE NOTRE-DAME D’ARCACHON  

Le document joint par notre lecteur à son message est la lettre ouverte par laquelle Victor Lavedan, organiste titulaire de la basilique Notre-Dame d’Arcachon, a présenté fin décembre sa démission au curé, le père Jean Thomas. En voici quelques extraits qui, parce qu’ils pourraient s’appliquer à bien d’autres paroisses restées en panne sur le chemin de la paix et de la réconciliation, nourrissent nos réflexions de la semaine. 

« En ce Troisième Dimanche de l’Avent, vous avez cru devoir expliquer à l’assemblée que, dorénavant, on prendrait de temps en temps quelques chants en latin (croyant, à tort, pouvoir ainsi anesthésier les demandeurs de plus en plus nombreux du rite selon la forme extraordinaire). […] Tour à tour vous avez indiqué que les chants traditionnels, dont ceux en latin, sont une richesse séculaire pour, juste après, “rassurer” vos paroissiens en leur demandant “de ne pas s’inquiéter”, et que vous ne diriez jamais la messe en latin. » 

« En près de cinquante ans de carrière d’organiste, j’ai toujours mis mes compétences professionnelles, qui sont avant tout un don de Dieu, humblement au service de la Sainte Liturgie et du culte divin, essayant de maintenir du sacré et de la spiritualité là où il y en a de moins en moins, pour ne pas dire plus du tout. Cela a été le combat de toute ma vie. » 

« Depuis quelques années on déplore à Arcachon des liturgies sans âme ni piété, médiocres, avec des acteurs tout aussi médiocres et incultes, les personnes faisant preuve de compétences étant soigneusement écartées par quelques cuistres. […] J’ai supporté cela difficilement, mais courageusement, me disant que chacun doit avoir sa part de la Croix, et pensant que mon maintien serait un maigre frein à cette dégradation inéluctable. » 

« Aujourd’hui, il ne s’agit même plus de médiocrité technique ou musicale. Depuis quelques mois le sacré a totalement disparu. Deux minutes avant la messe, la Basilique ressemble à un hall de gare : “C’est normal, ai-je entendu, les gens sont tellement heureux de se retrouver !” Il ne manque plus que des chansons à boire et quelques ballons pour occuper les enfants qui viendraient à s’ennuyer pendant la messe... » 

« Ce qui me fait le plus souffrir en tant que catholique, c’est d’avoir le sentiment d’être moi-même caution de ces sacrilèges. » 

II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE 

1) L’organiste accuse le curé d’avoir voulu anesthésier les demandeurs de la messe traditionnelle en leur concédant un peu de latin, tout en affirmant qu’il ne dirait jamais la « messe en latin ». Nous aurons l’occasion de revenir sur la demande d’application du motu proprio Summorum Pontificum à Arcachon où la célébration de la forme extraordinaire du rite romain n’est que saisonnière, accordée le temps des vacances d’été lorsque la population locale est décuplée, passant de 12 000 personnes en basse saison à plus de 120 000. Observons toutefois que ce n’est pas le motu proprio qui est l’objet de la discorde entre M. Lavedan et son curé mais bien la célébration même de la forme ordinaire. 

2) Il peut sembler paradoxal qu’un organiste attaché à la dimension sacrée de la « Sainte Liturgie » tire sa révérence alors que son curé propose d’introduire le chant du Credo en grégorien dans la liturgie dominicale... En vérité, en vertu du contexte local, cette concession du Credo n'est qu’un cache-misère que l'organiste a perçu comme tel, finissant par céder à l’exaspération accumulée au fil des ans et des à-peu-près liturgiques endurés. Cette exaspération est bien connue de tous les fidèles déboussolés par les bouleversements liturgiques, pastoraux et doctrinaux de ces dernières décennies. Des fidèles d'ordinaire silencieux mais qui, parfois, finissent par craquer. 

3) Une grande part de la mission de Paix Liturgique est de donner la parole à ces silencieux qui, par refus d’être cause de scandale, par humilité, par obéissance, par souci de sauver ce qui pouvait l’être ou en esprit de pénitence, ont préféré le silence à l’expression publique de leur mécontentement. Une attitude que Victor Lavedan exprime parfaitement : « J’ai supporté cela difficilement, mais courageusement, me disant que chacun doit avoir sa part de la Croix, et pensant que mon maintien serait un maigre frein à cette dégradation inéluctable. » Des années 60 à nos jours, nombreux sont les fidèles qui, comme M. Lavedan, ont continué à participer à la vie de leur paroisse en dépit de leur insatisfaction ou de leur malaise, se refusant à abandonner « leur » église au milieu de la tempête et voyant bien, en outre, que ceux qui prenaient la parole – des « cuistres », dit l’organiste exaspéré ! – les marginalisaient systématiquement. 

4) Le refus de prendre en compte le désarroi de cette foule de silencieux, au point de nier l’existence même de ce désarroi, restera comme l’une des fautes majeures de nos pasteurs au cours des dernières décennies. Même si, fort heureusement, de plus en plus d’ecclésiastiques manifestent aujourd'hui un souci sincère d’ouvrir leur cœur et leur porte à tous leurs fidèles, à l'image du nouvel archevêque de Paris, Mgr Aupetit, la démission de l’organiste de la basilique Notre-Dame d’Arcachon nous rappelle qu’il reste encore bien des pasteurs sourds aux aspirations de leurs ouailles. 

5) La motivation principale du ras-le-bol de l’organiste, c’est son sentiment d’être « caution » de la disparition du sacré dans les célébrations liturgiques de la paroisse et des « sacrilèges » que celle-ci engendre inévitablement. Même si la situation liturgique d’un certain nombre de paroisses de France s’est un peu améliorée, une partie du jeune clergé œuvrant de son mieux à une certaine restauration du sacré – dans la mesure où la liturgie ordinaire le permet –, nombreux sont encore les lieux où la liturgie demeure réduite à une fête ou à un spectacle, à une autocélébration du célébrant ou de la communauté, à cette danse vide autour du Veau d’or si souvent condamnée par le pape Benoît XVI. En outre, dans le cas d’Arcachon, ce que condamne l'organiste, c’est l’instrumentalisation maladroite de la liturgie par le curé : un peu de latin pour « anesthésier les demandeurs de plus en plus nombreux » de la forme extraordinaire tout en se complaisant dans la trivialité, expliquant par exemple se dépêcher pour bénir l’assemblée à la fin de la messe « car l’apéro n’attend pas » (épisode cité dans un autre passage de sa lettre ouverte) ! 

6) À Arcachon comme ailleurs, la solution existe pourtant : une saine et paisible émulation entre la forme ordinaire et la forme extraordinaire. N'est-ce pas là, d'ailleurs, comme il l'expliquait dans sa Lettre aux évêques du 7 juillet 2007, la raison positive pour laquelle Benoît XVI avait promulgué le motu proprio Summorum Pontificum : que le motu proprio puisse aider à « parvenir à une réconciliation interne » au sein de la paroisse ? (*) 

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(*) « En regardant le passé, les divisions qui ont lacéré le corps du Christ au cours des siècles, on a continuellement l’impression qu’aux moments critiques où la division commençait à naître, les responsables de l’Église n’ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l’unité; on a l’impression que les omissions dans l’Église ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions aient réussi à se consolider. Ce regard vers le passé nous impose aujourd’hui une obligation: faire tous les efforts afin que tous ceux qui désirent réellement l’unité aient la possibilité de rester dans cette unité ou de la retrouver à nouveau. »

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