Notre lettre 589 publiée le 7 avril 2017

TRADUIRE OU TRAHIR ? UN DILEMME INCONNU DANS LA FORME EXTRAORDINAIRE

La constitution au sein de la congrégation pour le Culte divin – mais à l’insu du cardinal qui la préside ! – d’une Commission destinée à détricoter l’instruction Liturgiam Authenticam sur les traductions des textes liturgiques donne lieu depuis quelques semaines à un vif débat sur la question (voir ici notamment). Publiée le 28 mars 2001, sous le pontificat de Jean-Paul II, cette cinquième instruction « pour la correcte application » de la constitution Sacrosanctum Concilium représente un important jalon sur le chemin d’une réforme de la réforme liturgique en ce qu’elle affirme la nécessaire prudence et vigilance (art. 3) en matière « de traduction des textes liturgiques dans les langues vernaculaires, spécialement pour le Missel Romain » afin qu’il continue à être « un instrument de l’intégrité et de l’unité du Rite romain » (art. 4). Avec cette déclaration de principe : « La traduction des textes de la liturgie romaine ne sont pas une œuvre de créativité. […] Il est nécessaire que le texte original ou primitif soit, autant que possible, traduit intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission ni ajout, par rapport au contenu, ni en introduisant des paraphrases ou des gloses » (art. 20).

Silencieux jusqu’ici, le cardinal Robert Sarah, Préfet du Culte divin, s’est exprimé avec clarté et vigueur sur le sujet au cours de l’importante communication qu’il a adressé la semaine dernière aux participants aux 18èmes rencontres liturgiques de Cologne (voir notre lettre 587). Sa défense de Liturgiam Authenticam ne souffre aucune ambiguïté : « On reproche à l’Europe politique d’abandonner ou de nier ses racines chrétiennes. Mais la première à avoir abandonné ses racines et son passé chrétiens, c’est incontestablement l’Église catholique postconciliaire. Certaines Conférences épiscopales refusent même de traduire fidèlement le texte original latin du Missel romain. Certains réclament que chaque Église locale puisse traduire le Missel romain, non pas selon l’héritage sacré de l’Église et suivant la méthode et les principes indiqués par Liturgiam Authenticam, mais selon les fantaisies, les idéologies et les expressions culturelles susceptibles, dit-on, d’être comprises et acceptées par le peuple. Mais le peuple désire être initié au langage sacré de Dieu. »

Ailleurs dans le monde, cette question de la rectitude des traductions liturgiques ne laisse pas indifférent. Ainsi, l’évêque de Lincoln, au Nebraska, vient-il lui aussi de s’exprimer par un éditorial publié sur le site diocésain. Nous vous proposons notre traduction de morceaux choisis de ce texte, suivie de nos commentaires sur un débat qu’un plus large accès des prêtres et des fidèles au missel de saint Jean XXIII permettrait sans aucun doute de résoudre.



Une formule latine, deux traductions différentes. Livret de la première Messe chrismale du Pape François (28 mars 2013).


I - L’ÉDITORIAL DE MGR CONLEY

Lex orandi, lex credendi
Southern Nebraska Register, 31 mars 2017


Comme catholiques, la sainte liturgie devrait être au centre de nos vies.

Le Christ, Jésus, est présent parmi nous dans le culte sacré de l’Église. Par le mystère de la Sainte Messe, nous sommes en présence du mystère pascal, celui du sacrifice du Christ sur le Calvaire. Notre prière liturgique est un avant-goût de la liturgie céleste et exprime notre amour pour Dieu. Nous sommes créés, littéralement, pour adorer Dieu.

(...)

La liturgie est une expression de notre amour et de notre fidélité envers Dieu et une union mystique avec Son Verbe qui, comme le dit saint Jean, « est Dieu, et est en Dieu ». La liturgie est importante. Et, parce qu’elle est communion avec le Verbe de Dieu, les mots que nous utilisons dans la liturgie ont, eux aussi, leur importance.

Cette semaine, l’Église célèbre le 16ème anniversaire de Liturgiam Authenticam, une instruction publiée pour faire en sorte que la traduction des textes liturgiques favorise la « pleine, consciente et active » participation de tous les catholiques à la liturgie par une attention renouvelée à l’importance de chaque mot que nous prononçons et entendons quand nous adorons Dieu.

Liturgiam Authenticam a rappelé à l’Église que quand nous prions ensemble dans la liturgie nous tirons nos prières des Saintes Écritures, révélées par Dieu, et de la tradition des saints et des martyrs qui nous ont précédés et ont témoigné par leur vie et leur sagesse de l’importance de notre prière liturgique en commun. L’instruction a enseigné que les mots et les expressions de notre liturgie doivent être pourvus de toutes ces qualités « qui permettent à la fois de communiquer, avec assurance, à la prière, les saints mystères du salut et l’indéfectible foi de l’Église au moyen du langage humain, et aussi de rendre au Dieu Très Haut le seul culte qui soit digne de Lui ».

(…)

Il existe une vieille maxime dans la vie de l’Église : lex orandi, lex credendi – la loi de la prière est la loi de la foi. La sainte liturgie enseigne la foi, parce que ses mots s’enracinent en nos cœurs. Liturgiam Authenticam a rappelé à l’Église que, parce que nous croyons comme nous prions, nos prières doivent être absolument fidèles au dépôt de la foi qui nous a été transmis. Nous sommes préparés à la sainteté par les mots de la liturgie quand ils transmettent fidèlement la révélation de la Parole vivante de Dieu, Jésus-Christ.

Pour nous, le fruit de Liturgiam Authenticam a été une nouvelle traduction anglaise du Missel romain, le livre des prières officielles de la Messe, que l’Église a commencé à célébrer il y a cinq ans. Cette nouvelle traduction s’est efforcée d’exprimer clairement et fidèlement les mots de la sainte liturgie, les tirant directement de l’Écriture et de l’ancienne tradition de l’Église, sans introduire d’interprétations ou d’innovations. Cela afin que notre culte puisse clairement révéler et enseigner la foi et afin que nous puissions exprimer notre amour de Dieu en union avec les saints qui nous ont précédés.

Alors que l’Église célèbre le don de Liturgiam Authenticam, nous avons l’opportunité de remercier Dieu pour les vérités, « qui dépassent les limites imposées par le temps et le lieu », proclamées par l’Église dans la liturgie. Nous pouvons rendre grâce à Dieu que, par le culte sacré, « l’Esprit Saint introduit les fidèles dans la connaissance de la vérité tout entière, et fait que la parole du Christ réside en eux avec toute sa richesse ». Ensemble, nous avons l’occasion de remercier Dieu pour le don de la sainte liturgie, avant-goût d’éternité qui nous libère, nous transforme et nous sanctifie, afin que nous puissions aimer le Seigneur, maintenant et pour toujours, de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit.

Mgr James Conley, évêque de Lincoln, Nebraska


II - LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) Il faut savoir que, pour les cardinaux ratzinguériens qui se sont succédés à la Congrégation pour le Culte divin – Medina, Arinze, Cañizares et désormais Sarah –, la rectification des traductions liturgiques idéologiques en langues nationales était la première étape pour une remise en ordre de la liturgie dévastée. Lorsque le cardinal Sarah avait été nommé par le pape François en 2014, pour diriger la Congrégation, celui-ci lui avait dit publiquement que ce qui avait été entrepris sous Benoît XVI devait continuer. Mais, comme l'a bien expliqué notre confrère Riposte catholique (lire ici), en pratique, le cardinal Sarah a été ligoté : au Secrétaire de la Congrégation, Mgr Roche, un bugniniste, fut adjoint un Sous-Secrétaire, bugniniste lui aussi, le Père Maggioni. Ensuite, en octobre 2016, les cardinaux et évêques ratzinguériens membres de la Congrégation furent subsitutés par des bugninistes (dehors Burke et Pell, dedans Ravasi et Piero Marini). Enfin, comme nous le disions en introduction, l’érection d’une nouvelle Commission dont, contre tous les usages, le Cardinal-Préfet n'est pas le Président, a clairement pour but de revenir sur le travail accompli au nom de Liturgiam Authenticam.

2) L’opposition à la ligne que poursuit le cardinal Sarah, dans la fidélité à l'enseignement du cardinal Ratzinger, est considérable. Dans le monde germanique, les évêques ont déjà rejeté le travail de rectification des traductions et veulent imposer le leur. L’un des différends porte sur la traduction du pro multis [pour beaucoup] de la consécration – les évêques voulant für alle [pour tous] et non für viele, exigé par le Cardinal. C’est aussi autour de la traduction de pro multis que les Italiens manifestent leur propre opposition. Dans le monde anglophone, alors que le travail de rectification des traductions avait heureusement abouti, grâce au comité Vox Clara présidé par le cardinal Pell, des vagues de critiques visent régulièrement à le remettre en cause (voir ici par exemple). Nonobstant ces résistances, le cardinal Sarah entend manifestement continuer à exercer sa mission sans se laisser impressionner ni marginaliser par le fait qu’une partie non négligeable du personnel de sa Congrégation s’acharne, de surcroît, à aller à l’encontre de ses orientations. Comme toutes les personnes pénétrées du mystère de Dieu, quand le cardinal Sarah s’exprime, il le fait avec force et clarté. En attendant que nous y revenions plus en détail, nous vous invitons vivement à lire l’intégralité de sa communication sur le motu proprio Summorum Pontificum comme « source d’avenir » sur le site de nos amis de L’Homme Nouveau.

3) Dans le monde francophone, la question de la fidélité des traductions liturgiques a été soulevée dès le début de la réforme liturgique. Au bout d’un long processus (voir ici), le projet de traduction de la Congrégation du cardinal Sarah, a été approuvé l’an dernier, et on laissait entendre que le nouveau Missel pourrait entrer en vigueur à l'occasion de ce Carême 2017. Mais la Conférence des évêques s’est réservée de pouvoir faire des mises au point. Elles concerne notamment la traduction du Confiteor : le cardinal Sarah voulait « C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute », au lieu de « Oui, j’ai vraiment péché » ; dans le Credo, il demandait « consubstantiel », au lieu de « de même nature » ; dans l’Orate fratres il tenait à traduire « Priez mes frères pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre soit agréable à Dieu le Père tout-puissant – Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice pour la louange et la gloire de son nom, pour notre bien et celui de toute sa sainte Église », au lieu de « Prions ensemble au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Église – Pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Il n’y a pas de problème pour la consécration du vin, le pro multis étant traduit en français par « pour la multitude ».

4) Il n’y a donc à ce jour pas d’information précise sur la date de l'entrée en vigueur de la nouvelle traduction de l'Ordo. En revanche, la CEF vient de communiquer en conclusion de son assemblée plénière de printemps que la nouvelle traduction du « Notre Père » deviendra la norme « dans toute forme de liturgie publique » à compter du premier dimanche de l’Avent 2017 (soit le 3 décembre 2017). Pour des motivations œcuméniques, en l’occurrence de rapprochement avec les protestants, la formule « ne nous laissez pas succomber à la tentation » était devenue dès 1966 : « ne nous soumets pas à la tentation », formulation en soi fidèle au latin, mais malheureuse par rapport à la traduction française traditionnelle, laissant entendre une responsabilité divine sur la voie du péché. Il conviendra désormais de dire « ne nous laisse pas entrer en tentation », formule plus orthodoxe mais non moins œcuménique puisque les protestants de France l’ont eux aussi adoptée.

5) Habitués depuis un demi-siècle au principe d’une liturgie bricolée, certains reprochent parfois à la forme extraordinaire la « rigidité » de son expression. Dans son hommage à Liturgiam Authenticam, Mgr Conley – dont le diocèse abrite le séminaire nord-américain de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre – nous offre une belle et simple justification à cette nécessaire immutabilité de la liturgie : « Nous sommes préparés à la sainteté par les mots de la liturgie quand ils transmettent fidèlement la révélation de la Parole vivante de Dieu, Jésus-Christ. » L’évêque de Lincoln est ici en parfait accord avec la pensée de Joseph Ratzinger : « La liturgie n’est pas l’expression de la conscience d’une communauté, qui du reste est diffuse et changeante. Elle est la révélation accueillie dans la foi et la prière, et sa mesure est dès lors la foi de l’Église, qui est le récipient de la révélation » (conférence à Fontgombault en 2001). Bien qu’apparemment isolé dans sa propre Congrégation, le cardinal Sarah n’est en réalité pas seul comme l’illustre l’éditorial de Mgr Conley : non seulement il a pour lui l’héritage liturgique légué par Benoît XVI mais aussi le soutien de nombreux évêques de par le monde. Et celui de tout un peuple silencieux – prêtres, religieux et fidèles – uni avec lui par la prière.

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