Notre lettre 581 publiée le 8 février 2017

SAGESSE AFRICAINE : « UN FRÈRE APPUYÉ SUR SON FRÈRE EST UNE CITADELLE IMPRENABLE »

Mgr Pascal N’Koué, archevêque de Parakou au Bénin, a consacré l’éditorial du numéro de février 2017 de son magazine diocésain à la forme extraordinaire du rite romain. Publié par le Forum catholique et repris par Tradinews, nous vous invitons vivement à lire ce texte dans son intégralité (ici). Pour notre part, nous vous en proposons quelques morceaux choisis, suivis des réflexions qu’ils nous inspirent.


Bénédiction de la chapelle du séminaire diocésain de Parakou en 2014 par Mgr Cattenoz.


MORCEAUX CHOISIS ET COMMENTÉS DE L’ÉDITORIAL DE MGR N’KOUÉ
La Vie Diocésaine (diocèse de Parakou), février 2017.

a) « L’Archidiocèse de Parakou découvre petit à petit la forme extraordinaire du rite romain et s’en réjouit. »

Paix Liturgique : « Petit à petit ». Nous retrouvons dans cette formule de Mgr N’Koué la règle de la gradualité énoncée par M. l’abbé Tisma lors du premier congrès Summorum Pontificum chilien (voir notre lettre 519, du 1er décembre 2015). En procédant pas à pas, les pasteurs qui promeuvent la forme extraordinaire du rite romain œuvrent à son installation la plus paisible et durable, donc la plus fructueuse.
Nommé archevêque de Parakou par Benoît XVI en 2011, Mgr N’Koué avait déjà introduit la liturgie traditionnelle dans son diocèse précédent, celui de Natitingou. Appelé à l’épiscopat en 1997, à l’âge de 38 ans, Mgr N’Koué s’était vite affirmé comme un pasteur dynamique, entreprenant et traditionnel. Dans le cadre du motu proprio Ecclesia Dei, il avait notamment fait venir la Fraternité Saint-Pierre dans le diocèse dès 2003.

b) « C’est surtout à partir du 2 juillet 1988, avec le motu proprio Ecclesia Dei (voir ici) que le Pape Jean Paul II a demandé à l’Église entière de respecter en tous lieux le désir de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine de saint Pie V. Le Pape Jean-Paul II nous demandait même de faire une application large et généreuse des directives déjà publiées par le Siège Apostolique concernant l’usage de ce Missel Romain, selon l’édition vaticane de 1962. Ce rite de saint Pie V ou plus exactement de Jean XXIII a donc plein droit de cité dans l’Église. »

Paix Liturgique : « Une application large et généreuse ». Mgr N’Koué reprend ici l’expression utilisée par saint Jean-Paul II dans le motu proprio de 1988, à l’article 6, alinéa c : « On devra partout respecter les dispositions intérieures de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine, et cela par une application large et généreuse des directives données en leur temps par le Siège apostolique pour l’usage du missel romain selon l’édition typique de 1962. » Ce souci du prélat de rappeler l’histoire du statut de la liturgie traditionnelle depuis la réforme liturgique est motivé par sa volonté de répondre à « ceux qui pensaient que ce rite tridentin était formellement interdit, définitivement mort et enterré, parce qu’il était, pensait-on, en opposition avec la messe de Paul VI » alors que, comme l’a clairement stipulé Benoît XVI en 2007 : « ce Missel n’a jamais été juridiquement abrogé » même si de nombreux prêtres et fidèles en ont été privés pendant des décennies.

c) « Cet attachement à l’ancien rite, quand il est vécu en communion avec saint Pierre de Rome, est un enrichissement inouï. Il a formé pendant deux millénaires de nombreux saints. Il a modelé pendant des siècles le visage de l’Église. Il est riche sous l’angle de ses prières d’offertoire, par ses nombreuses génuflexions en signe d’humilité : "l’homme n’est grand qu’à genoux", par la multiplicité des signes de croix avec la main pour rappeler constamment la puissance de la croix du Christ comme instrument de notre salut, par l’ensemble des gestes et symboles mystagogiques, par le mode de communion demandé aux fidèles. Ce rite nous plonge d’emblée dans le mystère insondable du Dieu invisible, nous place devant sa majesté et nous pousse à confesser humblement notre indignité devant sa transcendance. L’Eucharistie, n’est-elle pas à la fois sacrifice de louange, d’action de grâce, de propitiation et de satisfaction ? »

Paix Liturgique : En quelques lignes, qu’il précise un peu plus loin en insistant sur le caractère sacrificiel de la messe, Mgr N’Koué résume la quintessence de la liturgie latine traditionnelle et de sa valeur théologique et salvifique. Difficile de mieux dire.
Profitons toutefois de l'occasion pour rappeler ce que, dans le même ordre d'idées, le cardinal Sarah, Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, écrivait dans Dieu ou rien (Fayard, 2015) : « Il est probable que dans la célébration de la messe selon l’ancien missel, nous comprenions davantage que la messe est un acte du Christ et non des hommes. De même, son caractère mystérieux et mystagogique est perceptible de façon plus immédiate. Même si nous participons activement à la messe, cette dernière n’est pas notre action, mais celle du Christ. »

d) « J’ai entendu le cardinal Bernardin Gantin dire : "Nous les Africains qui avons connu ce rite ancien, nous en avons tous la nostalgie". En effet, le prêtre y apparaît comme l’homme du sacré, l’homme qui oriente l’humanité vers le Ciel. »

Paix Liturgique : Figure de l’épiscopat africain, le cardinal Gantin (1922-2008), Béninois comme Mgr N’Koué, a été au nombre des Pères conciliaires. Préfet de la Congrégation pour les Evêques de 1984 à 1998, il fut amené, le 1er juillet 1988, à prononcer l’excommunication de Mgr Lefebvre à l’issue des sacres de 1988. En 1997, c’est lui qui consacra Mgr N’Koué évêque de Natitingou. Il n’y a donc pas lieu de douter de la véracité des propos que rapporte Mgr N’Koué. En établissant un lien direct entre « le rite ancien » et le prêtre perçu par les Africains comme « l’homme qui oriente l’humanité vers le Ciel », l’évêque de Parakou donne à la « nostalgie » évoquée par le cardinal Gantin tout son sens : cette nostalgie, c’est celle de la transcendance perdue par la forme ordinaire, dans laquelle « le prêtre est plus porté à être un animateur de communauté »...

e) « Comme vous le voyez, c’est tout catholique qui devrait aimer les deux rites : celui de saint Pie V et celui de Paul VI. Ces deux formes sont valables et doivent être célébrées avec foi et piété. "Les deux Missels romains, bien que séparés par quatre siècles, gardent une tradition semblable et égale"(PGMR n°6). Ils peuvent donc coexister pacifiquement et s’enrichir mutuellement. Ils sont comme deux frères. Et "un frère appuyé sur son frère est une citadelle imprenable" (Prov.18, 19). Il est temps qu’on cesse de s’exclure réciproquement, de se persécuter et de faire saigner inutilement le cœur du Christ. L’eucharistie n’est pas faite pour diviser mais pour unir. »

Paix Liturgique : « Il est temps qu’on cesse de s’exclure réciproquement, de se persécuter et de faire saigner inutilement le cœur du Christ. » Pour nous, qui défendons la valeur théologique et cultuelle de la forme traditionnelle, mais qui estimons qu’il faut le faire pacifiquement, nous saluons la forte exhortation à la paix liturgique et à l’unité des fidèles de Mgr N’Koué, pasteur authentiquement soucieux de toutes les âmes qui lui sont confiées. Il l’illustre par cette belle image du « frère appuyé sur son frère » tirée du livre des Proverbes. Même si ce n’est pas exactement le propos de l’évêque de Parakou, ce pourrait être une belle allégorie d’une vraie « réforme de la réforme », dans laquelle le rite réformé se renouvellerait en s’appuyant sur le rite ancien.

f) « Sans nier l’importance des langues parlées, un peu de latin ne peut que faire du bien à nos liturgies. Les Papes et les Conciles n’ont jamais cessé de recommander l’usage de cette langue à la fois immuable et universelle dans la prière officielle de l’Église. Nous faisons partie de l’Église latine, nous l’oublions trop souvent. Le latin liturgique était un facteur d’universalité et même d’unité dans l’Église d’hier. Pourquoi ne le serait-il pas dans l’Église d’aujourd’hui et de demain. Les essais d’inculturation hâtifs et superficiels, excluant trop vite le latin, ont souvent provoqué une altération de la foi catholique dans nos Assemblées. »

Paix Liturgique : « Nous faisons partie de l’Église latine. » Il fallait au moins un archevêque africain pour nous rappeler ce caractère indélébile de notre foi catholique « et romaine » ! Cette défense de la latinité par Mgr N’Koué est d’autant plus forte qu’elle fait suite à un passage dans lequel il évoque « l’ambiance inhabituelle de recueillement » qui « frappe souvent celui qui assiste pour la première fois à cette messe ». L’enjeu, selon lui, est de remédier à « l’altération de la foi » en remettant le mystère au centre de la célébration eucharistique : « Vouloir évacuer le mystère de la célébration eucharistique, c’est oublier que c’est précisément le grand mystère de la foi : "Mysterium fidei" ! » écrit-il peu avant.

g) « S’il fallait schématiser ces deux formes, ce qui est forcément réducteur, on pourrait dire que la forme ordinaire ressemble plus à la sainte Cène du Jeudi Saint, alors que la forme extraordinaire insiste plus sur le Vendredi Saint, au pied de la Croix du Golgotha. S’il y a eu ces deux moments c’est qu’ils nous sont nécessaires. Gardons-les. Dieu ne permet rien pour rien. »

Paix Liturgique : C’est en effet « forcément réducteur » mais il est évident que la messe de Paul VI a été voulue pour rapprocher le culte catholique de « la sainte Cène » des protestants. Sans rappeler les dérives auxquelles a conduit cet infléchissement, profitons-en pour méditer cet avertissement du cardinal Sarah dans Dieu ou rien : « Si les célébrations eucharistiques se transforment en des autocélébrations humaines et en des lieux d’application de nos idéologies pastorales et d’options politiques partisanes qui n’ont rien à voir avec le culte spirituel à célébrer de la façon voulue par Dieu, le péril est immense. Car, alors, Dieu disparaît. »

h) « Comment commencer à comprendre et à célébrer les rites réformés dans l’herméneutique de la continuité si l’on n’a jamais fait l’expérience de la beauté de la tradition liturgique que connurent les Pères du Concile eux-mêmes et qui a façonné tant de saints pendant des siècles" ? Au grand Séminaire "Providentia Dei" et au Monastère des Sœurs Contemplatives de Jésus Eucharistie, la forme extraordinaire est célébrée et promue. »

Paix Liturgique : Notons au passage que ce sont deux prêtres français, l’un et l’autre largement « spécialisés » dans la célébration de la forme extraordinaire, qui officient, l'un comme supérieur du Séminaire diocésain (abbé Denis Le Pivain, du diocèse d’Avignon) et l'autre comme aumônier des Sœurs Contemplatives de Jésus Eucharistie (abbé Laurent Guimon, du diocèse de Versailles).
La question posée par Mgr N’Koué sonne comme une explication aux difficultés que rencontre la « réforme de la réforme » et, notamment, à la violente fin de non-recevoir opposée à l’appel du cardinal Sarah à célébrer ad Orientem, comme aussi le coup de frein donné à la révision les traductions liturgiques en langues vernaculaires parfois très défectueuses. L'expérience prouve qu'il est vain de vouloir faire « célébrer les rites réformés dans l’herméneutique de la continuité » sans avoir offert « l’expérience de la beauté de la tradition liturgique que connurent les Pères du Concile eux-mêmes » ! Ce n’est évidemment pas le cas de Mgr N’Koué qui, parce qu’il soutient la forme extraordinaire dans son diocèse, en particulier au séminaire diocésain, a invité dans son message pour l’Avent 2016 (à lire ici), ses ouailles à « un tournant irréversible », à savoir abandonner « la messe face à face pour mieux goûter Dieu dans le silence ».

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